Faribole sur un appel au meurtre

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Capture d'écran de la page de Dar al-Islam appelant au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa

Capture d’écran de la page de Dar al-Islam appelant au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa

Le 20 août 2016 a paru le numéro 10 de Dar al-Islam, publication en ligne officielle, en langue française, de l’Etat islamique – alias EI ou Daesh. En page 47 de cette édition figure l’appel à tuer l’imam brestois Rachid Abou Houdeyfa. Le 22 au matin, nous écrivons ces lignes sans qu’aucun personnage officiel de la République ni aucun média de premier plan ne se soit, à notre connaissance, manifesté à ce sujet (1).

L’appel au meurtre publié par Dar al-Islam est assorti d’une photo de Rachid Abou Houdeyfa, de l’adresse de sa mosquée, d’une vue satellite Google Maps et de la mention « imam de l’apostasie vendant sa mécréance avec éloquence ». Il est reproché à l’imam « son appel à voter aux élections françaises et à participer au système démocratique », « son invocation en faveur du taghut (2) du Maroc » pour avoir écrit sur sa page Facebook « le roi du Maroc (que Dieu le protège) », et le fait qu’il se réfère à la loi française, qu’il appelle à respecter. Suit une mention visant à motiver l’appel au meurtre, titrée « jugement légal », où sont cités le prophète Mohammed ainsi que les théologiens Ibn Qudamah al-Maqdisi et Ibn Taymiyya, à propos de l’apostasie et du fait d’être apostat « en terre de mécréance ». L’idéologie jihadiste considère tout autre fondement légal que la charia – démocratie, constitution, législation – comme de l’idolâtrie. Elle voit en tout musulman y adhérant un apostat.

Il n’est pas question ici d’entrer dans le débat sur la doctrine que professe l’imam Abou Houdeyfa. Il est évident que la critique de son discours relève du droit de chacun d’avoir une opinion et de l’exprimer. Il est tout à fait clair qu’il n’incarne pas la vision la plus communément admise par le gros de l’opinion publique en France de la religion – musulmane ou autre. En somme, libre à qui veut de rejeter son discours, sa doctrine, et même, s’il le souhaite, de le combattre sur le terrain argumentaire. Reste qu’un citoyen français fait l’objet d’un appel au meurtre par une organisation terroriste contre laquelle nous nous trouvons en guerre – un état de guerre incontestable car revendiqué par les deux parties. En guerre, au-delà des niaiseries manichéennes, il convient de faire le nécessaire pour… gagner, par exemple.

En gardant un silence confus, en ne condamnant pas cet appel au meurtre, en le mettant sous l’éteignoir, la France, son exécutif, sa classe politique et ses médias commettraient une erreur stratégique fondamentale. Daesh a explicitement condamné à mort un imam français parce qu’il a appelé à participer au système démocratique et à respecter la loi. S’il n’est pas soutenu par la voix et la force publiques au même titre que n’importe quel autre citoyen menacé de la sorte, nous adresserons un message à tout un auditoire musulman, et pas seulement parmi ceux qu’attirent les interprétations rigoristes de l’islam : qu’importe que vous appeliez à une pratique respectueuse des lois et des institutions de la République, la France ne vous soutiendra pas face aux terroristes car elle ne vous aime pas. Au-delà même de la dimension morale de la question, cela revient à livrer à l’ennemi une sérieuse base argumentaire illustrée par l’exemple. L’exemple d’une République dont les voix officielles martèlent qu’il faut combattre les jihadistes aux côtés des musulmans, mais dont les actes projetteraient une réalité quelque peu différente.

Il est urgent de cesser d’attendre, car il n’a pas encore été donné corps à l’appel au meurtre. Celui qui visait Charb a été publié par Al Qaeda en mars 2013. On n’avait d’ailleurs guère attendu pour en informer le public (3). Et s’il a fallu près de deux ans, à l’époque, pour que l’assassinat ait lieu, il y a fort à craindre que les délais de réaction des candidats à l’acte terroriste sur le sol national aient considérablement rétréci depuis. Il faudrait alors gérer à la fois le drame et ses conséquences. Ces dernières seraient lourdes. Gouverner, c’est faire des choix.  Celui de l’unité devrait aller de soi, surtout « en temps de guerre ».

Jean-Marc LAFON

  1. A l’heure où nous publions, BFMTV vient de se manifester sur le sujet : Daesh appelle au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa, imam de Brest – Paul Aveline pour BFMTV : http://www.bfmtv.com/international/daesh-appelle-au-meurtre-de-rachid-abou-houdeyfa-imam-de-brest-1028447.html
  2. Taghût : le terme désigne, sur le plan politique, toutes les lois autres que celles d’Allah (la charia), par nature illégitimes, ainsi que ceux qui gouvernent selon ces lois.
  3. Charb dans le viseur d’Al-Qaida – Guillaume Novello pour Métro News : http://www.metronews.fr/info/al-qaida-cible-le-caricaturiste-charb-charlie-hebdo/mmcc!x06QXaAzDg5s/

A propos Jean-Marc Lafon

Cofondateur du think-tank Action Résilience. Fondateur et webmaster de Kurultay.fr. Observateur des mouvements jihadistes, du terrorisme et des conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient et en Afrique. Veille et analyse. Audit et consulting en prévention des tensions politiques, religieuses et de la radicalisation. Spectateur engagé (clin d’œil à Raymond Aron) du cours des planètes en général, et de la nôtre en particulier. Twitter: @JM_Lafon
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9 réponses à Faribole sur un appel au meurtre

  1. Elias dit :

    Votre argumentation est convaincante, mais j’ai une question annexe. Pourquoi l’EI s’en prend-t-il à Rachid Abou Houdeyfa qui n’est vraisemblablement pas le seul imam a avoir tenu des propos relevant de l’apostasie selon ces critères ? Le fait qu’il ait été médiatisé en France – François Hollande a parlé de lui je crois – en tant que figure d’islamiste a-t-il paradoxalement contribué à en faire une cible ?

    • D’une part il est à la fois philosophiquement incompatible avec eux et très charismatique. D’autre part, le cibler est vecteur de division, et c’est bien pour cela que rester indifférent serait une faute politique lourde.
      JML

      • lym dit :

        Sincèrement, le vote pour ce genre de type qui a tenu des propos inadmissibles, je vois cet appel au vote comme un autre moyen de nous faire du tords: Eh oui, la démocratie permet de foutre en l’air… la démocratie! C’est sa grande faiblesse, Hitler lui même en avait profité.

        Qu’on le défende, ce serait aussi conforter des idées extrémistes auprès de la communauté.

        A l’époque de Saddam Hussein, les islamistes pendus restaient accrochés en place publique, jusqu’a pourissement complet, car cela leur interdirait dans leur croyance l’accès au paradis…

        Dissuasif pendant des décennies.

        Plus proprement, il y a un moment ou il faudrait plutôt avoir des attitudes qui causent à ces gens, alors que nous venons d’enterrer discrètement un des « courageux » assassins d’un curé de 80 balais passé.

        Avant de devoir en arriver a la méthode russe à Beyrouth (30 ans de tranquilité) dans les années 80: Taper les familles terreau de ces individus. La mère de Merah, patisseries orientales et youyous pour fêter son fils, comment peut-elle ne pas avoir eu un fâcheux accident?

      • Jeb dit :

        Bonjour,

        Merci de votre « coup de gueule ».
        Il faut noter que chez les « puritains », Monsieur Houdeyfa est très contesté et considéré comme étant un « mou ».
        Sa vision attire plutôt un public jeune, que les intellectuels « ultra » .

        Il me semble qu’ un réveil à eu lieu chez les (ultra) puritains (quiétistes ou non) après les attentats de l’Aéroport d’Istanbul, de Médine et deSsaint-Etienne de Rouvray.
        Il y a toujours chez eux la notion que la France et l’Occident sont en guerre « contre l’islam », mais l’EI a pris une dimension
        de groupe déviant, s’engouffrant dans un surenchérissement de violence à l’encontre des Musulmans.
        Ce qui n’était pas forcement le cas auparavant, où l’EI faisait figure de « moins-pire » défendant (mal) les Sunnites.

        Salutations

        Jeb

  2. Elias dit :

    Au delà de la condamnation de principe de cet appel au meurtre que vous réclamez à juste titre, est-ce que ne se pose pas aussi la question des mesures de protection à prendre? Si les autorités s’avisaient d’affecter des fonctionnaires de police à la protection de l’imam de Brest comme elles l’avaient fait pour Charb, on peut s’attendre à des polémiques sur le mode « voyez braves gens pour qui on utilise l’argent de vos impôts …. » Le silence actuel des autorités ne pourrait-il pas s’expliquer par le souci d’éviter une agitation de ce genre ?

    • Je ne sais pas. Peut-être. Et si c’était cela, ça ne règlerait pas le sujet des médias. Il a fallu un petit battage aujourd’hui sur certains réseaux sociaux pour que BFMTV franchisse le pas et annonce les faits. D’autres ont suivi très timidement, principalement des titres régionaux.

  3. Onate dit :

    Bonjour,

    C’est le piège de la démocratie !
    Ne rien faire est une faute politique grave pour le monde musulman (celui de la rue dit « modéré » – mais ce terme Occidental n’a aucun sens, et chez les extrémistes – les islamistes – car il n’y a en fait que deux catégories : musulmans et islamistes, les autres qualificatifs sont jeux de l’instant dans lesquels les « instruits Occidentaux ou occidentalisés de l’islam » nous perdent pour nous montrer qu’ils nous sont indispensables).
    Agir officiellement est une faute politique grave pour la majorité de la population française.
    Donc nos adversaires nous piègent dans les fondements de la démocratie, car ils nous connaissent très bien. Bien mieux que nous ne les connaissons.
    La seule solution est l’action… seule respectés dans le monde réel (hors des cabinets ministériels)… mais pour agir, il faut du courage et une vision à long terme.
    L’Occident fait de plus en plus la politique de la semaine prochaine par rapport aux sondages de la semaine dernière… le reste du monde parle d’hier en parlant d’il y a 1000 ans et de demain pour parler de ce que vont vivre les enfants de leurs enfants…

    Le manque de connaissance des cultures du reste du monde par l’Occident se paye très cher, et va se payer encore plus cher demain car l’Occident n’est plus le maître du monde… depuis la dernière guerre mondiale il a perdu toute ses guerres (les peuples en mouvement le savent et sont capables d’accepter le sacrifice de la vie pour la victoire de demain.
    L’Orient et l’Orient Arabe est très complexe, les solutions sont aussi complexes, mais toutes ont un point commun, l’acte qui doit être mené jusqu’au bout et la victoire sera salué si elle n’a pas humiliée.
    Cet Iman doit être poursuivit et condamné pour son discours général islamiste… et protégé sans aucune hésitation contre l’EI.

    • Jeb dit :

      Bonsoir,

      « Cet Iman doit être poursuivit et condamné pour son discours général islamiste… et protégé sans aucune hésitation contre l’EI »

      La première partie est impossible: on ne peut pas poursuivre en justice quelqu’un pour son opinion religieuse tout aussi exécrable soit-elle; tout comme l’on ne peut poursuivre en justice quelqu’un pour Islamophobie (= haine de l’Islam).
      Les frontières « dogme religieux/idéologie haineuse » et « critique de l’Islam/haine de l’Islam et des musulmans » existent, mais sont floues.

      Ce sont la démocratie et la liberté d’expression que nous défendons à juste titre, qui engendrent cet état des choses. Notre force et aussi notre faiblesse.

      En espérant ne pas avoir déprimé trop de monde.

      Meilleures salutations

      Jeb

  4. Onate dit :

    Bonjour,

    C’est le piège de la démocratie !
    Ne rien faire est une faute politique grave pour le monde musulman (celui de la rue dit « modéré » – mais ce terme Occidental n’a aucun sens, et chez les extrémistes – les islamistes – car il n’y a en fait que deux catégories : musulmans et islamistes, les autres qualificatifs sont jeux de l’instant dans lesquels les « instruits Occidentaux ou occidentalisés de l’islam » nous perdent pour nous montrer qu’ils nous sont indispensables).
    Agir officiellement est une faute politique grave pour la majorité de la population française.
    Donc nos adversaires nous piègent dans les fondements de la démocratie, car ils nous connaissent très bien. Bien mieux que nous ne les connaissons.
    La seule solution est l’action… seule respectés dans le monde réel (hors des cabinets ministériels)… mais pour agir, il faut du courage et une vision à long terme.
    L’Occident fait de plus en plus la politique de la semaine prochaine par rapport aux sondages de la semaine dernière… le reste du monde parle d’hier en parlant d’il y a 1000 ans et de demain pour parler de ce que vont vivre les enfants de leurs enfants…

    Le manque de connaissance des cultures du reste du monde par l’Occident se paye très cher, et va se payer encore plus cher demain car l’Occident n’est plus le maître du monde… depuis la dernière guerre mondiale il a perdu toute ses guerres (les peuples en mouvement le savent et sont capables d’accepter le sacrifice de la vie pour la victoire de demain.
    L’Orient et l’Orient Arabe est très complexe, les solutions sont aussi complexes, mais toutes ont un point commun, l’acte qui doit être mené jusqu’au bout et la victoire sera salué si elle n’a pas humiliée.
    Cet Iman doit être poursuivit et condamné pour son discours général islamiste… et protégé sans aucune hé

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