Faribole sur un appel au meurtre

Capture d'écran de la page de Dar al-Islam appelant au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa

Capture d’écran de la page de Dar al-Islam appelant au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa

Le 20 août 2016 a paru le numéro 10 de Dar al-Islam, publication en ligne officielle, en langue française, de l’Etat islamique – alias EI ou Daesh. En page 47 de cette édition figure l’appel à tuer l’imam brestois Rachid Abou Houdeyfa. Le 22 au matin, nous écrivons ces lignes sans qu’aucun personnage officiel de la République ni aucun média de premier plan ne se soit, à notre connaissance, manifesté à ce sujet (1).

L’appel au meurtre publié par Dar al-Islam est assorti d’une photo de Rachid Abou Houdeyfa, de l’adresse de sa mosquée, d’une vue satellite Google Maps et de la mention « imam de l’apostasie vendant sa mécréance avec éloquence ». Il est reproché à l’imam « son appel à voter aux élections françaises et à participer au système démocratique », « son invocation en faveur du taghut (2) du Maroc » pour avoir écrit sur sa page Facebook « le roi du Maroc (que Dieu le protège) », et le fait qu’il se réfère à la loi française, qu’il appelle à respecter. Suit une mention visant à motiver l’appel au meurtre, titrée « jugement légal », où sont cités le prophète Mohammed ainsi que les théologiens Ibn Qudamah al-Maqdisi et Ibn Taymiyya, à propos de l’apostasie et du fait d’être apostat « en terre de mécréance ». L’idéologie jihadiste considère tout autre fondement légal que la charia – démocratie, constitution, législation – comme de l’idolâtrie. Elle voit en tout musulman y adhérant un apostat.

Il n’est pas question ici d’entrer dans le débat sur la doctrine que professe l’imam Abou Houdeyfa. Il est évident que la critique de son discours relève du droit de chacun d’avoir une opinion et de l’exprimer. Il est tout à fait clair qu’il n’incarne pas la vision la plus communément admise par le gros de l’opinion publique en France de la religion – musulmane ou autre. En somme, libre à qui veut de rejeter son discours, sa doctrine, et même, s’il le souhaite, de le combattre sur le terrain argumentaire. Reste qu’un citoyen français fait l’objet d’un appel au meurtre par une organisation terroriste contre laquelle nous nous trouvons en guerre – un état de guerre incontestable car revendiqué par les deux parties. En guerre, au-delà des niaiseries manichéennes, il convient de faire le nécessaire pour… gagner, par exemple.

En gardant un silence confus, en ne condamnant pas cet appel au meurtre, en le mettant sous l’éteignoir, la France, son exécutif, sa classe politique et ses médias commettraient une erreur stratégique fondamentale. Daesh a explicitement condamné à mort un imam français parce qu’il a appelé à participer au système démocratique et à respecter la loi. S’il n’est pas soutenu par la voix et la force publiques au même titre que n’importe quel autre citoyen menacé de la sorte, nous adresserons un message à tout un auditoire musulman, et pas seulement parmi ceux qu’attirent les interprétations rigoristes de l’islam : qu’importe que vous appeliez à une pratique respectueuse des lois et des institutions de la République, la France ne vous soutiendra pas face aux terroristes car elle ne vous aime pas. Au-delà même de la dimension morale de la question, cela revient à livrer à l’ennemi une sérieuse base argumentaire illustrée par l’exemple. L’exemple d’une République dont les voix officielles martèlent qu’il faut combattre les jihadistes aux côtés des musulmans, mais dont les actes projetteraient une réalité quelque peu différente.

Il est urgent de cesser d’attendre, car il n’a pas encore été donné corps à l’appel au meurtre. Celui qui visait Charb a été publié par Al Qaeda en mars 2013. On n’avait d’ailleurs guère attendu pour en informer le public (3). Et s’il a fallu près de deux ans, à l’époque, pour que l’assassinat ait lieu, il y a fort à craindre que les délais de réaction des candidats à l’acte terroriste sur le sol national aient considérablement rétréci depuis. Il faudrait alors gérer à la fois le drame et ses conséquences. Ces dernières seraient lourdes. Gouverner, c’est faire des choix.  Celui de l’unité devrait aller de soi, surtout « en temps de guerre ».

Jean-Marc LAFON

  1. A l’heure où nous publions, BFMTV vient de se manifester sur le sujet : Daesh appelle au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa, imam de Brest – Paul Aveline pour BFMTV : http://www.bfmtv.com/international/daesh-appelle-au-meurtre-de-rachid-abou-houdeyfa-imam-de-brest-1028447.html
  2. Taghût : le terme désigne, sur le plan politique, toutes les lois autres que celles d’Allah (la charia), par nature illégitimes, ainsi que ceux qui gouvernent selon ces lois.
  3. Charb dans le viseur d’Al-Qaida – Guillaume Novello pour Métro News : http://www.metronews.fr/info/al-qaida-cible-le-caricaturiste-charb-charlie-hebdo/mmcc!x06QXaAzDg5s/



Processus de paix pour la Syrie: chronique d’un échec annoncé

Alep sous le feu.

La crise qui a vu l’Arabie Saoudite rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran le 3 janvier 2016 ne devait pas, selon Riyad, « compromettre les efforts de paix » pour la Syrie, censés s’exprimer à travers le « processus de Vienne » à l’occasion, notamment, d’un sommet devant se tenir à Genève début 2016. On le croit sans peine aujourd’hui encore, car les chances d’une issue favorable à ce processus semblaient d’ores et déjà pratiquement nulles avant même le dernier coup de sang diplomatique en date entre les deux principales puissances rivales de la région. D’ailleurs, les diverses pressions de dernière minute, dont certains craignent qu’elles fassent capoter le processus, ne crèveront sans doute guère qu’un pneu d’ores et déjà bien à plat. Voyons quels maux affectent les « processus de paix » qui, jusqu’à aujourd’hui, ont, sans exception, failli à leur vocation de mettre un terme à la sanglante guerre civile syrienne.

Qu’est-ce que « l’opposition syrienne » ?

« L’opposition syrienne » – soit l’ensemble des groupes, armés ou non, petits et grands, opposés au régime de Bachar al-Assad – est en cela remarquable qu’elle intègre, peu ou prou, tout et son contraire. Il n’est pas question ici d’en livrer une étude par le menu: la tâche serait immense… Donc nous synthétiserons. On y trouve des groupes animés par une interprétation des plus rigoristes de l’islam sunnite, parmi lesquels des mouvements jihadistes, aussi bien que des formations laïques et nationalistes, et toutes les nuances imaginables entre ces deux extrêmes. Le seul point commun qui les unisse tous est la volonté d’en finir avec l’actuelle gouvernance. Mais en termes de finalités poursuivies, et même de moyens, tout diffère, voire… s’oppose. Les uns veulent un Etat de nature islamique – la démocratie est pour eux annulative de l’islam car elle confère au peuple un pouvoir qui n’appartient qu’à Allah – et un système judiciaire fondé sur la charia et les tribunaux islamiques, tandis que les autres souhaitent des élections libres ainsi qu’une gouvernance et un système judiciaire laïcs. Certains sont les « proxys » plus ou moins fidèles de puissances régionales ou mondiales. Il y a également, au sein de « l’opposition », des éléments massivement actifs sur le théâtre des opérations, et d’autres dépourvus de toute composante militaire. L’interprétation clausewitzienne de la guerre nous enseigne que l’essence de celle-ci est la poursuite de finalités politiques par l’opposition violente des volontés. On comprendra donc que ceux qui produisent – et subissent – des effets sur le terrain, qui y vivent, tuent et meurent les armes à la main, n’accordent pas une légitimité débordante aux groupes qui n’ont aucune activité militaire, a fortiori s’ils sont en sécurité hors de Syrie, sans aucun pouvoir de cesser le feu puisqu’ils ne l’ont pas ouvert. On imagine par ailleurs les frictions qui s’opposent à la constitution d’un socle politique d’opposition, unissant durablement autour d’un projet commun des groupes aussi différents, qui visent souvent des finalités antinomiques. Dure réalité mais réalité tout de même: aujourd’hui, aucune de ces entités ne peut se prétendre la représentante unique, synthétique et légitime de l’opposition. La cacophonie a donc de beaux jours devant elle. Par ailleurs, des groupes particulièrement puissants militairement ont la capacité de réduire à néant, sur le terrain, tout accord de paix éventuel. Certains de ceux-là, comme Jabhat al-Nusra et l’Etat islamique, condamnent purement et simplement les « processus de paix » successifs, dont ils considèrent qu’ils font le jeu de leurs ennemis.

L’indéracinable « communiqué de Genève »

Le 30 juin 2012, le Groupe d’Action pour la Syrie, composé de puissances mondiales et régionales, des Nations Unies, de l’Union Européenne et de la Ligue des Etats arabes, a produit un communiqué final de sa réunion à Genève (1). Ce document se donnait pour vocation de poser les bases d’un arrêt des combats afin de mettre en œuvre une transition politique fondée sur un processus démocratique. Il visait à l’application du « plan en six points » proposé par Kofi Annan à Bachar al-Assad le 10 mars 2012, et validé par le président syrien le 27 (2). La guerre durait depuis quinze mois et n’avait fait « que » 16 000 morts environ. Ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom d’Etat islamique (EI), alias Daesh, n’était alors « que » l’Etat islamique d’Irak. Il n’avait pas encore rompu avec al Qaïda. Jabhat al-Nusra était à l’époque son antenne syrienne, et n’était considéré comme organisation terroriste que par Damas et Téhéran. L’attaque sur Ghouta au gaz sarin, imputée au régime de Damas, n’avait pas encore eu lieu. Les puissances occidentales, Etats-Unis et France en tête, n’avaient pas encore laissé entendre qu’elles interviendraient militairement contre Bachar al-Assad, pour faire volteface au dernier moment. Si quelqu’un avait alors prédit la situation actuelle au Moyen-Orient et l’intervention directe de la Russie en Syrie, il aurait été mis au pilori sans ménagement et soupçonné de toxicomanie suraigüe. Il n’est pas exagéré, en janvier 2016, de considérer que nous parlons là d’une autre époque, bel et bien révolue. Trois ans et demi de guerre supplémentaires et plus de 200 000 morts ont aggravé le bilan syrien, sans parler des famines, des millions de personnes jetées sur les routes du monde, ni du niveau insensé de dévastation qui affecte le pays, et sans oublier les conséquences sécuritaires mondiales qu’engendre l’instabilité du Moyen-Orient.

Kofi Annan, artisan du « plan en six points » promu par le communiqué de Genève jusqu’à aujourd’hui

C’est pourtant bien le communiqué final de la réunion à Genève le 30 juin 2012 du Groupe d’Action pour la Syrie qui constitue la trame de négociation du processus de Vienne aujourd’hui en cours, entre factions d’opposition et régime de Bachar al-Assad. Or, ce document ne garantit pas le départ de Bachar al-Assad préalablement à la formation d’un gouvernement de transition. Et ceci se trouve être aujourd’hui une revendication fondamentale de la plupart des groupes armés d’opposition, qui considèrent que si cette condition n’est pas garantie, il n’y a pas de négociation possible. Revenons à la guerre vue selon le prisme clausewitzien: ces factions armées font la guerre pour chasser le régime de Bachar al-Assad et lui substituer une autre forme de gouvernance. Or, elles n’ont pas été vaincues sur le terrain après ces longues années d’un conflit meurtrier, et ne voient par conséquent aucune raison valable de tempérer leurs exigences. Donc elles n’entendent cesser le feu, a minima, qu’une fois Assad et son régime renversés, et il n’est pas question pour elles d’envisager qu’Assad participe à l’avenir de la Syrie, ne serait-ce qu’à travers la mise en place d’un gouvernement de transition. D’autant que la probabilité serait forte de voir Assad mettre à profit sa participation à la phase transitoire pour créer les conditions de sa propre pérennité: « Genève 2012 » prévoit que le gouvernement de transition organise des élections libres. Celles-ci nécessiteraient évidemment un cessez-le feu effectif sur l’ensemble du territoire, d’autant que le maintien de la Syrie dans ses frontières fait partie du paradigme. Le processus électoral serait rendu impossible par la persistance des groupes les plus belliqueux, ne seraient-ce que les puissants Etat islamique et Jabhat al-Nusra. Du coup, Assad resterait au pouvoir sous un prétexte conforme à un accord diplomatique de grande échelle, et sans avoir au préalable remporté la victoire sur le terrain… C’est sur cette base qu’échoua la conférence « Genève II », entre le 22 janvier et le 15 février 2014.

Le communiqué de Genève a été formellement endossé par le Conseil de sécurité de l’ONU le 27 septembre 2013 à travers la résolution 2118 (3). Initié par la diplomatie onusienne, approuvé par pratiquement tous les participants à la réunion du Groupe d’Action – y compris la Russie –, et confirmé par le Conseil de sécurité, le texte est, selon les modes de fonctionnement propres à l’ONU, pour ainsi dire gravé dans le marbre. Au point de constituer aujourd’hui la trame du processus de Vienne actuellement en cours, au titre de la résolution 2254 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 18 décembre 2015 (4), selon un scenario bien rodé à défaut d’avoir fait ses preuves en termes de résolution de conflits. Malgré tous les artifices oratoires déployés à l’occasion des prises de parole officielles s’y rapportant, le processus de Vienne campe donc sur le texte fondateur qui fut à l’origine des échecs passés (5). Pour détendre l’atmosphère, disons qu’à ce stade du présent billet, le lecteur devrait commencer à subodorer la présence inopportune d’un énorme clou de charpente solidement planté dans chaque pneumatique de la bicyclette diplomatique…

La conférence de Riyad

Les puissances régionales qui, depuis le début des hostilités, verraient d’un bon œil la chute de l’actuel régime de Damas, sont parfaitement au fait des dissensions propres à « l’opposition syrienne ». Aussi, dans le contexte actuel qui voit la Russie s’impliquer  directement aux côtés d’Assad, et les discours occidentaux se détendre tant envers Moscou que Damas (6), leur a-t-il semblé urgent de contribuer à unifier un socle politique d’opposition cohérent. C’est dans ce but que l’Arabie Saoudite a organisé, à Riyad, entre les 8 et 10 décembre 2015, une conférence rassemblant une grosse centaine de représentants de « l’opposition syrienne ». Dix groupes armés ont participé à cette conférence. C’est peu. Parmi eux, trois (7) constituent, chacun, une force significative sur le terrain. Parmi ces trois-là, un – Ahrar al-Sham – a quitté la conférence pour cause d’incompatibilité politique fondamentale avec les autres, et de sur-représentation de groupes d’opposition qu’Ahrar al-Sham soupçonne de négocier trop volontiers en sous-main avec Damas. Pour se faire une idée des revendications politiques qu’il s’agissait de concilier et de leur positionnement vis-à-vis de la trame internationale de négociation, je renvoie le lecteur au tableau réalisé par Genevieve Casagrande sous l’égide du think-tank américain Institute for the Study of War, indiquant les principaux axes politiques développés par Genève 2012, Vienne 2015,  la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, le Front Sud de l’Armée Syrienne Libre et Ahrar al-Sham (8). On notera la concession que fait Ahrar al-Sham à la démocratie: des élections libres pour choisir ceux qui seront chargés d’implémenter la charia, le principe de celle-ci ne pouvant, par nature, être soumis au vote…

Les participants à la conférence de Riyad, le 9 décembre 2015

La conférence de Riyad s’est conclue par un texte commun (9) – sans Ahrar al-Sham, donc. A sa lecture, on note des trésors de précautions pris pour maintenir le communiqué final de Genève dans son rôle structurant pour la trame de négociations. A un détail près: l’exigence du départ de Bachar al-Assad et de ses proches collaborateurs dès le début de la période transitoire… Par ailleurs, le texte fonde un « haut comité de négociation » constitué de 30 représentants chargés de désigner le pool qui négociera avec les autorités de Damas sous l’égide du processus de Vienne. C’est Riad Hijab, sunnite originaire de Deir ez-Zor, premier-ministre de Bachar al-Assad pendant un mois et demi avant de faire défection le 6 août 2011, qui a été désigné pour diriger ce haut-comité. La première charge est venue du secrétaire d’Etat américain John Kerry, qui s’est indigné de la non-conformité du communiqué de Riyad à celui de Genève. Riad Hijab a rétorqué que la non-participation d’Assad à la phase transitoire n’était pas négociable. La Russie s’est indignée de la participation de Jaish al-Islam, qu’elle tient pour une organisation terroriste, au haut-comité. D’ailleurs, le leader de Jaish al-Islam, Zahran Alloush, a été tué par un bombardement dont il était sans nul doute la cible prioritaire, le 25 décembre 2015 (10). Moscou cherche également à ce que le PYD kurde syrien et son aile militaire (YPG/YPJ), tenus pour terroristes par la Turquie, participent au haut-comité ou constituent, avec d’autres groupes, une deuxième délégation de négociation. Le haut-comité de Riad Hijab manifestant son exaspération et menaçant de boycotter purement et simplement la conférence de Genève, les Etats-Unis ont entamé un jeu de pression à son encontre qui pourrait bien, en fin de compte, sonner le glas de la conférence. (11).

Conférence ou pas, accord ou pas: est-ce important?

La moindre des choses, quand on participe à des pourparlers visant sincèrement à mettre un terme à une guerre, et a fortiori quand on les organise, est de veiller à ce que le résultat des négociations puisse être implémenté sur le terrain. Or, même si l’on fait abstraction des divisions profondes qui affectent les factions d’opposition, même si l’on jette un voile pudique sur le caractère inconciliable des revendications des uns et des autres, même si l’on part du principe ridiculement optimiste que Bachar al-Assad est prêt à cesser le feu et à se retirer humblement moyennant quelques aménagements de forme, bref même si l’on renonce à tout réalisme politique de base, il restera un hic. La mise en œuvre d’un cessez-le-feu est rendue impossible par la persistance, sur le terrain, de belligérants puissants, invaincus, toujours déterminés à remporter militairement cette guerre et considérant que le but des combats n’est pas la paix mais la victoire. Jabhat al-Nusra, franchise locale d’al-Qaïda, est imbriqué avec nombre d’autres groupes armés sur le terrain, jouant avec eux de coopération militaro-administrative tout autant que de pressions parfois considérables. Il est devenu, auprès d’eux, un vecteur de succès militaires, une source d’ingénierie, une aide à la gouvernance et… un suzerain – de fait – implacable. Or, Jabhat al-Nusra considère qu’il n’est pas temps de parler de paix mais de chasser Assad, ainsi que le rappelait son émir dans une interview télévisée en décembre 2015. Quant à l’Etat islamique alias Daesh, l’état actuel de son implantation syrienne et la nature de son projet politique n’en font pas le partenaire rêvé à l’heure d’envisager une transition pacifique au profit d’une Syrie pluraliste et séculière. Ces deux mouvements ne tiendraient aucun compte d’un accord de cessez-le feu, qu’ils verraient comme une trahison, et feraient tout pour qu’il capote sur le terrain. Ahrar al-Sham n’est sans doute guère mieux disposé qu’eux, et malgré toute la modération que veulent bien lui prêter les habitués des dîners mondains, malgré même sa participation au haut-comité issu de Riyad, Jaish al-Islam non plus. Que dire, d’ailleurs, des monarchies du Golfe, à qui la situation en Syrie (et en Irak) a paru suffisamment peu urgente pour qu’elles se consacrent à une guerre au Yémen? Quant à la souffrance des populations civiles, comme elle est de nature à ancrer les radicalités de part et d’autre, on voit mal en quoi le cynisme de belligérants endurcis par les longues années de violence extrême y trouverait une raison de s’adoucir.

La paix en Syrie n’est donc pas sur le point de survenir. La rigidité des organisations internationales, alimentée par le cynisme et / ou les défaillances politico-stratégiques des Etats qui les animent, donne même à redouter que le pire reste à venir. Si: pire, c’est toujours possible. Notamment en y mettant du sien. Et comme on a pu s’en rendre compte à Paris le 13 novembre 2015, ça a un prix. Celui du sang, ici comme là-bas. Mondialisation oblige… Et à propos de mondialisation, la question se pose avec acuité de savoir si le problème syrien n’est pas qu’une déclinaison d’un profond malaise global.

Jean-Marc LAFON

 (1) Version française du Communiqué final de la Réunion du Groupe d’Action pour la Syrie, à Genève le 30 juin 2012 : http://discours.vie-publique.fr/notices/122001263.html
(2) Text of Annan’s six-point peace plan for Syria, Reuters: http://www.reuters.com/article/us-syria-ceasefire-idUSBRE8330HJ20120404
(3) Résolution 2118 (2013) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 7038e séance, le 27 septembre 2013, au format pdf, depuis le site Internet de l’ONU: http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2118%282013%29
(4) Résolution 2254 (2015) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 7558e séance, le 18 décembre 2015, au format pdf, depuis le site Internet de l’ONU: http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2254%282015%29
(5) Communiqué conjoint agréé par les ministres lors de la réunion internationale de Vienne sur la Syrie (30 octobre 2015) (en anglais): http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/la-france-et-la-syrie/actualites-2015/article/communique-conjoint-agree-par-les-ministres-lors-de-la-reunion-internationale?xtor=RSS-4
(6) Contexte notamment affecté par les conséquences des attentats perpétrés à Paris par l’EI le 13 novembre 2015.
(7) Armée Syrienne Libre, Jaish al-Islam et Ahrar al-Sham. Les puissants groupes jihadistes Etat islamique et Jabhat al-Nusra étaient naturellement absents, condamnant énergiquement le principe même de la conférence.
(8) Syrian Opposition Negotiating Positions Compared to International Frameworks (pdf), Genevieve Casagrande, Institute for the Study of War: http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Negotiating%20positions%20for%20political%20transition%20in%20Syria_3.pdf
(9) Final Statement of the Conference of Syrian Revolution and Opposition Forces Riyadh (December 10, 2015): http://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/syria/events/article/final-statement-of-the-conference-of-syrian-revolution-and-opposition-forces
(10) (Re)lire à ce sujet le billet de Cédric Mas dans les colonnes de Kurultay.fr: 25 décembre : L’aviation russe tue Zahran Alloush le chef militaire de Jaish al-Islam http://kurultay.fr/blog/?p=515
(11) US piles pressure on Syria opposition to attend talks, Jacquelyn Martin, afp.com: http://www.afp.com/en/news/us-piles-pressure-syria-opposition-attend-talks



[ARCHIVES] le pourquoi des attentats terroristes en France en 2015

Pour commencer une série de billets analysant les attentats jihadistes en France, un billet publié sur le blog de Paul Jorion, et sur mon blog Mediapart sous le titre : un attentat en France : pourquoi faire ? le 11 juin 2015.

Il s’agissait d’analyser la question des objectifs opérationnels et politiques poursuivis par les jihadistes lorsqu’ils cherchent à frapper la France par des attaques terroristes, qui constituent l’un des modes de leur action militaire. Ce billet rédigé à la suite des évènements de janvier 2015, dont nous commémorant aujourd’hui-même le premier triste anniversaire, me semble constituer une bonne base pour pousser la réflexion plus loin, même s’il mérite des corrections et des précisions, ainsi qu’une mise à jour pour 2016 qui feront l’objet d’un autre billet à suivre.

Si l’on part du principe avéré que l’action des jihadistes, qu’il s’agisse d’Al Qaida comme de Daesh, obéit à une logique et une rationalité, il est alors possible de concevoir un véritable modèle expliquant les attentats terroristes organisés ou projetés en France, et permettant même de les prévoir.

Cela suppose d’essayer de tenir compte de ce que font les jihadistes, de leur conception du monde, de leur méthode de pensée et d’action mais surtout en intégrant leurs objectifs. Une telle analyse ne vaut bien évidemment aucune adhésion, ni validation des crimes qu’ils commettent.

Les jihadistes défendent une conception particulière de l’islam, qui est réduite à la notion de jihad physique et matériel, avec ce que cela implique de violence. Il n’est pas dans notre propos de questionner la légitimité d’une telle vision au regard du Coran, mais en revanche de relever deux éléments clés de la pensée et de l’action jihadiste :

– le jihadiste s’estime « l’avant-garde éclairée » de la communauté des croyants (la « Umma »), qu’il doit guider et défendre vers la pureté d’une pratique de l’Islam (aujourd’hui essentiellement basée sur la Shari’a et les préceptes takfiristes ou salafistes) ;

– le jihadiste doit aussi propager la vraie foi sur toute la terre et donc convertir l’ensemble de l’humanité (il existe de nombreuses variantes sur la méthode plus ou moins coercitive de cette conquête).

Dans ce cadre de pensée, la société française de 2015 peut donc être séparée en 3 groupes distincts :

– la population non-musulmane : par définition ennemie, elle doit être combattue ;

– la population musulmane : par définition ignorante du danger qui la guette, on doit lui dévoiler qu’elle est menacée par un ennemi, puis la mobiliser pour sa défense et/ou la conquête du pays ;

– la sphère jihadiste (appelée aussi jihadosphère) : constituée des sympathisants directs du jihad, elle a un effectif très minoritaire. Il s’agit d’un milieu fait de rivalités mais aussi d’entraides entre de multiples groupes plus ou moins structurés. La jihadosphère française est travaillée en 2015 par la rivalité plus globale entre les deux grands réseaux : Al Qaida (réseau classique et puissant à l’international, mais affaibli et vieilli), et ISIS (Califat jeune, dynamique mais plus attaché à l’acquisition de sanctuaires territoriaux), chacun cherchant par ses actions à se valoriser au sein de la jihadosphère pour recruter et assurer sa suprématie.

Voici un schéma permettant de bien visualiser les trois groupes et leurs liens respectifs :

La situation est donc aisément compréhensible (…) : il ne s’agit pas de frapper les ennemis directs de l’islam mais de séparer la communauté musulmane du reste de la société.

Il faut donc frapper les zones les plus proches :

– cible non musulmane permettant de séparer les deux groupes ;

– cible musulmane intégrée (qualifiée d’apostat et méritant donc la mort), les membres des forces de l’ordre musulmans sont donc systématiquement visé sans pitié (que ce soit par les frères Kouachi comme par Coulibaly).

L’action peut survenir à partir de l’extérieur (situation privilégiée par AQ mais rendue compliquée par les systèmes de surveillance contre-terroristes européens) ou à partir d’éléments locaux radicalisés (donc exclus de la société française).

Voici le schéma d’une opération jihadiste « optimale » :

Par voie de conséquence, observons le résultat recherché par les attentats jihadistes en France en 2015 :

C’est à la lumière de ces éléments qu’il faut analyser les réactions politiques et sociales françaises aux attentats de janvier et constater que toute stigmatisation (par exemple celles d’un parti politique récemment rebaptisé « Les Républicains »), toute réaction violente amalgamant les musulmans aux jihadistes ou exigeant d’eux des réactions imposées, va en réalité répondre aux souhaits et aux objectifs des auteurs des attentats.

L’objectif à long terme des jihadistes en France peut être résumé de la manière suivante :

Nous sommes bien évidemment loin – et c’est heureux – de cette situation, mais il est évident que chacune des initiatives ou des actes de nos hommes politiques, comme de chacun de nous, devrait être pesé et apprécié à l’aune de ce que recherchent les jihadistes.

Ces schémas, forcément simplificateurs, n’apprendront pas grand-chose à tous ceux qui ont réfléchi, même intuitivement, à la situation. Ils éclairent d’un jour nouveau à la fois les critiques et accusations d’islamophobie injustement adressées à Charlie hebdo (et à tous les manifestants), et les réactions lâches et clientélistes de nos politique, plus prompts à exploiter politiquement les attentats jihadistes qu’à convertir en actes concrets et efficients la prise de conscience collective qui a suivi le choc émotionnel de janvier 2015.

On le voit, la solution est dans ce qui fera échec au but recherché par les jihadistes, et non dans un renforcement d’une surveillance, un abandon de nos valeurs et de nos principes. La solution est politique, économique, sociale, humaine, et non juridique ou policière.

Analysons donc les « ingrédients » privilégiés par les jihadistes pour leurs actions en France :

Les attentats sont aujourd’hui conçus et pensés de manière à générer des « effets multiples » sur les trois groupes concernés en même temps :

– brutalisation du groupe non-musulman ;

– mobilisation du groupe musulman ;

– prise de l’ascendance au sein de la jihadosphère.

Cela implique des opérations caractérisées par :

– le choix précis des cibles (on est loin des attentats aveugles à la bombe) ;

– la saturation médiatique ;

– l’ultra-violence des moyens ;

– le martyr des auteurs (j’avais déjà écrit à quel point l’arrestation des auteurs vivants est importante pour contrer les effets de ces actions).

J’ai essayé de synthétiser les effets des différents types d’actions jihadistes, ce qui permet d’en exclure certaines, et d’en craindre d’autres. Je précise que ce tableau se place du point de vue de la « logique jihadiste ». Il ne s’agit donc ni de soutenir, ni d’excuser les attaques terroristes, mais d’essayer d’en comprendre les sous-jacents du point de vue des leaders jihadistes :

On peut ainsi classer Charlie comme un « ennemi symbolique de la foi musulmane » (ce qu’il n’est pas mais qui reste son image au sein de la communauté musulmane). Mais c’était déjà le cas de la cathédrale de Strasbourg (visée par un projet d’AQ en 2000).

Il est à craindre désormais des opérations contre des cibles à plus forte valeur émotionnelle (hôpitaux, maternité, école, habitations privées…), et des attaques encore plus dynamiques (par exemple le débarquement sur la côte de commandos suicide armés).

En guise de conclusion provisoire, il est intéressant de signaler que les actions jihadistes s’inscrivent désormais dans une démarche différente de celles des attentats précédemment commis en France par des mouvements islamistes : le but des jihadistes n’est plus aujourd’hui de châtier la France, de lui faire peur, de l’amener à changer sa politique internationale, son soutien à tel ou tel régime, ou à telle opération jugée anti-islamique. Le but des jihadistes n’est plus de « terroriser » la France, mais d’exporter le conflit. Il s’agit donc désormais davantage d’actions militaires que d’actions terroristes, pensées mais aussi exécutées dans un cadre stratégique global, avec des moyens d’ailleurs de plus en plus militarisés.

De même, on notera la disparition des attaques des moyens de transport et de communication (cible privilégiée par AQ pendant longtemps : avions, trains, bus…), principalement du fait de l’adaptation des services de contre-terrorisme à ce type de ciblage.

Enfin, nous ne traiterons ici que de la France. Le but d’opérations terroristes dans d’autres pays (les États-Unis par exemple)  n’obéissant pas aux mêmes analyses des jihadistes, ni aux mêmes objectifs.

Cette spécificité de la situation en France, et la fragilité qu’elle exprime aux yeux de fanatiques du jihad, explique pourquoi notre pays est actuellement au premier rang des cibles menacées, et va le rester longtemps encore.

(à suivre pour une mise à jour et un approfondissement des actions jihadistes en France en 2016)




Attentats de Paris: après le temps des larmes

La BRI près du Bataclan le 13 novembre 2015. Kamil Zihnioglu/AP/SIPA

Vendredi 13 novembre 2015, la France métropolitaine a subi l’attaque terroriste la plus meurtrière de son histoire, avec 130 morts et 351 blessés à l’heure où ces lignes sont écrites. Ont été visés la salle de spectacle du Bataclan, des cafés, et le Stade de France où se jouait un match amical entre les équipes de France et d’Allemagne de football en présence du président de la République… Les assaillants ont conduit leur opération selon un scénario redouté, envisagé par les services de sécurité, mais inédit dans l’Hexagone: des actions simultanées, en divers endroits de Paris, visant à tuer le plus de monde possible. A l’arme automatique pour commencer. Puis par l’action suicide pour finir, au moyen de gilets explosifs chargés de TATP (1). L’organisation Etat Islamique (EI) a revendiqué l’opération.

Extrait de la revendication en français émise par l’EI le 14 novembre 2015

Le caractère extrêmement choquant des faits suscite évidemment l’effroi à très grande échelle. Le deuil nécessite du temps, mais la société française a-t-elle, justement, le temps de s’y consacrer entièrement? Sans doute pas. Ces attaques concrétisent une problématique sécuritaire à tel point majeure qu’il ne sera jamais trop tôt pour chercher à en comprendre les ressorts profonds, et à identifier les moyens d’y faire face. Or, l’urgence tend à gâter la réflexion… Dès le 16 novembre, soit trois jours après le drame, François Hollande s’est exprimé devant le parlement réuni en congrès pour évoquer des adaptations structurelles et institutionnelles en vue de faire face à la menace. Le mot « guerre » a très clairement été utilisé pour définir ce qui se passe. Si l’unité face à l’adversité est nécessaire, le maintien en état d’éveil du sens critique reste un fondement essentiel de la citoyenneté. Qu’il nous soit donc permis ici de réfléchir un peu à quelques données du problème. Car après le temps des larmes vient celui des réflexions qui conditionnent l’avenir.

Balisage sémantique et conceptuel

Du terrorisme

Tout d’abord, tentons de définir le mot « terrorisme », que l’on entend désormais à longueur de journée. Le terme découle de la période sanglante de la Révolution française nommée « la Terreur ». Ainsi le dictionnaire Littré, consultable en ligne, définit-il le mot « terrorisme » comme suit :  système de la terreur, pendant la Révolution française. Le terme « terroriste », lui, est donc logiquement défini comme partisan, agent du système de la terreur. Le terrorisme puise donc ses sources dans cet épisode de l’histoire qui fut une rencontre organisée, systémique, à grande échelle et loin du champ de bataille, entre la politique et la violence. Beaucoup plus près de nous, la politologue Louise Richardson voit dans le terrorisme une violence dirigée contre des non-combattants ou des cibles symboliques, afin de communiquer un message à une plus large audience. La caractéristique clé du terrorisme est le fait de viser délibérément des innocents pour transmettre un message à une tierce partie (2). Selon Tamar Meisels, également politologue contemporaine, le terrorisme est l’assassinat au hasard de non-combattants sans défense dans l’intention d’inspirer la peur du danger de mort parmi une population civile, en tant que stratégie visant à faire progresser des fins politiques (3). En somme, l’on converge sur l’idée qu’il s’agit de frapper des non-combattants pour générer de l’effet politique en employant la terreur comme bras de levier. De tout cela, il faut, je crois, déduire que le terrorisme n’est pas une opinion politique, ni un jugement de valeur. Le terrorisme est un moyen, un outil que, parmi d’autres modes d’action, l’on oriente vers un but. Un but de nature politique. Synthèse: ceux qui ont déchaîné toute cette violence dans Paris l’ont fait pour atteindre des buts politiques.

De la guerre

« Guerre » est un autre terme largement employé ces jours-ci, et dont la portée doit être clairement comprise si l’on se prétend citoyen d’une démocratie. Ce cher et vieux dictionnaire Littré nous propose la définition suivante du mot « guerre »: la voie des armes employée de peuple à peuple, de prince à prince, pour vider un différend. Quelle est la nature des différends opposant les peuples et/ou leurs dirigeants? Politique, sans nul doute. Qu’il s’agisse du tracé d’une frontière, de la captation d’une ressource, de la promotion d’un système de gouvernance… c’est quand le différend politique bute sur l’intransigeance – contrainte ou délibérée – d’une des parties que la confrontation des volontés change de registre et devient violente. Ainsi Carl Von Clausewitz prêtait-il, dans son célèbre « De la Guerre », deux principes fondamentaux au concept:

  • « La guerre n’est rien d’autre qu’un combat singulier à grande échelle ».
  • La guerre est « un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté ».

Synthèse: la guerre implique qu’au moins deux groupes sociaux rassemblant, chacun, de nombreux individus, recourent à la violence afin de plier la partie adverse aux exigences qu’elle rejette. C’est la confrontation violente de volontés politiques.

Sommes-nous en guerre?

On entend ici et là que nous ne serions pas en guerre, que le terme serait exagéré. C’est oublier quelques faits indiscutables. Premièrement, la France bombarde l’EI, à la fois en Irak et, plus récemment, en Syrie. Deuxièmement, l’EI a décapité un otage français en septembre 2014, et revendiqué des actes de terrorisme en territoire français – depuis les actions d’Amedy Coulibaly en janvier 2015 jusqu’aux récentes attaques du 13 novembre à Paris. Les bombardements aériens font partie des moyens dédiés à la conduite de la guerre. Si l’on s’entend sur les définitions respectives de la guerre et du terrorisme énoncées ci-dessus, le terrorisme est, lui aussi, un outil déployé lors de la confrontation violente de volontés politiques. Un outil de guerre. C’est donc bien une guerre qui sert de cadre aux échanges de coups entre la France et l’EI.

Les enjeux du « front intérieur »

Principes stratégiques guidant l’EI dans l’emploi du terrorisme

C’est bien à l’expansion d’un front intérieur que l’on assiste. Le conflit ne se restreint pas aux terres de jihad au Moyen-Orient ou en Afrique. Au contraire, plusieurs fois, crescendo, le cœur de territoires occidentaux a été visé et continuera sans doute à l’être. Quels effets l’EI entend-il produire à travers des actions comme les attentats de Paris? J’ai, sur Kurultay.fr, publié le 21 février 2015 un article relatant ma lecture de l’un des traités qui structurent la pensée stratégique jihadiste: le Management de la Sauvagerie. On y retrouvera sans mal les principes généraux auxquels s’arriment ces opérations:

  • Doctrine « faire payer le prix », déclinaison stratégique du talion.
  • Provocation pour induire un engagement militaire maximal des occidentaux, idéalement au sol, afin de leur infliger des pertes humaines et financières jusqu’à les faire partir et ainsi se prévaloir de les avoir vaincus (paradigme du jihad anti-URSS en Afghanistan).
  • Projection d’une image dégradée de l’ennemi, vulnérable et apeuré sur son propre territoire.

Couverture du n°12 de Dabiq, le magazine en ligne de l’EI. Le titre de cette édition, mentionné en bas de page, dénote le caractère assumé du terrorisme pour l’EI. La couverture entend projeter l’image d’une France frappée au cœur, traumatisée, vulnérable.

Plus dans le détail, chaque type de société présentant des caractéristiques qui lui sont propres, les concepteurs d’attaques terroristes s’adaptent, et l’EI ne fait pas exception. Cette adaptation concerne le choix des cibles en fonction de leur vulnérabilité, mais aussi des effets escomptés. Les effets de l’acte terroriste sont à double sens: ils s’exercent sur l’ennemi visé, mais aussi sur les partisans et prospects de l’organisation qui en est à l’origine, auprès de qui le terrorisme a vocation à promouvoir ses commanditaires.

Effets directs recherchés via l’acte terroriste

Pour « faire payer le prix », provoquer les occidentaux, projeter l’image d’un ennemi vulnérable et faire la promotion de l’EI auprès de ses sympathisants et prospects, il est nécessaire que l’acte terroriste ait des effets sur la communauté visée et sa manière d’exister. La désertion durable des lieux publics, l’annulation des manifestations culturelles et sportives à forte fréquentation, ou encore le déploiement massif et très visible de militaires au cœur des grandes agglomérations seraient autant de symptômes permettant à l’EI de démontrer, via ses outils de communication, qu’il a marqué des points et porté la guerre au cœur de l’ennemi. Des changements institutionnels profonds intervenant directement à la suite des attentats autoriseraient l’EI à proclamer qu’il en est à l’origine, prouvant à ses partisans et prospects qu’il est capable de porter atteinte aux institutions de ses ennemis. Des actes de violence vengeresse, voire des pressions institutionnelles, à l’encontre de musulmans non impliqués dans les attentats, permettraient à l’EI d’accroitre son audience auprès d’eux en campant le rôle du défenseur des musulmans face à « l’oppresseur républicain laïc ». En somme, la terreur étant de nature compulsive, elle est susceptible d’induire toutes sortes de réactions également compulsives, irréfléchies, contreproductives, que le commanditaire de l’acte terroriste est susceptible de désirer et d’exploiter pour, à terme, fragiliser la société à laquelle il s’attaque et la pousser à la crise de nerfs. Or, dans les sociétés démocratiques en l’an 2015, l’échelon politique présente, même en temps normal, quelques signes objectifs d’obsession électorale. Et si d’aventure, chers lecteurs, vous avez oublié ce que les attentats de Madrid (4) du 11 mars 2004 ont coûté à la majorité parlementaire et gouvernementale de José María Aznar, soyez assurés que chaque responsable politique occidental de haut niveau en garde un souvenir tout à fait ému.

Contre-mesures

La force principale à laquelle se heurte le terrorisme est la résilience, c’est à dire la capacité pour un corps, un organisme, une organisation ou un système quelconque à retrouver ses propriétés initiales après une altération (5). La résilience communautaire est une caractéristique politique propre à un groupe social. Elle se fonde sur un système de valeurs, s’entretient, s’optimise et se pilote par les voies politiques et / ou spirituelles. Un des exemples emblématiques de résilience communautaire face à la terreur fut le blitz : la campagne de bombardement stratégique allemande sur le Royaume Uni entre le 7 septembre 1940 et le 21 mai 1941 dans le cadre de la bataille d’Angleterre. Les raids aériens sur Londres, Coventry, Plymouth, Birmingham, Liverpool, Cantorbéry, Exeter et Great Yarmouth tuèrent 14 621 civils, en blessèrent 20 292, et provoquèrent le déplacement de 3,7 millions d’autres sans que l’échelon politique britannique fléchisse dans sa détermination à faire la guerre, sans que la population fasse pression sur lui pour le faire fléchir, alors que la Grande Bretagne était pratiquement seule face à l’alliance germano-italienne. Certains puissants moteurs de la résilience furent:

  • L’adaptation fonctionnelle de la population sous l’impulsion des pouvoirs publics : défense passive (système, impliquant des volontaires civils, allant de l’alerte à l’organisation des secours en passant par l’orientation des personnes vers des abris, souvent improvisés, à l’approche des bombardiers), acceptation des adaptations nécessaires au maintien de la production et des services publics fondamentaux, réceptivité à la communication officielle.
  • L’aptitude de l’outil de défense à contrer efficacement l’ennemi, tant via des vertus morales que des qualités tactiques et technologiques. On ne peut, à ce stade, faire abstraction de l’action des instances étatiques consistant à mettre en valeur, à travers le lien armées – nation, les succès des militaires tout en atténuant la portée médiatique négative de leurs difficultés et de leurs pertes. La confiance d’une société en ceux qui la défendent encourage la résilience.
  • L’impulsion par l’exécutif d’une politique globale organisant dans les faits la stratégie britannique en faveur d’un état final recherché clair, ambitieux et partagé avec la population: la réduction à tout prix de l’Allemagne nazie et de l’alliance qu’elle pilotait. Une société orientée vers un but optimise sa résilience.

La résilience de la France suite aux attentats du 13 novembre 2015 s’est révélée à travers la qualité de ses services de secours et de santé, l’efficience remarquable de ses services de police spécialisés face aux assaillants, tant dans la salle du Bataclan que lors de l’assaut de Saint Denis ou dans la conduite de l’enquête, et l’aptitude d’une vaste majorité de la population à vaincre la panique, à reprendre progressivement ses habitudes tout en restant digne et en s’abstenant de violences aveugles et contreproductives – quoiqu’on ne soit jamais à l’abri de quelques exceptions, toujours de trop… Mais d’autres items laissent songeur. Que dire de l’exhumation à la hâte d’une révision constitutionnelle proposée par Edouard Balladur en 2007, au terme du travail de la commission qu’il présidait, visant à dépoussiérer les conditions d’application de l’état d’urgence? Comment ne pas y voir le rattrapage en voltige de huit ans de somnolence coupable au fil de deux mandats présidentiels et deux législatures? Reste que la réforme se fait en réaction, dans l’urgence, immédiatement à la suite des attentats. L’EI peut désormais se vanter d’avoir induit directement un changement institutionnel en France. Mal joué, Marianne… Que penser en apprenant que des auteurs des attentats du 13 novembre 2015 étaient connus des services belges mais pas de leurs homologues français? A l’heure où l’euro-scepticisme progresse, que dire à une population attaquée sur ses terres quand on n’a pas été capable de s’entendre, à propos de sa sauvegarde, même avec un pays européen limitrophe? Arrêtons là l’énumération de questions trop nombreuses pour figurer ici mais posons tout de même celle-ci: est-on capable, en France, de faire mieux qu’une mouture locale du Patriot Act américain, dont on ne peut pas dire qu’il ait brillé par des résultats remarquables? La résilience s’inscrit dans le cadre stratégique. La France a-t-elle une stratégie?

1940: des Londoniens se rendent au travail entre deux raids aériens allemands massifs. La résilience à l’œuvre.

Quid de cette guerre, au-delà de nos frontières?

Nous sommes donc en guerre et il était plus que temps de se l’avouer. La guerre est un chantier complexe, et comme tout chantier, elle doit s’appuyer sur un état final recherché (EFR). L’EFR, c’est ce qui permet de déterminer, au bout du compte, si l’on a réussi ou non ce que l’on a entrepris. C’est également ce qui permet de mesurer en chemin ce que l’on a accompli et ce qu’il reste à faire. Par exemple, l’EFR fondateur de la guerre britannique aux îles Malouines en 1982 était, en somme: « retour à l’état antérieur, et respect effectif renforcé de la souveraineté britannique sur la zone ». L’évaluation du déroulement du conflit devenait ainsi possible, et piloter une démarche – guerre ou autre – est tout de même plus aisé quand on sait ce que l’on veut et où l’on en est. Or, comme ce fut le cas lors de la guerre en Afghanistan consécutive aux attentats du 11 septembre 2001, l’EFR  est absent du discours des décideurs occidentaux, y compris français. C’est fâcheux. Car le succès se mesurant par rapport à l’EFR, sans EFR, pas de victoire possible. Les frappes aériennes ne sont pas une fin en soi, elles sont un outil. Au service de l’EFR. Quand il y en a un…

Depuis la reprise de leurs activités militaires en Irak en 2014 jusqu’à ce funeste 13 novembre 2015, les Etats-Unis ont un peu donné l’impression de se contenter d’un chaos d’où n’émergeait aucune puissance dominante susceptible de leur poser un vrai problème existentiel (4). Et les puissances telles la France ou la Grande Bretagne, par exemple, ont semblé tenter d’exister à travers quelques spécificités tout en suivant un peu à tâtons l’allié américain. Les causes de fond d’un EI enkysté ne semblent guère traitées. En Irak, par exemple, l’armée nationale peine à se construire. Et c’est bien normal vu le contexte. Les milices confessionnelles en plein boom, inféodées à des puissances voisines, ont beaucoup plus vocation à servir la prospérité de leurs chefs que la raison d’Etat, lequel Etat est gangréné par un degré de corruption à peine imaginable. Pas évident d’envisager la mort comme hypothèse de travail (6) pour des soldats à qui leur employeur n’inspire qu’une estime toute relative. Quand l’eau courante et l’électricité ne fonctionnent que par accident, de même que l’ensemble des services publics, et quand les seigneurs de guerre combattant au profit de Bagdad se livrent à des exactions valant peu ou prou celles que l’on reproche à l’EI, certaines populations sunnites en viennent à considérer que vivre sous la domination de l’EI peut finalement leur procurer certains avantages. Notons que parmi l’abondante propagande de cette organisation, le développement des services publics et des infrastructures civiles occupe une place considérable. Pour mettre à mal une telle organisation, il faut emporter un minimum d’adhésion de la part des populations. Que fait-on en la matière? Mystère… Par ailleurs, les frontières, issues du partage des territoires après la dislocation de l’empire Ottoman, font cohabiter des communautés entre lesquelles des antagonismes majeurs ne font que s’amplifier. Que fait-on? Pas grand-chose. D’ailleurs, le maintien des frontières en leur état antérieur au printemps arabe semble être le seul semblant d’EFR transparaissant dans les discours de tous les Etats impliqués. Enfin, reste le cas Bachar al-Assad. Son régime favorisa la circulation de jihadistes en direction de l’Irak occupé par les Américains. Quand l’insurrection de 2011 s’amplifia, se nourrissant pour bonne part de la surréaction militaire et policière, de nombreux prisonniers jihadistes furent libérés de la prison syrienne de Sednaya, sans doute délibérément à des fins de déstabilisation. On entend aujourd’hui qu’il faudrait s’allier avec Assad pour vaincre l’EI. S’allier avec une cause pour détruire ses conséquences. Se mettre à fumer pour vaincre le cancer du poumon… Et pourtant, quand on prétend resserrer la coopération en Syrie avec la Russie, alors même que la Russie se bat pour préserver le régime syrien, n’est-ce pas là que l’on va, au nom de pseudo-évidences sur le très court terme? Par ailleurs, ces années où l’on s’est privé de pratiquement tout dialogue avec le régime syrien posent question à l’observateur un tant soit peu objectif. Car si l’on part du principe que l’on ne doit dialoguer qu’avec ses amis et ses alliés, à quoi sert la diplomatie? La stratégie s’inscrit dans le cadre politique. La France a-t-elle une politique au Moyen Orient et en Afrique?

Certains ne manqueront pas de remarquer que le présent article ne livre pas de recette, de plan de bataille, de trame stratégique. Non, il vient juste là pour poser quelques questions. Car faute de se poser les bonnes questions, on n’est pas près de trouver les bonnes réponses. Et c’est bien dommage car la cadence à laquelle les têtes tombent jusque dans Paris tend à s’accélérer dangereusement.

Jean-Marc LAFON

(1) TATP: peroxyde d’acétone. Explosif produit artisanalement, puissant mais instable, utilisés dans certains engins explosifs improvisés et attributs dédiés aux attentats suicide.

(2)  « Terrorists as Transnational Actors », Terrorism and Political Violence par Louise Richardson,

(3) The trouble with terror: the apologetics of terrorism – a refutation par Tamar Meisels

(4) Le 11 mars 2004 au matin, trois jours avant les élections générales espagnoles, une cellule islamiste locale commettait une série d’attentats à la bombe contre des trains de banlieue madrilènes, tuant 191 personnes et en blessant 1858. José María Aznar, qui espérait être réélu malgré son impopulaire soutien à la guerre en Irak, imputa les attentats à l’ETA et fut battu aux élections, soupçonné d’avoir voulu manipuler l’opinion.

(5) The Influence of Relational Competencies on Supply Chain Resilience: A Relational View par A. Wieland et C.M. Wallenburg, International Journal of Physical Distribution & Logistics Management

(6) Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail, par Michel Goya, éditions Tallandier




Syrie: Frappe russe sur le viaduc de Siyasiyeh

Le média russe RT (1) a diffusé, ce 24/10/2015 au matin, des images censées représenter l’attaque, par les forces aériennes russes en Syrie, du pont sur l’Euphrate à Deir Ez-Zor.  Aujourd’hui, kurultay.fr va s’adonner, modestement comme toujours, au petit jeu de l’analyse post-strike (2) sur la base d’éléments librement accessibles. Disons-le tout net: la tâche est à appréhender avec prudence et humilité sous peine de diffuser des balivernes. Tâchons donc d’en faire un cas d’école pour illustrer une certaine manière de vérifier l’information afin d’estimer la portée et les limites de sa validité. C’est par le tweet ci-dessous que votre serviteur a découvert la nouvelle, au moment même de sa publication.

Voyons les éléments contextuels. Et dans un premier temps, situons Deir Ez-Zor sur la carte. Comptant environ 130 000 habitants avant la guerre, cette ville agricole doit une certaine prospérité aux terres fertiles qui bordent l’Euphrate.

Voyons maintenant les caractéristiques du terrain, à travers une prise de vue satellite de Deir Ez-Zor.

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La majeure partie du cours de l’Euphrate en Syrie est sous le contrôle de l’Etat Islamique. Quant à la ville de Deir Ez-Zor, elle cumule les caractéristiques qui en font une position stratégique: main d’oeuvre, nœud routier, présence d’infrastructures militaires conséquentes, dont une base aérienne aujourd’hui encore aux mains des forces gouvernementales syriennes. C’est donc très logiquement que le secteur est le théâtre d’affrontements successifs depuis le début du conflit, souvent d’une extrême intensité (3). Ces derniers jours, de nouveaux accès de fièvre ont vu l’Etat Islamique conduire des opérations contre les positions gouvernementales. La base aérienne constitue un enjeu de taille, car sans elle, les forces gouvernementales se verraient non seulement privées d’appui aérien, mais aussi d’approvisionnements: en s’emparant de Palmyre et de ses environs, l’EI a en effet privé les gouvernementaux du cordon ombilical qu’était la route n°7 (axe Damas – Deir Ez-Zor). Pour se faire une idée de l’occupation du terrain, je vous propose la carte ci-dessous, établie par « Agathocle de Syracuse » (c’est évidemment un pseudonyme). Je vous suggère également de le suivre sur Twitter (@deSyracuse) et de mettre son site Internet en bonne place parmi vos favoris: agathocledesyracuse.com

Image © @deSyracuse Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Dans une telle localité, bordant un fleuve d’un côté et un désert de l’autre, la question du franchissement de l’Euphrate est absolument essentielle, non seulement militairement parlant, mais aussi et surtout pour permettre la circulation des personnes et des biens, et donc la vie économique, la subsistance des populations, et la continuité de l’entretien des surfaces cultivables. A ce titre, il y avait à Deir Ez-Zor, avant la guerre, deux ponts franchissant l’Euphrate. Un pont piéton suspendu datant du mandat français, abattu lors de combats le 2 mai 2013 (4), et un viaduc routier, objet du présent article, et qui connut également des péripéties puisque les forces spéciales syriennes parvinrent à en dynamiter l’extrémité nord lors des combats contre l’Etat Islamique le 15 septembre 2014, scène illustrée par la vidéo ci-dessous.

Voyons ci-dessous les dégradations successives infligées aux ouvrages d’art dédiés au franchissement de l’Euphrate à Deir Ez-Zor au fil du conflit.

Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor avant la guerre. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor après la destruction du pont suspendu le 2 mai 2013. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor après le dynamitage du viaduc de Siyasiyeh par les forces spéciales syriennes le 15 /09/2014. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Vue sur les dégâts occasionnés par le sabotage du viaduc de Siyasiyeh par les forces spéciales syriennes le 15/09/2014. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Comme on peut le constater ci-dessus, le viaduc a été durement affecté par l’action de l’armée syrienne le 15 septembre 2014. C’est une partie aérienne de l’ouvrage qui a été touchée, ce qui est de nature à en complexifier la réparation: certes il n’y a guère lieu de douter des capacités de l’EI en termes de travaux lourds de ce calibre. Mais une remise en état dans les règles de l’art après de tels dégâts nécessiterait un chantier conséquent, avec à la clef de nombreuses allées et venues d’engins et du stockage de matériels spécialisés et de matériaux. Autant d’éléments vulnérables aux attaques aériennes.

A l’heure où ces lignes sont écrites, l’auteur ne dispose d’aucune information concernant les éventuels travaux effectués sur le viaduc de Siyasiyeh. Il est toutefois possible, en attendant mieux, d’étudier les images du pont au moment de l’attaque, telles qu’on peut les voir à travers l’objectif du système de visualisation de la force aérienne russe.

Image extraite de la vidéo illustrant la frappe russe d’octobre 2015. On peut observer de substantielles évolutions au niveau du tronçon saboté par les forces syriennes le 15 septembre 2014. Cliquer pour agrandir l’image.

L’image ci-dessus ne permet pas d’être absolument affirmatif quant à la nature des changements survenus à hauteur du tronçon saboté en septembre 2014. Il est en tout cas évident que quelque chose s’est passé, et que c’est la main de l’homme qui a produit là des effets. Votre serviteur ose avancer l’hypothèse d’une passerelle visant à relier la route (au niveau du sol) à la partie encore viable du viaduc. Si quelqu’un a une meilleure idée, qu’il se signale sans hésiter! En tout cas nous saurons, tôt ou tard… Mais il reste quelques autres élément inexpliqués dans ces images. Nota a posteriori: cet aspect fait l’objet d’une mise à jour au bas de l’article, en date du 26 octobre 2015.

On note un tronçon sud du viaduc fort sombre… Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Le tronçon sud apparait très sombre à l’image. Rien, dans l’environnement, n’est aussi sombre. En se reportant aux images du viaduc plus haut dans ce même article, on constate que c’est nouveau. Peut-être un ou plusieurs véhicules chargés d’hydrocarbures ont-il brûlé ici? Là encore, impossible d’être affirmatif sur la base des éléments actuellement rassemblés.

Passons à la frappe elle-même. Elle a visé une partie aérienne de l’ouvrage, située au-dessus du fleuve (ce qui tend à rendre les réparations encore plus ardues), vers l’extrémité du tronçon assombri. La cible a-t-elle été touchée, et le pont a-t-il été effectivement coupé? On note tout d’abord que la vidéo publiée se termine alors que toutes sortes d’éléments restent en suspension et empêchent de voir ce qu’il est advenu du tablier du pont…

Là encore, nous resterons sur notre faim. L’effet terminal ne peut être évalué de visu. A l’heure où est rédigé ce billet, le ministère russe de la Défense n’a pas communiqué autrement qu’en transmettant la vidéo ci-dessus aux médias. Les cachoteries ne plaident pas forcément en faveur de ceux qui les font, mais d’autre part, il serait maladroit de communiquer sur une frappe ratée dont le public pourrait assez rapidement observer l’échec. Donc nous patienterons… Mais à défaut de connaitre l’effet terminal de l’impact, observons l’impact lui-même. Ou… les impacts? Le lecteur est invité à visionner la vidéo en boucle pour évaluer lui-même les effets abordés ci-dessous.

Un projectile russe vient tout juste de frapper à hauteur de la seconde pile en partant du sud. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Les effets pyrotechniques de l’impact s’amplifient. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Les effets cinétiques (projections et leurs effets) commencent à s’avérer visibles. D’importants remous dans l’eau se manifestent. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Les effets évoqués ci-dessus s’amplifient encore. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Une nouvelle explosion soulève des débris du côté droit du tablier. Noter la persistance du remous dans l’eau côté gauche. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Le viaduc a bel et bien été atteint aux environs directs de la deuxième pile en partant de la rive sud (côté ville de Deir Ez-Zor). L’emploi d’armes guidées ne fait aucun doute. L’hypothèse de deux impacts distincts peut être sérieusement envisagée, et les effets de l’un et de l’autre présentent des différences d’apparence. Cela peut être dû au fait que les projectiles ne seraient pas identiques. Ou bien encore des points d’impact présentant des caractéristiques différentes ont pu susciter des effets distincts. Reste que la persistance d’effets dans l’eau laisse envisager que des objets lourds et volumineux, provenant du tablier et / ou de la pile, sont tombés dans l’Euphrate. Il n’est donc pas farfelu de considérer que le viaduc a subi des dommages conséquents. Mais seule une observation directe (photo sur place, imagerie satellite, produit reconnaissance aérienne) permettra de savoir si ces dommages vont jusqu’à la coupure effective de l’ouvrage d’art.

Le présent billet sera mis à jour au fil des éléments nouveaux à paraître. L’auteur ne peut en revanche mettre le point final à son propos sans préciser que l’atteinte aux ouvrages d’art a certes un effet militaire conséquent, mais qu’elle induit également des nuisances aux populations. Par ailleurs, l’extension de la guerre aux zones agricoles a des effets à long terme peut-être difficilement réversibles. Pour vous en convaincre, observez via Google Earth l’évolution de la végétation sur les terres cultivées aux alentours de Deir Ezzor entre l’avant-guerre et aujourd’hui. En ces zones où l’irrigation est un enjeu majeur, que la guerre empêche les populations agricoles de faire leur métier est loin d’être anodin.

Mise à jour 26/10/2015

Google Earth et les réseaux sociaux permettent d’affiner l’analyse ci-dessus, notamment en ce qui concerne la remise en service du viaduc par l’Etat Islamique après sa coupure par l’armée syrienne le 15 septembre 2014. Plus haut, nous envisagions, sur la base des images de la force aérienne russe, l’hypothèse d’une passerelle venue relier la partie encore debout de l’ouvrage d’art à la route en contrebas. Voyons les dégâts produits par l’armée syrienne le 15 septembre 2014 et les évolutions qui ont suivi.

Le tweet ci-dessous date du jour même de la démolition par les forces gouvernementales:

Il convient, dans un premier temps, d’authentifier les photo. Pour la première, c’est chose faite en constatant que trois repères flagrants coïncident.

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Pour ce qui est de la deuxième photo (à droite dans le tweet), deux des trois repères identifiés sur la première, en l’occurrence ceux encadrés de blanc et de jaune ci-dessus, sont très clairement visibles sur le cliché (cf ci-dessous).

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Nous sommes donc bien en présence de deux clichés du viaduc qui nous intéresse. La date à laquelle ils ont été postés valide le fait qu’ils illustrent bel et bien les dégâts occasionnés le jour même par les forces gouvernementales syriennes. Reste maintenant à savoir comment la scène du sabotage a été, par la suite, aménagée par l’Etat Islamique. De cela découlera une conclusion: les forces russes auront frappé un pont opérationnel ou… d’ores et déjà hors d’usage. Pour commencer, observons deux images satellite disponibles via Google Earth. L’une date du 29 septembre 2014, soit 14 jours après le sabotage des forces gouvernementales syriennes. L’autre date du 15 novembre 2014, soit 16 jours plus tard.

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De toute évidence, d’une image à l’autre, des travaux évoluent, qui visent à créer la base d’une liaison entre le sol et l’extrémité nord de la partie saine du tablier du viaduc.   Un nouveau tweet, ci-dessous, nous ramène à notre viaduc. On y apprend qu’un char de l’Etat Islamique (visible à l’image) et un autre véhicule ont été détruits « près du viaduc de Siyasiyeh ».  Interrogé sur ses sources, l’auteur observe un silence pesant, qui laisse à supposer qu’il a saisi une information à la volée et l’a rediffusée sans en maîtriser les tenants ni les aboutissants. La physionomie des dégâts est conforme à ce que l’on peut voir dans les images ci-dessus. Là encore, la prise de vue est effectuée depuis le côté sud.

Si le tweet a été émis le 20 septembre 2015, on ne connait pas la date des prises de vue. Reste que le viaduc est abattu. Les photos sont donc postérieures à l’action du 15 septembre 2014…

Dans le cercle rouge, le char de l’EI détruit par l’armée syrienne. Que fait-il au bout de la partie saine du tablier?

Le char détruit n’est pas « près du viaduc » mais dessus. Mieux encore, il est à l’extrémité de la partie intacte du tablier! On a du mal à concevoir une bonne raison pour qu’il soit venu là sans qu’il y ait un moyen de passer de la rive nord de l’Euphrate au viaduc et inversement. Les tankistes de l’EI ont sans nul doute mieux à faire que d’aller s’aventurer au bout du tablier d’un pont hors d’usage…

En jouant avec le contraste, les contours de l’accès chaussée / tablier se dessinent.

L’image ci-dessus, issue de la manipulation de la photo originale illustrant la destruction du char, laisse apparaitre la forme de la liaison pont-chaussée. A corréler avec la vue d’en haut qu’offre la vidéo de la frappe russe.

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Ainsi, autant l’on ne connait pas encore l’effet réel de la frappe russe sur le viaduc de Siyasiyeh, autant il semble acquis que la force aérienne russe a frappé un pont en partie restauré, et en usage.

A suivre…

Jean-Marc LAFON

(1) Ex Russia Today, propriété de RIA Novosty.

(2) « Post-strike », en jargon militaire, signifie « après la frappe ».

(3) La bataille de Deir Ez Zor, un exemple de la guerre moderne, par Grégoire Chambaz sur courrierdorient.net 

(4) La destruction de ce pont suspendu et ses conséquences sont exposées ici: http://apsa2011.com/apsanew/deir-ez-zor-destruction-du-pont-suspendu/?lang=fr




A Ramâdi, Bagdad retrouve ses vieux démons

Un combattant de Daesh auprès de véhicules Humvee abandonnés par les forces irakiennes à Ramâdi, le 18 mai 2015

L’objectif affiché ces derniers mois était, pour le gouvernement irakien, la reprise de Mossoul (1). Dans la nuit du 17 au 18 mai 2015, les autorités de Bagdad admettaient que Ramâdi, 200 000 habitants, adossée à l’Euphrate, chef-lieu de la province d’al-Anbâr, se trouvait désormais aux mains des combattants de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EI, alias Daesh). Par leur incapacité à tenir cette ville clef un an après leur déroute au nord, les forces gouvernementales enregistrent leur plus humiliant échec depuis l’été 2014. Comment en est-on arrivé là et où va-t-on ?

La province irakienne d’al-Anbâr, dont Ramâdi est le chef-lieu

Dans un précédent billet sur ce même blog, on passait en revue la doctrine du Management de la Sauvagerie (2). Il n’aura pas échappé au lecteur attentif que pour être éligible au rang de théâtre d’opérations pour le jihad, un territoire doit offrir de la profondeur géographique. Traduisez: être si vaste que les forces gouvernementales doivent dégarnir des pans entiers de territoire pour espérer être efficaces dans d’autres. C’est évidemment le cas en Irak… Une des dures réalités de la guerre est que si on concentre ses forces, on devient localement puissant mais on déshabille militairement des territoires. En contrepartie, si on cherche à être présent partout, on disperse ses forces et on est alors faible partout. Or, les forces favorables au gouvernement irakien (3) ont concentré une grande partie de leurs moyens militaires sur le chemin de Mossoul (axe nord-sud), encouragées en cela par les difficultés rencontrées de Tikrit à Baiji, où presque chacun de leur succès est fragilisé voire annulé par de vives réactions de Daesh. Les zones vives de la province d’al-Anbâr (axe est-ouest) s’en sont trouvées dégarnies en termes de troupes opérationnellement valables. C’est, pour ainsi dire, mécanique. Mais d’autres facteurs que nous allons aborder, éminemment politiques, ont favorisé cette vulnérabilité. Daesh a su en profiter, fort de ses caractéristiques fondatrices : une vision du monde où politique et religion ne sont qu’un seul et même sujet; un pragmatisme et une expérience qui l’empêchent d’oublier que guerre et politique ne sont, là encore, qu’un seul et même sujet. A titre de synthèse, on appelle cela le jihadisme…

Combats en Irak : qui affronte qui ?

Le spectateur lointain de l’actualité irakienne tend à croire que le conflit oppose « simplement » Daesh à l’armée de Bagdad. Or, dans la région, rien n’est aussi simple. L’Irak est une mosaïque, d’un point de vue religieux mais également tribal et politique, les trois aspects étant subtilement liés. L’Islam y est massivement majoritaire, mais divisé. Une part de la population – et une part seulement –, notamment urbaine, affiche un penchant laïc prononcé. Le profond clivage chiites / sunnites y est bien présent, aggravé par les plaies non-cicatrisées héritées de l’ère Saddam Hussein puis de l’occupation US. La communauté chiite, numériquement plus imposante, est plus particulièrement présente au sud. Elle est l’objet de toutes les attentions de la part de Téhéran, et permet à l’Iran, outre la fluidification des échanges économiques, de se créer en Irak une sorte de zone tampon sécurisant une part du millier de kilomètres de frontière commune (4). Au nord, on trouve notamment les tribus sunnites, mais aussi les Kurdes – avec une forte composante laïque et nationaliste. Loin d’être exhaustive, cette énumération ne vise qu’à attirer l’attention du lecteur sur les subtilités du tissu social local. Elle est synthétique à l’extrême et le sujet s’accommode mal des résumés (5).

L’armée irakienne ne manque pas d’équipements, fournis notamment par les Etats-Unis et leurs alliés d’une part, et par l’Iran d’autre part. Elle bénéficie également de cursus de formation de qualité dispensés par ses puissants alliés. Mais elle ne s’est jamais relevée des guerres de 1991 et 2003, suivies de sa dissolution sous l’égide de Paul Bremmer, l’administrateur civil américain en Irak. (6) Pour qu’une armée combatte et vainque, il faut qu’elle soit soudée par un ciment fort, constitué de valeurs communes en général, et en particulier de toutes les bonnes raisons qu’ont ses soldats de consentir, si nécessaire, le sacrifice suprême. Quand l’unicité de la nation est tout sauf évidente, quand la population est fragmentée en termes de valeurs, de culture, d’idéaux et d’intérêts, l’armée peut attirer des citoyens soucieux de s’assurer un revenu fixe et garanti, voire une perspective de carrière. Mais elle porte en elle toutes les fractures de la société. Ainsi, fin 2014, avec le scandale des 50 000 soldats fantômes (7), l’armée irakienne s’illustra-t-elle comme la chambre d’écho de la corruption décomplexée qui fait rage dans la région. Quand 50 000 hommes sur les 300 000 théoriques sont absents « excusés » et que les officiers s’arrosent de pots de vin en remontant la chaîne hiérarchique, c’est que la structure étatique – au-delà même des forces de sécurité – est sclérosée. A l’heure de l’épreuve du feu, il ne faut alors pas imaginer que les hommes présents à leur poste se bousculeront massivement pour l’honneur de tomber en martyrs, quand bien même seraient-ils supérieurement formés et équipés. Après avoir vu les vidéos de ses camarades décapités, la débâcle cataclysmique provoquée par un ou deux blindés-suicides bourrés de quelques tonnes d’explosifs, et le drapeau du Tawhid hissé un peu plus loin par les jihadistes pour montrer qu’ils sont déjà là, le « bidasse » moyen plante là matériel de pointe, armes, tenue camouflée et bonnes manières pour aller se mettre à l’abri. Cela s’est produit à l’été 2014 lors de la grande offensive de Daesh. Cela s’est reproduit à Ramâdi au printemps 2015. Synthèse: l’armée irakienne n’est pas une force de combat fiable. C’est un fait, et les faits sont têtus.

Mossoul, été 2014 : Daesh parade (déjà) sur des Humvee américains abandonnés par l’armée irakienne, avant d’en faire une de ses montures emblématiques

Les milices chiites

Un des héritages laissés par l’ancien premier-ministre irakien Nouri al-Maliki répond au nom de Hashd al-Sha’abi: les « comités de mobilisation du peuple ». Sous cet artifice de langage aux accents socialistes se cache un conglomérat de milices chiites soutenues, armées, formées et souvent coordonnées par Téhéran (8). La réponse de Bagdad à l’inefficacité notoire de son armée. La communauté chiite d’Irak n’est pas un bloc monolithique, et son unité n’allait pas de soi. Cette division a d’ailleurs bien aidé Saddam Hussein pour, en son temps, neutraliser l’hypothétique menace intérieure chiite. Mais la progression spectaculaire de Daesh, peu amène envers les chiites, a dopé le processus. Les noyaux durs armés préexistants sont devenus autant de pôles d’attraction,  et Hashd al-Sha’abi a évolué comme un ensemble opérationnel cohérent, uni par un sectarisme commun. Lequel sectarisme vise naturellement Daesh, mais aussi, pour beaucoup de ces milices, tout ce qui est plus ou moins sunnite ou soupçonné de l’être. Certains y voient un pendant des Pasdaran, les gardiens de la révolution iranienne, évoluant en marge de l’armée régulière. L’emploi sur le terrain, contre Daesh, de Hashd al-Sha’abi a certes révélé des qualités opérationnelles intéressantes, mais le sectarisme s’embarrassant rarement de détails, on ne compte plus les exactions perpétrées par ses combattants, y compris sur les populations civiles sunnites : pillages, assassinats, exécutions sommaires, tortures, mutilations, le tout étant assumé et souvent filmé puis diffusé sur Internet pour avertir les récalcitrants potentiels (9). Le résultat en est souvent contreproductif, puisque pour de nombreux sunnites pas forcément inconditionnels de Daesh, entre le sectarisme violent des milices chiites et celui de Daesh, ils préfèrent celui de Daesh qui, au moins, ne leur est pas a priori hostile puisque sunnite comme eux… Répétons-le, les faits sont têtus. Notamment deux d’entre eux : 1) les guerres hybrides ne se gagnent pas uniquement via les affrontements armés, le soutien des populations étant essentiel; 2) le soutien de gens dont on a massacré les proches et pillé les biens n’est ni durable, ni sincère. Sans pour autant mériter une effusion de louanges pour ses qualités militaires, Hashd al-Sha’abi s’est avéré  plus efficace au combat que bien des unités de l’armée irakienne. Mais en termes de soft-power – l’art de s’attacher l’adhésion des populations –, le compte n’y est clairement pas. Voilà sans doute les raisons du non-déploiement des milices chiites dans la province d’al-Anbâr : 1) Bagdad essaie de tenir les milices chiites loin des agglomérations sunnites et 2) leurs raisonnables aptitudes au combat sont nécessaires sur le chemin de Mossoul.

Et maintenant ?

Ce que Daesh fera de Ramâdi n’est pas encore prévisible. A-t-il les moyens de s’y établir pour durer ou se repliera-t-il progressivement au fil des jours et semaines à venir, attendant l’opportunité d’adresser à ses ennemis un nouvel uppercut sous l’effet de la surprise ? Toujours est-il que ce succès offensif apportera des bénéfices à Daesh, et aucun à Bagdad. Les autorités irakiennes cherchaient à promouvoir l’image d’un Daesh acculé, affaibli par les raids aériens des aviations les plus modernes du monde, prêt à recevoir le coup de grâce. Et soudain, on voit tomber un nouveau chef-lieu de province tandis que s’expose à nouveau sur Internet et toutes les TV du monde le spectacle consternant d’une armée irakienne en débâcle, abandonnant armes et bagages. Nul doute que la propagande de Daesh saura exploiter durablement cet épisode.

Véhicules militaires irakiens abandonnés immortalisés à Ramâdi par les photographes de Daesh le 18 mai 2015. Comme un air de déjà vu…

La surprise exploitée par Daesh pose question quant aux choix faits par le pouvoir irakien et aux compétences de ses forces de sécurité. La province d’al-Anbâr est propice aux infiltrations, et les rives de l’Euphrate ne manquent pas d’objectifs intéressants pour Daesh. Alors que certaines tribus sunnites y sont enclines à lutter contre Daesh ou à observer une neutralité bienveillante envers le gouvernement, Bagdad rechigne à les armer sérieusement, les rendant du même coup vulnérables aux représailles des jihadistes. Cela ne manque pas d’affecter leur fidélité. L’examen de la situation tactique de ces dernières semaines rend la surprise de Ramâdi… surprenante. Le problème des infiltrations au nez et à la barbe de l’aviation de la coalition est bien connu et documenté (10) mais il faut croire qu’il n’a pas été pris suffisamment au sérieux. D’autre part, le pouvoir multiplie les maladresses de nature à perdre chaque jour un peu plus de crédit auprès des populations sunnites que Daesh n’a pas encore converties à sa cause. Au point qu’à défaut d’adhérer à l’idéologie de Daesh, nombre d’autochtones finissent par le considérer comme un moindre mal comparé aux milices de Hashd al-Sha’abi et à un pouvoir central perçu comme de plus en plus inféodé à Téhéran. La méthode la plus prometteuse pour Bagdad serait sans doute celle des petits pas : exploiter les milices chiites en rase-campagne, loin des populations sunnites, et prendre son temps pour gagner méticuleusement la confiance de celles-ci. C’est apparemment l’option qui a été retenue après la bataille de Tikrit et les exactions qu’y ont commises des miliciens chiites : Hashd al-Sha’abi a été affecté aux secteurs les moins peuplés, l’armée et la police se chargeant plus particulièrement des zones à forte densité de population – principalement à dominante sunnite. Il semble que Daesh ait interrompu cet ambitieux programme…

Rester sans réaction reviendrait, pour le gouvernement irakien, à émettre un message désastreux. Ce serait un aveu d’impuissance de nature à l’affaiblir encore plus : le signe que depuis la débâcle de l’été 2014, rien n’a vraiment changé. Mais réagir condamnerait Bagdad à faire le jeu de Daesh. En effet, l’armée n’ayant pas la capacité de se confronter avec succès aux jihadistes, la reconquête de Ramâdi impliquerait le déploiement sur zone des milices chiites de Hashd al-Sha’abi, au grand désarroi d’une large part des populations sunnites qui subiront leur pesante présence. Daesh a ainsi mis le gouvernement irakien dans une situation où tous les choix sont mauvais et où il va falloir opter pour le moins délétère. Il est assurément des situations plus enviables. Dans ce sanglant jeu de dupes, aucun pays de la coalition dirigée par les Etats-Unis n’a encore affiché clairement ses buts de guerre. A se demander si l’on en a vraiment… A moins que l’instabilité de la région ne recèle suffisamment d’avantages pour que bon an, mal an, on s’en contente ?

Jean-Marc LAFON

(1) Mossoul est le chef-lieu de la province de Ninive. Elle est tombée aux mains de Daesh en juin 2014.

(2) Le Management de la Sauvagerie, Jean-Marc LAFON : http://kurultay.fr/blog/?p=187

(3) Nous parlons là des forces terrestres : forces de sécurité irakiennes, milices chiites, quelques milices sunnites. Les Peshmergas rechignent à opérer hors du Kurdistan.

(4) Iraq is Iran’s ‘strategic depth : Army commander, agence iranienne IRNA: http://www.irna.ir/en/News/81533347/

(5) Les ressorts sociaux sont évoqués dans cet intéressant article d’avant la guerre actuelle: 10 ans après, que devient l’Irak ? 2013, le Monde Diplomatique, Peter Harling http://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/HARLING/48806

(6) Feu l’armée de Saddam Hussein. Article pour Libération de Marc SEMO, alors envoyé spécial en Irak http://www.liberation.fr/monde/2003/05/24/feu-l-armee-de-saddam-hussein_434712

(7) L’Irak veut combattre la corruption après la découverte de 50 000 soldats fictifs http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/11/30/l-irak-veut-combattre-la-corruption-apres-la-decouverte-de-50-000-soldats-fictifs_4531763_3218.html

(8) Hashd al-Shaabi / Hashd Shaabi Popular Mobilization Units / People’s Mobilization Forces, GlobalSecurity.org http://www.globalsecurity.org/military/world/para/hashd-al-shaabi.htm

(9) Des miliciens chiites rivalisent de barbarie avec l’EI, France 24 http://observers.france24.com/fr/content/20140910-miliciens-chiites-surenchere-barbare-etat-islamique-irak-video-decapitation

(10) Sujet évoqué ici même dans le billet Aviation contre Etat Islamique, Jean-Marc LAFON : http://kurultay.fr/blog/?p=125




Guerre en Syrie et Irak: physionomie du terrain

syrie-viergeLe web et la presse fourmillent de cartes illustrant les zones « contrôlées », « possédées », « tenues » par telle ou telle faction. Un exemple criant est le foisonnement de cartes montrant, telle une gangrène rongeant une jambe, la  « progression » de l’Etat Islamique sur de vastes périmètres de territoire syrien et irakien. Si vous le voulez bien, nous allons aujourd’hui nous projeter un peu sur le terrain pour mieux appréhender cette notion de « contrôle » de zone.

Un périmètre que l’on « tient », qu’est-ce que ça signifie ? Disons qu’à minima, en situation de conflit, il s’agit, pour un belligérant, de se trouver établi quelque part — d’y être présent physiquement donc — et d’y maintenir certaines conditions :

  • que la probabilité d’atteinte à ses personnels et matériels par un ennemi y soit minime ;
  • que ses flux logistiques y soient sécurisés envers les initiatives adverses ;
  • que ses forces y bénéficient d’une large liberté de manœuvre et d’initiative ;
  • qu’il y rende la liberté de manœuvre d’un ennemi nulle ou très risquée.

Passons maintenant à l’observation de la carte. Voyons, par exemple, les périmètres du territoire syrien supposés être sous le contrôle de l’Etat Islamique en novembre 2014 selon la page Wikipédia dédiée à cette organisation : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_islamique_(organisation) . Pour éviter d’alourdir le présent billet, nous nous focaliserons sur la Syrie, étant entendu que le problème est le même en Irak. Superposons la carte présentée par Wikipédia — conforme à des dizaines d’autres mondialement diffusées — et une vue satellite de la Syrie (Google Earth).

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Maintenant, passons à la vue satellite dépouillée.

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Comme vous pouvez le constater, il y a du jaune, du vert, et du vert pâle. Le décryptage est aisé : les zones vertes sont fertiles et humides, et ce n’est pas un hasard si elles sont principalement situées le long des cours et étendues d’eau. Les zones jaunes, c’est le désert syrien, une vaste étendue aride parsemée de pierres tranchantes et grosses mangeuses de pneus. Le vert pâle, ce sont les périmètres intermédiaires, souvent menacés par la désertification. Vous voyez donc que la Syrie est une vaste étendue aride agrémentée de quelques maigres zones fertiles et hospitalières.

J’ai placé ci-dessus un repère rouge vers Deir Ezzor, sur les rives du fleuve Euphrate. Zoomons donc sur ce repère, via la vue ci-dessous.

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On voit là l’Euphrate, les zones cultivées, l’agglomération de Deir Ezzor et le réseau routier qui la dessert. Puis, à l’Est, sec, aride, le désert. Une image valant mieux qu’un discours, voici à quoi il ressemble.

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Austère, n’est-ce pas? Et tout à fait idéal pour se faire repérer par les aéronefs de la coalition, de jour comme de nuit, avec ou sans camouflage puisqu’ils disposent de senseurs thermiques et de radars air-sol. Rappelons que cet environnement est redoutable pour les véhicules et leurs pneumatiques, et qu’on y roule à un train de sénateur.

Continuons les investigations en étudiant une de ces grosses taches menaçantes sur la carte, réputées « zones EI ». Ci-dessous, le sud-ouest de Deir Ezzor, avec, toujours en rouge, le périmètre réputé aux mains de l’EI. Et 200 km de désert conforme à la photo ci-dessus…

En jaune, l’unique route du secteur, reliant Deir Ezzor à Palmyre

Interprétation de la carte: l’EI tiendrait le secteur sur une profondeur de 200 km en partant de l’Euphrate. Il tiendrait tout sauf la route et Palmyre. Mais dans le mot « tout », à part des cailloux et du sable, qu’y a-t-il? Des pipelines que la coalition s’est empressée de rendre inaptes à leur fonction quand ils profitaient à l’EI, et deux petits champs d’extraction au sort incertain, mais que le régime a probablement cessé d’exploiter faute de pouvoir les sécuriser. Voici à titre indicatif une carte sommaire des ressources fossiles, pipelines et gazoducs.

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Les seules choses intéressantes qu’il reste à contrôler dans le secteur sont donc la route et Palmyre, que l’EI ne tient pas puisqu’elles sont aux mains du régime. Vous pouvez conclure sans risque d’erreur que l’EI ne tient rien dans cette grosse tache rouge en plein désert… Le régime de Bachar al Assad non plus, ni aucune faction rebelle. De telles zones inhospitalières sont le plus souvent délaissées car inexploitables à quelque fin que ce soit. En novembre 2014, j’envisageais plutôt la carte de l’EI en Syrie comme suit:

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D’autres, plus portés sur un travail de cartographie de longue haleine, auront matière à critiquer sur tel ou tel détail et je les écouterai respectueusement. Mais la situation de novembre dernier n’est pas le problème de fond. Le propos est ici de rappeler que la carte doit traduire les contraintes du terrain. L’EI, comme tout belligérant compétent, cherche à contrôler aussi rigoureusement que possible les routes, les cours d’eau et les ressources. La zone grise décrite ci-dessus est a priori moins vertigineuse, en termes de surface « couverte » par l’EI, que l’énorme tache rouge dont Wikipédia et de nombreux médias ont repeint le désert syrien. Mais qu’on ne s’y trompe pas. L’EI contrôle le cours de l’Euphrate jusqu’aux environs directs de Bagdad, celui du Tigre jusqu’à Mossul, des ressources fossiles encore conséquentes, et on ne devrait pas avoir besoin de renverser un pot de peinture sur une carte pour expliquer ça à ses lecteurs. A propos, voici un lien vers un travail du New York Times, dont la documentation cartographique me semble tout à fait crédible à défaut d’être spectaculaire: http://www.nytimes.com/interactive/2014/06/12/world/middleeast/the-iraq-isis-conflict-in-maps-photos-and-video.html?_r=0

Ce billet n’a pas l’ambition de vous livrer sur le ton du scoop l’ensemble des positions de combats de l’EI. Son but est juste d’inviter le lecteur à valider les cartes qui lui sont proposées en allant jeter un œil curieux sur des outils tels Google Maps et Google Earth. Si vous vous piquez au jeu, vous apprendrez à aimer aussi Wikimapia, très utile quand l’actualité traite de zones urbaines comme c’est le cas à Kobané ou Mossul par exemple.

Jean-Marc LAFON

PS: ne le dites à personne mais ça marche aussi avec l’Ukraine… 😉




Etat Islamique et Stratégie

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« De la guerre », par Carl von CLAUSEWITZ

En préambule, pour se mettre sur la même longueur d’ondes, entendons-nous sur une acception commune du terme « stratégie ». Voyons-y, pour une grande entité humaine, le fait de se donner des buts politiques essentiels puis, pour les atteindre malgré les obstacles, d’optimiser et coordonner l’ensemble de ses moyens. La stratégie est constituée des réponses à quelques questions clefs. Quel état final recherché ? Pour l’atteindre, quel cadre éthique ? Quels moyens et méthodes ? Quels sacrifices ? La stratégie, dans notre contexte mondialisé, est un art hautement politique où le domaine militaire est un outil parmi tous les autres disponibles dans l’atelier.

Lors d’échanges sur les réseaux sociaux, la question de la stratégie de l’Etat Islamique en Irak et au Levant est parfois abordée. Je choque souvent en affirmant que l’EI est pourvu d’une stratégie parfaitement nette qu’il ne perd jamais de vue, là où bien des Etats ont laissé leur vision stratégique se flouter à force de ne plus appréhender que le court terme politique. Un argument que l’on m’oppose avec récurrence est : « se mettre tout le monde à dos n’est pas une stratégie valide ». Et pourtant…

101187946[1]L’EI a ceci de nouveau que 1) il a fondé un Etat en s’emparant d’un territoire, de ses ressources, administrant l’un tout en exploitant les autres et 2) il s’est donné dès le départ une vocation expansionniste sans limite, ni dans l’espace, ni dans le temps. La conjonction du 1 et du 2 n’était pas arrivée de mémoire de chef d’Etat quinquagénaire. Les territoires et les ressources dont bénéficie l’EI ne pouvaient être pris que par la force à leurs précédents propriétaires. L’expansion est obtenue par la guerre. Elle est le fruit de la victoire militaire. Ou des allégeances nouvelles, mais on ne prête allégeance qu’aux forts. La guerre est un passage obligatoire pour l’EI. Le jihad en l’occurrence. Son but politique est le califat global sous le régime de la charia. Une vision de long terme, irréalisable pacifiquement.

Alors « se mettre tout le monde à dos », est-ce une stratégie valide ? A mon humble avis, la question ne se pose pas en ces termes. La vraie question serait plutôt de savoir si ce fameux « tout le monde » est en mesure de détruire le califat de Raqqa. De le priver de son sol, de ses ressources, et de militants assez nombreux, motivés et organisés pour remettre le couvert ailleurs. En Libye post-BHL par exemple. Qu’on me pardonne de remuer le couteau dans la plaie, mais les talibans afghans figurent moins que jamais dans la liste des espèces menacées, et je vois mal pourquoi l’EI y entrerait avant eux. Or, il est une contrainte à laquelle même les plus grands conquérants ont dû se plier : ce que tu ne peux détruire, tu devras un jour négocier avec. Demandez à l’oncle Sam et aux frères Castro…

101188133[1]Sur le terrain, qu’avons-nous pour détruire l’EI, et éviter de devoir négocier avec lui un jour ? Des Kurdes, des Alaouites, des Chiites, qui se battent pour atteindre leurs objectifs respectifs, pas les nôtres. Il y a également des soldats de divers horizons à qui il manque une excellente raison de mourir. Car pour faire un vrai soldat, il faut un consentement au sacrifice suprême — et on ne l’obtient pas sans bonnes raisons. Enfin, nous avons des « modérés »  dont beaucoup refusent qu’on les qualifie de tels, et dont la « modération » se résume souvent à n’être estampillés ni EI, ni Al Qaeda. Certains ont d’ailleurs tendance à prêter allégeance à l’EI quand leurs intérêts le nécessitent. Sinon, nous avons des avions, mais déjà que d’en bas on ne voit pas tout, alors si l’on n’est présent qu’en haut…

Si l’occidental a les chronomètres, le jihadiste a le temps. Or, si les dynamiques actuelles ne sont pas inversées, le temps nous mène vers une Syrie à trois axes forts : Assad, et les deux structures jihadistes pourvues d’une stratégie digne de ce nom: Jabhat al Nosra (Al Qaeda) et l’Etat Islamique. Ailleurs, la meilleure défense de l’EI est l’attaque. Il attaque en Irak et se renforce dans ses bastions syriens tout en négociant régulièrement de nouvelles allégeances de groupes rivaux. Les territoires irakiens sont la variable territoriale, où le jeu de certaines tribus sunnites peut rendre très long le processus de neutralisation de l’EI. Nous verrons ce qu’il adviendra en Jordanie et Arabie Saoudite. Pendant ce temps, l’EI progresse en Libye  via ceux qui lui ont prêté allégeance. Sans doute une future menace solide de la bande sahélienne et du Maghreb, sans parler du Sinaï, du Caucase et de maints foyers en Asie. Alors, la guerre, combien de temps, et pour quels résultats ? Pour donner l’échelle, « notre » guerre en Afghanistan a démarré dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001. Et les Etats-Unis négocient désormais avec les talibans, faute d’avoir pu monter une coalition assez cohérente pour ramener la guerre à ce qu’elle est dans le fond : un acte visant une finalité politique identique pour tous les « alliés ».

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La guerre en Afghanistan n’est pas gagnée, pour bonne partie faute d’un but clairement défini et communément admis. Détruire les talibans ? Foutaise. Détruire la corruption ? Foutaise (bis). Quoi d’autre ? Pas tous en même temps SVP. Et les but de la guerre contre l’EI, quels sont-ils ? J’entends ici et là « détruire Daesh ». Ah OK… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, sauf à envoyer les politiciens occidentaux en exil sur la lune et à les remplacer par des techniciens sachant se passer des conseils de philosophes entartés ou d’anthropologues du fait religieux (à tes souhaits), je crains fort que sur le terrain de la stratégie d’Etat, la critique des USA et de leurs alliés, y compris la France, soit plus urgente que celle de l’EI. L’invincibilité n’existe pas. L’incompétence, si. N’étant spécialiste de rien, je ne poserai pas de diagnostic. Mais je me permets quelques questions et j’invite le lecteur à en faire autant.

Jean-Marc LAFON