TOW, le missile phare du conflit syrien: de la genèse à la techno-guérilla

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ATGM: des « game-changers » au profit des acteurs non étatiques

Un rebelle de l’Armée Syrienne Libre guide un missile TOW. On distingue, à l’avant du tube, les fils qui relient le missile en vol au poste de tir et de guidage. Province de Lattaquié, le 31 mars 2014.

Une célébrité médiatique tardive, acquise en Syrie

Le conflit syrien a révélé au grand public les missiles antichars guidés opérables par le combattant à pied. Les médias anglophones les nomment « ATGM » – Anti Tank Guided Missiles – ou tout simplement « TOW », faisant l’amalgame entre ce système US et les nombreux autres qui s’en sont inspirés. Les groupes armés publient régulièrement sur Internet des vidéos illustrant ces matériels en action. Leur provenance varie : pris à l’ennemi, fournis plus ou moins directement par une puissance étrangère, ou encore acquis – par le racket, de vive force ou moyennant paiement – auprès de groupes en possédant. Ces systèmes d’armes étaient peu médiatisés avant ce conflit, bien qu’en service depuis plusieurs décennies dans de nombreuses armées régulières de par le monde. Mais en Syrie, ils ont acquis une dimension particulière.  Ils permettent en effet à des groupes non-étatiques de renverser localement le rapport de force en mettant hors de combat, avec une relative facilité, certains attributs classiques de la puissance militaire : véhicules blindés, positions de combat fortifiées, et même des hélicoptères posés ou en vol lent à basse altitude. Le but du présent article est de faire comprendre le fonctionnement de ces matériels à un public pas forcément au fait des subtilités techniques de la chose militaire. Le missile américain BGM-71 TOW, fourni par Washington à certains groupes armés syriens, sera l’épine dorsale de cette étude. La documentation technique officielle le concernant (1) est abondante, et son mode de fonctionnement est partagé par la majeure partie des missiles antichars portatifs impliqués dans le conflit. Mais d’abord, opérons une brève rétrospective.

Avant l’ATGM: toujours plus gros, toujours plus lourd

Avant l’avènement du missile, le combattant à pied n’avait guère que trois options pour neutraliser un char. 1) Miner le terrain, avec des résultats aléatoires. 2) Plaquer, à la main, une charge sur l’engin, avec tous les risques que cela comportait. 3) Tirer un projectile capable de neutraliser le char. La troisième option était de loin la plus sûre. Cela commença avec des fusils de très gros calibre. Mais au fil de l’évolution des blindés, il fallut vite des canons volumineux, lourds, peu mobiles, exposés au feu des chars, de l’artillerie et de l’aviation, ainsi qu’aux assauts de l’infanterie.

Le canon antichar allemand Panzerabwehrkanone 43 de 8.8cm, apparu en 1943. Son obus perforant de 7,3 kg, lancé à 1100 m/s, porte à 4000m et vient à bout des chars les plus coriaces du moment. Mais la pièce pèse 4,4t et manque cruellement de mobilité.

Parmi les canons antichars de la seconde Guerre mondiale, ceux qui étaient capables de mettre hors de combat un T-34 russe ou un PzKpfW IV allemand avaient une portée théorique de 1,6 à 4 km. Mais dans les faits, mettre au but sur un véhicule en mouvement à 3000 ou 4000m relevait souvent de la gageure, et les tirs efficaces se faisaient en général de nettement plus près, au prix de pertes considérables parmi les artilleurs. L’outil antichar mobile, compact, permettant au combattant à pied – ou sur véhicule léger – d’engager les chars efficacement, avec précision, à grande distance, restait à inventer.

Piloter le missile à distance: les premiers pas

L’idée d’un missile dont le tireur pourrait piloter la trajectoire jusqu’à la cible fut explorée dès la Seconde Guerre mondiale, notamment par l’Allemagne, qui employa des missiles air-surface radioguidés, pilotés depuis l’avion lanceur au moyen d’une manette dédiée. Ces engins disposaient de surfaces de contrôle – des ailerons mobiles – associées à un gyroscope, et d’un balisage luminescent à l’arrière pour être vus de l’opérateur. Une formule qui reste valide de nos jours. L’un de ces missiles –un Fritz-X– coula le cuirassé italien Roma, qui allait se livrer aux Alliés. Le concept était tentant pour un usage sol-sol, notamment contre les chars, mais le radioguidage, sensible aux mesures de brouillage, ne convenait pas. Après-guerre, en France, chez Nord Aviation, on développa pour la lutte antichar le concept du filoguidage. Celui-ci fut initié en Allemagne vers 1943 pour un projet de missile air-air anti-bombardiers, le X-4. Le principe consistait à piloter le missile au moyen d’une manette, l’engin étant relié au système de guidage via des fils électriques dont un petit dérouleur maîtrisait la tension tout au long du vol. Nord Aviation produisit ainsi les missiles SS-10 (entré en service en France en 1955), SS-11 (1956) et ENTAC (Engin Teléguidé AntiChar, 1958), qui rencontrèrent un succès commercial mondial, y compris auprès des USA. La portée du SS-10 était de 1600m, celle de l’ENTAC de 2000m et celle du SS-11 de 3000m. Ces systèmes furent principalement montés sur des véhicules, voire des hélicoptères.

Jeep équipée du missile français ENTAC, de 2000m de portée. Le système est rechargeable et trois engins supplémentaires sont embarqués. La haute mobilité tactique est enfin au rendez-vous. La précision effective, nettement moins…

MCLOS (prononcé ɛmclɔs, pour Manual Command to Line Of Sight) : c’est l’acronyme désignant le principe de guidage des SS-10, SS-11 et ENTAC. Le tireur pilote littéralement le missile depuis le lancement jusqu’à l’impact. Le missile embarque, à l’arrière, des dispositifs luminescents au magnésium qui permettent au tireur de conserver le contact visuel avec l’engin pendant toute la durée du vol. Suivant des yeux à la fois la cible et le missile à travers un viseur télescopique, le tireur contrôle la trajectoire de l’engin au moyen d’une manette, cherchant à superposer visuellement la lueur des lampes et la cible, jusqu’à l’impact. Le système, innovant et rapidement imité en URSS, manquait toutefois d’efficacité en engagement réel, notamment sur cible mobile. Les taux de coups au but étaient bas. Le guidage en vol était, en effet, très délicat et nécessitait, de la part du tireur, un degré de concentration peu compatible avec le stress du combat.

Puissance de feu, précision et mobilité réunies

Pour créer une réelle insécurité à l’encontre des blindés, il fallait quelque chose qui, tout en restant compact, soit plus aisé à guider. Aux Etats-Unis, dans le courant des années 1960, Hugues Aircraft conçut ce qui allait devenir le BGM-71 TOW (Tube-launched, Optically tracked, Wire-guided ou « lancé d’un tube, suivi par voie optique, filoguidé »). Ce système entra en service en 1970 au sein des forces US, pour être employé par le combattant à pied, mais aussi sur affût embarqué pour véhicule, ou encore sur hélicoptère. Outre sa portée utile très élevée, proche de 4 km – comme les plus puissants canons antichars des années 1940 –, Il intégrait des avancées qui allaient en faire la référence mondiale dans son domaine. Notamment le conditionnement du missile dans un tube protecteur scellé dont il ne sortira que pour voler vers sa cible, et sa méthode de guidage – détaillée ci-après.

Opération de chargement d’un système BGM-71 TOW par un sergent de la 25e Division d’Infanterie de l’US Army en Irak, en 2007. Le tube scellé contenant le missile est inséré dans le tube de lancement. Photo Tech. Sgt. Maria J. Bare, USAF

SACLOS : Semi-Automatic Command Line Of Sight. C’est le principe de guidage du TOW et des nombreux ATGM qui s’inspireront de lui jusqu’à nos jours. Le viseur télescopique offre une image évoquant celle que peut voir un tireur de précision dans la lunette de son fusil. Le missile vole en permanence sur la ligne de visée, matérialisée par le centre du réticule du viseur. Que la cible soit fixe ou mobile, le tireur n’a qu’à constamment aligner dessus le réticule de son viseur jusqu’à l’impact. Comment cela fonctionne-t-il? Le missile emporte, à l’arrière, un jeu de balises luminescentes et/ou thermiques. Tout en permettant au tireur de conserver le contact visuel avec l’engin, ces balises informent le système de guidage, via un traqueur optique ou thermique, de la situation du missile par rapport à la ligne de visée. En cas d’écart dû, par exemple, à un déplacement du viseur pour suivre une cible mobile, l’unité de guidage actionne, via les fils qui la relient au missile, les surfaces de contrôles (ailerons) pour aligner l’engin avec la ligne de visée. Contrairement au système MCLOS, il ne s’agit plus de piloter le missile en observant sa trajectoire et en corrigeant manuellement les écarts. Il faut simplement maintenir deux points – la cible et le centre du réticule – alignés jusqu’à l’impact.

Représentation de ce que doit voir le tireur TOW au fil du vol du missile, même si la cible est mobile: il n’y a dans ce cas aucune correction à faire, si ce n’est maintenir le réticule sur la cible jusqu’à l’impact. Illustration issue du « Field Manual » FM 3-22.34 de l’US Army.

Les composants du poste de tir TOW, à assembler sur place avant usage. Illustration issue du « Field Manual » FM 3-22.34 de l’US Army. Traduction: auteur.

Ci-dessous, une vidéo illustrant un engagement réel du système BGM-71 TOW contre un hélicoptère russe posé en Syrie, au mont Turkmène, dans le gouvernorat de Lattaquié. Ce document a le mérite d’illustrer clairement le déploiement du poste de tir et sa mise en œuvre jusqu’à l’impact du missile. L’observateur attentif distinguera les fils tendus à la sortie du tube, permettant au système de contrôler électriquement le vol du missile. De même, on notera la balise lumineuse au xénon à l’arrière du missile, qui permet de le distinguer en vol, et qui communique à un traqueur optique la position de l’engin par rapport à la ligne de visée.

Vue en coupe d’un missile TOW du modèle BGM 71F. Noter à l’arrière: 1) le dérouleur de fil « wire dispenser » (un de chaque côté) et 2) les deux balises, thermique et optique, « thermal beacon » et « xenon beacon », qui renseignent l’appareil de guidage sur la position du missile et les corrections de trajectoire à appliquer.

Le missile TOW vient d’être tiré. Le moteur fusée est à la fin de ses 0,05 sec de fonctionnement. Le moteur de croisière, dont on distingue une des deux tuyères sur le flanc, au milieu de l’engin, va prendre le relai, sans émettre de fumée. L’empennage arrière est déployé. L’empennage central est en train de se déployer. Les fils électriques reliant le missile au poste de tir sont bien visibles. Photo: US Army, Pfc. Victor J. Ayala, 49th Public Affairs Detachment (Airborne)

Le TOW révolutionna la lutte antichar en donnant au combattant à pied un condensé peu commun de puissance de feu, de probabilité de neutralisation d’un char dès le premier tir, et de mobilité. Assemblé rapidement sur site, le poste de tir représente un ensemble de moins de 100 kg, chaque missile pesant une vingtaine de kg. Le système, chargé, mesure 1,30m. La portée théorique est identique à celle des meilleurs canons antichars de la seconde guerre Mondiale pour une masse divisée par quarante-quatre et une compacité incomparable. L’effet terminal est également bien meilleur, les charges offensives ayant techniquement évolué, tout comme l’ont fait les blindages. D’ailleurs, s’il avait fallu continuer à compter sur des pièces d’artillerie à tir direct, elles n’auraient cessé de grandir et de s’alourdir pour pouvoir vaincre les blindages actuels en délivrant des obus de 120 mm ou plus, devenus la norme pour les canons de chars modernes. On notera que la palette des ATGM filoguidés SACLOS s’étend bien au-delà du TOW, celui-ci ayant inspiré une vaste gamme de systèmes. Mentionnons par exemple le MILAN du groupe Euromissile (aujourd’hui MBDA), les systèmes russes 9K111 Fagot, 9M113 Konkurs, 9M115 Metis ou 9M133 Kornet, le Toophan, copie iranienne du TOW, ou encore le HOT franco-allemand, qui arme encore les hélicoptères légers SA-342M Gazelle de l’armée de Terre française – et, pour la petite histoire, les SA342 de l’aviation syrienne.

Un système 9M113 Konkurs russe (code OTAN AT-5 Spandrel) vu ici en Irak, employé par l’Etat islamique et photographié pour les besoins de sa propagande. Photo: EI, « Wilayat Diyala ».

Un gros bâton dans les roues – et dans les chenilles – des armées régulières

La prolifération de ces systèmes sur un théâtre comme la Syrie remet en cause la sécurité des véhicules blindés, y compris les chars lourds les plus modernes et évolués. Cela favorise nettement les groupes armés non gouvernementaux, qui peuvent ainsi remettre en cause un des aspects cruciaux de la supériorité des armées régulières. Ainsi que l’ont montré les Américains à Falloujah en 2004, la disponibilité du char pour délivrer des tirs directs sur les verrous adverses est un atout considérable, même face à un ennemi non régulier. Et, le combat s’intensifiant, ne pas pouvoir le déployer à sa guise constitue une friction fâcheuse. Paradoxalement, ces mêmes armées régulières sont parfois, à leur corps défendant, de gros fournisseurs d’ATGM auprès des groupes armés. Deux canaux conséquents sont le butin laissé à l’ennemi à l’occasion de divers revers, et le marché noir animé par des militaires corrompus. La fourniture d’ATGM est également un bras de levier considérable pour les Etats pratiquant la proxy-war, la guerre par procuration à travers des groupes non étatiques. En ce sens, les ATGM rejoignent tardivement les MANPADS – Man Portable Air Defense Systems, missiles antiaériens portables par le combattant à pied – dans la guerre asymétrique, et notamment dans ce que certains penseurs de la guerre appellent techno-guérilla. Les forces israéliennes ont eu en 2006, face au Hezbollah, un avant-goût amer du problème. En Syrie, outre l’armée de Bachar al-Assad, les forces turques ont durement expérimenté la menace que représentent les ATGM. Lors de ses confrontations avec l’Etat islamique dans la région d’al-Bab, l’arme blindée turque a perdu plusieurs chars du fait de missiles filoguidés. De vieux M-60 américains modernisés tout d’abord, puis des Leopard 2 allemands, figurant parmi les tout meilleurs chars de notre temps. Les missiles incriminés étaient probablement des Fagot ou Kornet russes, pris en grand nombre aux armées irakienne et syrienne. Quoique l’EI ait également utilisé, à ses moments perdus, des TOW capturés sur ses rivaux rebelles, ou encore détournés.

Le 13 décembre 2016 dans le secteur d’al-Bab en Syrie: l’armée turque combat l’Etat islamique. Le char Leopard 2 visible au second plan de la photo du haut est la cible d’un ATGM qui va faire mouche et le mettre hors de combat. La fumée noire dégagée par le propulseur du missile fait penser à un engin russe (Fagot ou Kornet par exemple) plutôt qu’à un TOW, visuellement plus discret. Photos: EI « Wilayat Halab ».

Le filoguidage et le système SACLOS ont beau condenser de nombreux avantages, ils n’en ont pas moins quelques points faibles. Les fils sont déroulés au fil du vol du missile, de sorte à ne pas être trop tendus. Il s’agit d’éviter que la traction ne les casse. Il est courant qu’ils touchent le sol. Il peut arriver qu’alors, ils s’accrochent dans la végétation et s’y brisent. S’ils se trouvent immergés dans de l’eau, même très peu profonde (par exemple une mare se trouvant entre le tireur et la cible), la moindre traction les brise également. En outre, le vol du missile peut durer une vingtaine de secondes pendant lesquelles le poste de tir et son personnel sont vulnérables car il faut tenir la visée jusqu’à l’impact. C’est d’ailleurs notamment pour cela que certains véhicules suicide ont été équipés par les jihadistes d’un poste de mitrailleur: le tir de la mitrailleuse permet de perturber le travail des servants d’ATGM, qui sont souvent les adversaires les plus efficaces du kamikaze motorisé. Pour palier à ces inconvénients, d’autres systèmes ont été développés et ont commencé à entrer en service voici une dizaine d’années.

La nouvelle génération: des jouets de riches?

Fire and Forget – « tire et oublie »: c’est le principe fondamental qui caractérise la nouvelle génération d’ATGM, comme notamment le FGM-148 Javelin US. Le missile est verrouillé sur une cible avant le tir. Une fois lancé, il la poursuit sans intervention du tireur, ce qui permet à l’équipe mettant le système en œuvre de se mettre à couvert pour se soustraire à la riposte adverse. Typiquement, le tireur alignera son viseur à imagerie thermique sur la cible et encadrera celle-ci étroitement entre des crochets à géométrie variable situés au centre de l’image. L’autodirecteur du missile, situé à l’avant du corps de l’engin, mémorisera l’« image » thermique de la cible contenue entre les crochets, et poursuivra ladite cible jusqu’à l’impact.

Tir d’un FGM-148 Javelin par un personnel de la 12th Armoured Infantry Brigade britannique, dans la plaine de Salisbury, en mars 2015. Photo: Photo: Steve Dock/ British MOD

Les avantages de la formule sont considérables. Les opérateurs peuvent se mettre à couvert dès le départ du missile, puisque ce dernier est entièrement autonome une fois tiré. La portée est généreuse – de l’ordre de 4,75 km. Il est possible de choisir parmi deux types de trajectoire: directe, pour frapper un point précis sur un bâtiment, par exemple; parabolique, pour frapper un blindé par le haut, où le blindage est moins conséquent que devant, derrière ou sur les flancs. La charge offensive est d’une efficacité redoutable. Mais la perfection n’est pas de ce monde. Ainsi, l’autodirecteur doit être refroidi avant le tir. Le préavis est d’une trentaine de secondes dans les conditions climatiques typiques de l’Europe centrale. Au combat, beaucoup de choses peuvent se passer en trente secondes. Et si le théâtre d’opérations est dans une région au climat chaud, le préavis peut être nettement plus long. De plus, ces systèmes sont particulièrement onéreux. A titre d’exemple, la Défense US payait environ 153.000 $ par missile (nous parlons bien du seul projectile) Javelin lors de l’année budgétaire 2015 (2), contre environ 59.000 $ pour un missile TOW l’année précédente (3). Si le TOW ne saurait être considéré comme un armement à bas coût, le Javelin est dispendieux, voire inaccessible, pour une belle majorité des budgets militaires de la planète. Cet inconvénient rend fort peu probable la prolifération de tels systèmes dans l’immédiat. D’ailleurs, le Javelin n’a été vu en Syrie qu’aux mains d’opérateurs des forces spéciales occidentales. Ci-dessous, il est employé par des opérateurs français imbriqués avec le mouvement kurde YPG dans le nord de la Syrie. Comme un véhicule suicide de l’EI se dirige vers leur position, un MILAN (ATGM SACLOS comparable au TOW) le manque et un Javelin met un terme aux velléités du kamikaze.

En guise de conclusion

Les missiles filoguidés SACLOS se sont illustrés dans un contexte asymétrique bien avant le conflit syrien, et plus particulièrement lors de la confrontation au Liban entre le mouvement chiite Hezbollah et Israël, du 12 juillet au 14 août 2006. Sur 52 chars israéliens Merkava touchés, 45 l’ont été par des ATGM. Parmi ces derniers, 22 ont vu leur blindage pénétré. Seulement 4 de ces occurrences ont entraîné la destruction pure et simple du char, mais les autres cas n’en furent pas moins problématiques (4). Le dépannage d’un char endommagé et la récupération de son équipage sur un champ de bataille « chaud » constituent un exercice dangereux qu’on se passerait volontiers de devoir exécuter. Sans parler des 15 membres d’équipage tués par ces impacts de missiles, ni des nombreux blessés. Tout cela en un mois de conflit contre un acteur non étatique… Israël a depuis développé un système anti-missiles pour ses blindés, le Trophy (5). Il détecte le missile en approche et l’intercepte au moyen de projectiles. Une méthode efficace à défaut d’être infaillible, mais qui peut compliquer la cohabitation du char et du fantassin. Sans parler de l’impact sur les budgets, la logistique et la maintenance.

Les ATGM figurent, avec les MANPADS, parmi les moyens qui confèrent aux mouvements armés non étatiques des capacités qui leur ont longtemps été inaccessibles. Il en va de même pour les drones civils – qui sont militairement bien plus dangereux par leur aptitude à délivrer en temps réel une vue aérienne du champ de bataille que par leur capacité à lancer de petits engins explosifs si on les bricole pour ce faire (5). On pourrait d’ailleurs aussi mentionner les moyens numériques de communication, y compris Internet, parmi les attributs de nature à faire des techno-guérillas (6) des adversaires de plus en plus difficiles à affronter. L’acteur armé non étatique est depuis toujours vaporeux par nature. Il se fond dans la population, et se condense fugitivement ici ou là avant de disparaître à nouveau. Aujourd’hui, il dispose de moyens lui permettant de voir large et loin, de communiquer efficacement sur le champ de bataille, de contester la supériorité des feux étatiques et d’occuper la scène médiatique mondiale. Raison de plus pour revenir aux fondamentaux et se rappeler que c’est sur le terrain politique que ces mouvements devront être vaincus, afin que leurs effectifs combattants ne comblent pas leurs pertes par l’afflux de nouvelles recrues. Faute de quoi l’on se condamnera à subir pendant fort longtemps de lourds dommages quotidiens face à des forces aussi insaisissables que modernes et meurtrières. Par exemple, l’Egypte du maréchal Abdel Fattah al-Sissi nous en livre un cuisant exemple face à l’EI au Sinaï.

Jean-Marc LAFON

  1. Tel le Field Manual FM 3-22.34, accessible au public et que l’on peut librement consulter, par exemple chez globalsecurity.org
  2. http://www.fi-aeroweb.com/Defense/Javelin-Anti-Tank.html
  3. http://www.fi-aeroweb.com/Defense/BGM-71-TOW.html
  4. The war in numbers. Jane’s Defence Weekly, 23 aout 2006
  5. Nous parlons bien ici d’effets sur le champ de bataille, pas de terrorisme en environnement civil.
  6. Lire à ce sujet Techno-guérilla et guerre hybride: Le pire des deux mondes, de Joseph Henrotin, aux éditions Nuvis (2014).

A propos Jean-Marc Lafon

Cofondateur du think-tank Action Résilience. Fondateur et webmaster de Kurultay.fr. Observateur des mouvements jihadistes, du terrorisme et des conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient et en Afrique. Veille et analyse. Audit et consulting en prévention des tensions politiques, religieuses et de la radicalisation. Spectateur engagé (clin d’œil à Raymond Aron) du cours des planètes en général, et de la nôtre en particulier. Twitter: @JM_Lafon
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4 réponses à TOW, le missile phare du conflit syrien: de la genèse à la techno-guérilla

  1. Jeb dit :

    Bonsoir,

    Merci pour votre post.

    Je me demande si les Javelin aux mains des Forces Spéciales USen Syrie/Iraq, ont inversé la tendance vis à vis des SVBIED de Daech ?
    -> Les Milan/TOW/Konkurs me semblent être peu adaptés pour des véhicules « rapides » tel que les SVBIED. Il existe même une vidéo où on voit un MILAN rater sa cible détruite quelques instants plus tard par un Javelin.

    Salutations

    Jeb

    • Bonjour,

      Merci pour votre commentaire. J’ai édité l’article pour y ajouter la vidéo de l’incident dont vous parlez.
      Il en va des missiles SACLOS comme d’à peu près tout ce qui s’achète: il y a mieux mais c’est plus cher. De fait, le Javelin offre une prestation très adaptée à ce genre de situation, pour autant qu’on ait eu le temps de refroidir son autodirecteur avant qu’il ne soit trop tard.

      Bien à vous,
      JML

  2. Conan dit :

    Notez que le MMP aura les deux modes de guidage, Filoguider et T&O

  3. Sovngard dit :

    Très bon article mais j’ai quelques remarques à faire :

    1. Si l’on s’en réfère au tome 10 du COMHART ; « Armements antichars missiles guides-et non-guidés » les termes français pour MCLOS et SACLOS sont :

    – Téléguidage manuel
    – Télécommande automatique (TCA)

    2. Au sujet de la tension relative au fils de guidage, je ne sais pas si c’est le cas sur d’autres missiles antichar mais sur l’Eryx, il y a bien une traction filaire qui s’exerce et cette dernière est non négligeable, le poste de tir étant tiré vers l’avant durant toute la durée du vol du missile.

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