Le jour d’après l’assassinat d’Hervé GOURDEL

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Daesh, l’Etat islamique, le califat, appelez-le comme vous voudrez, est en guerre. Et sa manière de la livrer montre qu’il a compris les aspects fondamentaux du concept « guerre ». Et nous ?

Il est intéressant de noter que les médias français ont, pour nommer ce qui est arrivé au malheureux Hervé GOURDEL, majoritairement abandonné le terme « exécution », trop souvent usité pour parler des mises à mort d’otages étrangers, adoptant celui, certainement plus approprié, d’ « assassinat ». Ca ne nous ramènera pas la victime de cet acte odieux, mais il est sain qu’on appelle enfin un chat un chat. Ceci étant, parmi ces mots dont on cerne parfois mal la portée, il est un leitmotiv délivré, parfois avec emphase et comme en 14, par les éditorialistes en ce triste matin du 25 septembre 2014 : la « guerre ».  Certes. Mais encore ?

C’est pour le passionné de stratégie presque un poncif : Clausewitz disait de la guerre qu’elle était une façon de faire de la politique par d’autres moyens. En somme, le principe est simple : dans un cadre politique, on a un objectif, et la volonté d’atteindre cet objectif. Mais quelqu’un voit cet objectif politique menacer ses propres intérêts, et donc il s’y oppose. Si cette opposition de volontés ne peut se résoudre par la négociation, elle changera de registre. Et c’est l’outil militaire qui devra permettre d’atteindre l’objectif politique en réduisant la partie adverse de sorte qu’elle ne puisse plus s’y opposer. L’opposition des volontés devient violente au sens littéral du terme. Voilà la théorie.

Voyons, dans la pratique, comment Daesh met en œuvre ces principes fondamentaux. L’état final recherché est éminemment politique : le califat islamique global dominant l’ensemble du monde selon les termes de la loi islamique. Mais cela n’est possible qu’en s’en donnant les moyens, en mettant un pied devant l’autre pour ainsi dire. Là sont les objectifs politiques actuels de Daesh : 1) contrôler un territoire pour en exploiter les ressources et y baser le noyau politique, économique et militaire du jihad ; 2) réussir une véritable OPA sur l’activisme fondamentaliste musulman sunnite à travers le monde en vue d’une démarche globale et unifiée. Le 1) a été en partie réalisé, par la voie des armes, sur de vastes portions de territoire syrien et iraquien d’où Daesh se livre à une lucrative contrebande de pétrole. Le 2) est en cours de réalisation, à travers un usage professionnel et stratégique de la communication comme un puissant outil de recrutement, y compris via la « ringardisation » d’entités préexistantes comme Al Qaïda.

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Tâchons maintenant d’examiner la démarche que les occidentaux donnent à voir au monde à l’occasion de la crise actuelle, initiée par l’offensive audacieuse de Daesh en Irak. Dans un premier temps, l’arme de communication massive de Daesh a semé l’effroi à travers le monde en mettant en scène le sort peu enviable que cette entité réserve à ses ennemis. Dans un second temps, Barack OBAMA a ouvertement pris le parti de l’Irak et des Kurdes d’Irak — montrant là toute la souplesse de ses adducteurs — contre Daesh, en n’omettant pas de préciser qu’il n’avait pas de stratégie. Est-ce par mimétisme qu’aujourd’hui François HOLLANDE annonce, plusieurs jours après avoir débuté l’opération militaire française contre Daesh, qu’il réunit un conseil de défense pour en définir les objectifs — ce qui sous-tend qu’on a démarré une opération sans objectif ? Enfin, clou du spectacle : les occidentaux jurent leurs grands dieux qu’ils n’enverront pas de troupes au sol, annonçant ainsi à leur ennemi les limites de l’opération qu’ils ont lancée sans objectif ni stratégie.

Prenons garde car les faits sont têtus. Nous avons vu que l’un des fondements absolus de la guerre  est qu’elle sert à poursuivre un objectif politique. Mais un autre aspect fondamental de la chose s’impose à toute volonté : quand on ne peut pas détruire un ennemi, il faut tôt ou tard négocier avec lui. C’est précisément ce qui est en train de se passer en coulisses avec les talibans afghans que les occidentaux n’ont pas pu détruire. A quoi ressemblerait, dans les têtes des dirigeants occidentaux, la victoire dans la guerre que l’on a d’ores et déjà commencé à mener contre Daesh ? Je les soupçonne fortement de n’en avoir aucune idée,. Si l’on ignore ce que serait la victoire, comment voudrait-on pouvoir gagner la guerre ? Les instituts de sondage interrogent le bon peuple, lui demandant s’il est d’accord avec la guerre contre Daesh, et le bon peuple leur répond oui. La guerre contre qui, on sait. Mais à celui qui demande « la guerre pour faire quoi ? », on ne répond que par des généralités à base de lutte contre la barbarie ou pour les grands principes. Reste qu’une guerre avec des cibles mais sans objectif, sans état final recherché, n’est pas une guerre. C’est une gesticulation militaire. Or, on ne gagne pas une gesticulation. Pas plus d’ailleurs qu’une crise. Mais on peut y perdre gros.

Aujourd’hui, on prétend armer des combattants kurdes et des groupes d’opposition syriens dits « modérés ». Exprimé en termes plus triviaux, on entend leur faire faire ce que les anglo-saxons appellent « commit the dying ». C’est-à-dire qu’on voudrait qu’ils aillent se faire tuer à la place de ceux de nos braves p’tits gars qui seraient tombés au champ d’honneur si nous les avions envoyés faire leur métier de guerriers face aux activistes de Daesh. C’est oublier un peu vite que ces combattants kurdes, chiites, sunnites, yazidis, baasistes ou encore chrétiens, que pas grand-chose n’unit et que parfois tout oppose, luttent les armes à la main pour leurs objectifs à eux, qu’ils n’ont pas oublié de définir avant de mettre leur peau à l’autre bout de leurs principes. Pas pour les nôtres, quand bien même n’en aurions-nous pas. C’est là que toute alliance trouve ses limites.

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Des centaines de jeunes occidentaux, y compris des femmes, ont pris le parti de Daesh au point d’aller grossir ses rangs sur le théâtre de ses opérations. Peut-être que la perspective d’une grande aventure pour une cause aux contours bien nets y est pour quelque chose. Quand des jeunes gens s’ennuient à mourir dans un environnement débilitant, de telles perspectives les attirent parfois. Et je doute que la cacophonie politique et la gesticulation militaire soient de nature à rendre la civilisation occidentale plus « sexy » aux yeux de cette frange de notre population dont on devrait peut-être gagner la considération en même temps qu’on lui confisque son passeport. Ma foi, quitte à ce qu’ils restent, autant que ce soit dans un état d’esprit au moins pacifique. Car enfin, quid de l’évitement d’un front intérieur à notre guerre sans buts ? C’est là aussi un enjeu qui pourrait préoccuper ceux qui se chargent, du moins on l’espère, de définir enfin les objectifs de la confrontation violente de volontés que, parait-il, l’on a déjà commencé à conduire contre Daesh.

Alors ? La guerre pour faire quoi ? Comme les têtes n’ont pas fini de tomber, il serait élégant que ce ne soit pas pour rien. Car à errer sans but sur les sentiers de la guerre, on y devient vite le faire-valoir de ses ennemis.

Jean-Marc LAFON