LE DRAPEAU DE DAECH : MAITRISE DES SYMBOLES ET SUCCES MARKETING

01bis drapeau EI

Symbole marquant de l’Etat Islamique, en passe de devenir après la croix gammée nazie, le symbole de l’ennemi « absolu » autour duquel toute la Société occidentale va progressivement se reconstruire, cet étendard frappe aujourd’hui les esprits.

(Mises à jour du 29 avril 2016 à 24h en italique)

01 drapeau EI al Rai

drapeau intégré dans une peinture murale d’un bâtiment officiel – ville d’al-Raae au nord ouest d’Alep – Syrie (Merci à Wassim Nasr pour la précision)

Il devient un marqueur d’appartenance à l’EI de mouvements jihadistes, même s’il est employé bien au-delà de la sphère des mouvements ayant fait allégeance à l’EI.

Il est donc indispensable d’analyser ce qu’il signifie pour les musulmans, comme pour les non-musulmans. Cette analyse est nécessaire pour se rendre compte qu’à travers ce drapeau, c’est toute la relation, le « souchage » du projet de l’EI sur l’Islam qui apparaît, grâce à une maîtrise exceptionnelle des symboles qui fait de cette image avant tout un immense succès marketing.

Description

2 drapeau EI

Il s’agit d’un drapeau noir de forme carrée, avec des inscriptions blanches, construit en deux parties organisées verticalement.

Le choix de la couleur renvoie à l’étendard de l’aigle, « rayat al-`uqab », qui selon la légende aurait été choisi par Mohammed pour combattre, simplement à partir d’une pièce de tissus noir qui avait servi de châle à son épouse Aïcha. D’après des Hadiths[1], il serait carré et orné d’aucune inscription.

L’inscription sur la partie haute est tirée de la formule arabe : أشهد أن لآ إلَـهَ اِلا الله/ Achadou an lâ illâha illa-llâh, qui peut se traduire par « J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu ». (MàJ) Une traduction littérale pourrait être « j’atteste qu’il n’y a pas de Dieu sauf Allah ».

Il s’agit de la première partie de la Chahada (ou Shahada), la profession de foi prononcée par toute personne pour devenir musulman. Cette phrase constitue le premier des cinq piliers de l’Islam, et qui est directement liée au tawhid, le principe de l’unicité de Dieu. Dans l’Islam, et par réaction aux polythéismes pratiqués à l’époque de Mohammed, tout acte d’adoration ne peut être dirigé que vers le Dieu unique, et c’est cette phrase qui le proclame et le rappelle[2].

Il existe de nombreux drapeaux qui comportent la Chahada (à commencer par celui de l’Arabie Saoudite), mais dans le drapeau de l’EI, la citation est incomplète.

D’abord, il manque le terme « j’atteste » (Achadou), ce qui transforme la formule en une affirmation « objective » sur l’unicité de Dieu, n’impliquant aucune adhésion du lecteur, à laquelle elle s’impose comme la première loi divine.

De plus, seule la première partie est citée, puisque la suite de la profession de foi « wa-achadou anna Mouḥammadan rassoûlou-llâh » c’est à dire «…et que Muḥammad est l’envoyé de Dieu », n’est pas reprise.

A la place, les chefs de l’EI ont opté pour la figuration du premier sceau connu de Mohammed, qui comporte les trois mots importants (de haut en bas) : Dieu – Envoyé (ou messager) – Mohammed.

3 Sceau-Mohammed_-saws--empreinte

4 Muhammad's_Letter_to_Mukaukis

Sources de ce premier sceau (une lettre de Mohammed)

Relevons que contrairement aux usages, la calligraphie utilisée n’est pas le Thuluth (calligraphie classique considérée comme la plus esthétique), mais le coufique ancien.

Rien dans ces éléments descriptifs n’est innocent et c’est ce que nous allons étudier.

Historique :

L’origine exacte de ce drapeau n’est pas connue.

La première trace historique de l’emploi d’une bannière noire date d’Abu Muslim, général perse des califes abassides de Bagdad, lors des guerres qui ont mis fin à la suprématie Omeyyade. Cet étendard concerne alors les troupes perses des abbassides qui vont vaincre les armées syriennes Omeyyades[3].

A l’époque, le drapeau devait être noir sans motifs, chaque camp s’attribuant une couleur pour l’étendard (la « raya ») et une couleur distinctive pour reconnaître les combattants, qui n’ont pas d’uniformes (un turban, un morceau de tissus noué sur la tête ou le bras, appelé parfois « liwā » ou « alam »).

L’apparition de drapeaux noirs avec la Chahada daterait des combats en zone Pachtoune (Afghanistan) au XVIIIème siècle. L’idée s’étend et les Talibans puis Al Qaïda reprennent la composition étendard noir + Chahada selon des calligraphies et des motifs différents.

Le drapeau du mouvement jihadiste à l’origine lointaine de l’EI, le Jama’at al-Tawhid wal-Jihad (Unicité et Jihad) d’Abu Moussab al-Zarqaoui reprenait déjà la structure, mais avec la calligraphie classique Thulut, et en associant le nom de l’organisation en doré.

5 drapeau JTJ

La proximité avec le drapeau de l’EI est remarquable même si l’étude des différences est riche d’enseignements sur les évolutions de l’organisation.

Le groupe fondé en 1999 en Afghanistan par al-Zarqaoui va s’étendre en Jordanie et surtout en Irak avec l’invasion américaine de 2003.

En 2004, le groupe fusionne avec d’autres pour faire allégeance à Al-Qaida, et devenir Tanzim Qaidat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn (qu’on peut traduire par Organization de la base – Al Qaida – du Jihad en Mésopotamie / Irak).

Le drapeau évolue pour se rapprocher de celui d’Al Qaida, signe de cette allégeance. Parmi les nombreuses variantes qui ont existé, celle-ci représente une évolution graphique notable avec laquelle les concepteurs du drapeau de l’EI ont voulu trancher.

6 Drapeau AQI

Le sceau est toujours vide, et le caractères (Chahada et nom de l’organisation) sont dorés, mais la calligraphie évolue.

Un exemple dans une vidéo de l’organisation à Bagdad (Rue d’Haïfa – contrôlée par Zarqaoui en septembre 2004) :

7 drapeau EI 2004-2

Cette organisation va rallier en janvier 2006 le Conseil consultatif des Moudjahidines en Iraq. Après la mort de Zarqaoui, ce Conseil se dissout pour proclamer l’Etat islamique en Iraq en octobre 2006[4].

Le drapeau actuel de l’EI apparaît en janvier 2007 notamment dans des vidéos de al-Fajr (agence Al Qaida), et il va rapidement s’étendre sur plusieurs continents.

En réalité ce drapeau est employé dès la fin 2006 dans les communiqués du mouvement, imprimés, photocopiés, et distribués à la sortie des Mosquées (au point que le gouvernement iraquien va interdire les imprimantes dans certaines zones).

Cgl0t71WgAIzWDJ

Voici un exemple de communiqué de l’EII

Puis il apparaît dans les combats, comme sur différentes vidéos :

Capture d’écran 2016-04-21 à 22.32.21

Capture d’écran 2016-04-21 à 22.01.28

L’une des plus anciennes vidéos disponibles sur le net date de juillet 2007 et montre l’attaque d’un poste de police dans la province de Diyala[i].

Capture d’écran 2016-04-21 à 19.50.15

(Remerciements à @BiladFransa et @BrunFree pour leur aide dans mes recherches)

Il est intéressant de noter ici que le sous-titre est littéralement « état d’Iraq et islamique » Les mentions sont donc inversées par rapport au nom officiel (il n’a pas été possible de découvrir la raison de cette inversion).

En conclusion, le choix de ce drapeau, qui s’inscrit à la fois dans la continuité du mouvement jihadiste de Zarqaoui et en rupture avec les éléments figuratifs d’Al Qaida préfigure ainsi l’opposition qui va intervenir rapidement entre l’EI et Al Qaida.

Les variantes :

Nous avons relevé plusieurs variantes à ce drapeau de mouvements proches de l’EI (liste non exhaustive).

En Syrie, on constate de nombreuses variantes, essentiellement par l’ajout du nom d’un groupe ayant fait allégeance à l’EI, ou souhaitant le faire.

8 variante drapeau EI

Syrie – secteur sud-ouest Deraa – Brigade des martyrs de Yarmouk

9. variante drap EI

drapeau de la Katiba des hommes de dieu dans le pays de Sham

10 variante drapeau EI

insigne peinte sur un blindage d’un technical avec la mention « Etat islamique en Irak et au Sham »

Des variantes s’observent aussi dans les autres régions contrôlées par l’EI :

11 variante Inde Srinagar

En Inde (Shrinagar)

12 variante drapeau EI philipines

aux Philippines

13 variante drapeau EI Nigeria

variante très originale an Nigéria (pris par l’armée).

Il existe aussi des variantes de ce drapeau au sein de groupes qui ne sont pas rattachés à l’EI.

14 variante drapeau AQMI

Etendard utilisé par AQMI (variante par la calligraphie différente, y compris dans le sceau du Prophète).

15 variante Green battalion

Drapeau du bataillon vert (groupe jihadiste syrien qui va fusionner en 2014 avec le front Al-Nosra, donc Al Qaida)[5].

On constate par ces variantes (liste non limitative) que le phénomène d’appropriation de ce drapeau par les jihadistes de groupes et de régions très différents, est complet. C’est le signe comme nous le verrons du succès du coup marketing de l’EI.

Symbolique :

La force symbolique du drapeau de l’EI est extraordinairement efficace. Et il est intéressant d’aller au-delà de ce constat pour essayer d’analyser les signifiants qui sont derrière les symboles figurés sur cet étendard.

Le choix d’un drapeau de forme carrée découle d’une volonté de se conformer au modèle originel, en rejetant les formats occidentaux (drapeau en rectangle ou carré long).

La couleur noire est bien évidemment le premier élément qui frappe. D’autres couleurs auraient pu être choisies (par exemple le vert).

La référence historique à la bannière noire de Mohammed (rayat al-Uqab ou rayat al-Sawad) est classique et lisible. Pourtant ce choix n’a rien d’évident, y compris du strict point de vue des références jihadistes. La bannière la plus connue de Mohammed est en effet la bannière blanche (certains historiens doutant même de l’existence de la bannière noire puisque seuls certains Hadiths, certes jugés les plus sûrs, y font référence), sachant qu’il avait aussi une bannière rouge.

16 Philippines-training-camp-2014-672x372

il existe d’ailleurs une version en blanc du drapeau de l’EI (comme aussi aux Philippines).

En réalité, dans l’histoire musulmane, les bannières noires ont d’abord été le signe de la révolte, et c’est pour cela que les chiites en ont aussi fait usage, comme les troupes perses d’Abu Muslim, général Abbasside en révolte contre les Omeyyades. Le choix de cette couleur n’est donc pas anodin pour des sunnites, historiquement plutôt portés à la soumission aux autorités. C’est le signe que l’EI veut porter un projet de nature révolutionnaire.

C’est aussi un premier marqueur « d’irakocentrisme » de l’EI[6], le drapeau noir d’Abu Muslim étant celui des troupes du Calife Abbasside de Bagdad en guerre contre les armées syriennes[7].

De plus, il existe une version du récit de l’arrivée du Mahdi sur terre, le sauveur, qui viendra délivrer la terre du Dajjal (version jihadiste de l’Antéchrist) accompagné de légions arborant des drapeaux noirs. La couleur noire est donc aussi une référence à la dimension millénariste et apocalyptique de l’idéologie de l’EI.

16Bis Dajjal

exemple de représentation du Dajjal – figure centrale de la dimension apocalyptique de l’idéologie jihadiste

Enfin, les étendards noirs ont toujours plus frappé l’imagination des populations, bien au-delà du monde musulman (pensons aux pavillons « Jolly Rogers » des Pirates anglais[8]). Le noir est en Occident la couleur du deuil et des enfers, il possède donc un impact psychologique classique et largement utilisé dans l’histoire militaire (des Hussards de la mort français de la Révolution aux Waffen SS).

Les inscriptions du drapeau revêtent ensuite plusieurs dimensions symboliques qui dévoilent à la fois l’intention de ses concepteurs, et la nature de leur projet.

La reprise de la première partie de la Chahada, qui renvoie à l’unicité absolue du culte à dieu, a un lien direct avec l’idéologie jihadiste, qui prône un monothéisme extrémiste, rejetant tout culte associé (aux saints, aux savants, aux prophètes…), et allant jusqu’à détruire toutes les images de créatures de dieu.

Cette tendance est basée sur une conception extensive et ultra-rigoriste du Tawhid[9], dont cette phrase est le rappel permanent. C’est aussi plus prosaïquement une reconnaissance de la filiation de l’EI avec le groupe fondé par Zarqaoui, et qui se réclamait du Tawhid au point de le mettre dans son nom.

Le drapeau de l’EI est parfois surnommé « rayat al-Tawhid », c’est à dire la bannière de l’unicité ou du monothéisme.

(MàJ) La Chahada est aussi symboliquement importante pour les Jihadistes, car l’attestation de foi dans un dieu unique se matérialise par le sacrifice suprême, c’est à dire la mort au combat du croyant. L’autre sens de la Chahada est donc de mourir pour sa foi, en témoignage de sa croyance dans un dieu unique. Les musulmans morts pour leur foi en combattants sont donc appelés Chahîd, mot qui dérive de Chahada et qui a à la fois le sens de témoin (Châhid), mais aussi de martyr (Chahîd).

Afin de se démarquer à la fois d’Al Qaida et des nations arabes qui ont la Chahada inscrite sur leur drapeau, les concepteurs de l’étendard de l’EI ont fait deux choix très symboliques:

  • seule la 1ère partie de la Chahada est reprise
  • elle est écrite en alphabet Coufique ancien.

Rappelons que l’emploi du coufique ancien, qui n’est pas l’écriture originelle du Coran (c’est le Hijazi).

17 Qur'anic_Manuscript_-_2_-_Hijazi_script

Un exemple d’un des plus anciens Coran connus, écrit en Hijazi (différent du Coufique ancien).

En n’employant pas le Thuluth pour se différencier de ses ennemis et concurrents (à commencer par Al Qaida), l’EI choisit aussi une calligraphie qui renvoie aux premiers âges de l’Islam (sans être l’écriture d’origine), comme pour se replacer dans les pas et les écrits des compagnons de Mohammed (les fameux salafs).

Mais le choix du Coufique ancien n’est pas innocent, puisqu’il ne s’agit pas de l’écriture originelle du Coran. Cet alphabet est d’abord le premier alphabet arabe émanant d’Irak, de la ville de Koufa dont il tire son nom. Nous avons donc là une nouvelle preuve de « l’irakocentrisme » de l’EI, dont l’idéologie, le projet politique, la structure comme la hiérarchie sont indissociablement liés à l’Irak post-2003[10].

Enfin, cette calligraphie est aussi celle qui fut imposée par les premiers Califes pour unifier l’écriture arabe, signe donc de l’instauration d’un Etat.

La calligraphie employée n’a donc rien d’un choix esthétique ou anodin, mais relève d’une volonté de marquer politiquement un projet idéologique conçu autour de la construction d’un état (l’état islamique) et qui n’est pas dénué de nationalisme sous-jacent par son « irakocentrisme ».

La reprise du sceau de Mohammed est d’abord destinée à compléter de manière originale la Chahada, qui serait sinon tronquée et donc hérétique.

La particularité est qu’alors que le drapeau se lit de haut en bas, le cachet doit se lire de bas vers le haut : Mohammed – Rassoul – Allah.

Cette particularité n’est pas un détail. Outre qu’elle se référe à un document connu (et déjà cité) sur lequel apparaît ce cachet, il s’agit aussi de renforcer l’importance du Tawhid dans l’idéologie de l’EI : rien ne peut être au-dessus du nom de dieu, pas même celui de son prophète[11].

(MàJ) Cette présentation renvoie à la pratique de certains savants musulmans, qui commencent ainsi leurs exposés ou leurs textes par l’invocation du nom de Dieu, afin que rien ne le précède, pas même celui de son prophète.

Enfin, la référence du cachet employé par Mohammed, non dans ses actes de prophète – de messager de dieu – mais en qualité de chef d’état, de diplomate et d’homme politique, est aussi un signal fort adressé à toute la communauté sunnite : le projet de l’EI est d’abord politique. Et la construction d’un Etat suivant « à la lettre » l’exemple de Mohammed en est le cœur, l’ADN même.

On constate donc que la charge symbolique de cet étendard est puissante pour les sunnites, surtout ceux qui sont influencés par le Wahhabisme, forme d’Islam qui prépare à l’idéologie jihadiste de l’EI, sur la base d’un langage et d’une conception religieuse commune.

Un énorme succès marketing :

L’analyse de la symbolique de ce drapeau est donc nécessaire pour comprendre l’ampleur de son succès en tant qu’objet marketing[12].

Il s’agit comme certains l’ont relevé très vite, d’une « prise en otage » de symboles communs à l’ensemble des musulmans sunnites pratiquants[13].

En effet, contrairement au réflexe classique dans toute guerre, il ne sera pas possible aux sunnites opposés à l’EI d’humilier un drapeau chargé de symboles aussi sacrés pour eux, même s’ils ne partagent pas l’idéologie et le projet politique de l’EI.

18 Chiites et drapeau EI

Miliciens chiites brûlant un drapeau de l’EI capturé – un acte impossible pour des groupes sunnites ennemis de l’EI.

Et même, il existe des cas de sunnites arborant ce drapeau sans pour autant appartenir ou soutenir l’EI. Les exemples abondent où des sunnites reprennent ce drapeau simplement pour son contenu, et éventuellement pour sa dimension révolutionnaire et de restauration d’une fierté sunnite mise à mal depuis des décennies, et plus récemment en Iraq et en Syrie.

Voici quelques exemples avérés où le drapeau de l’EI a été arboré dans un tel cadre, complétement différent de toute adhésion au projet et à l’idéologie de l’EI :

19 black flag Idlib protest 2

Manifestation anti-Assad à Idlib en mars 2016 (avec un drapeau jihadiste classique à droite).

21 flag black1

Drapeau de l’EI à côté de drapeaux du front al-Nosra à Alep (extrait reportage UOSLP sur la Syrie).

20 Alep UOSLP

Manifestation en mars 2016 anti-Assad où le drapeau de l’EI est brandi à côté de ceux de ses ennemis (ASL, Ahrar al-Sham et Al Nosra)

22 drapeau stade Tunisie

bannière de l’EI déployée à l’été 2015 dans un stade de foot par des supporters en Tunisie (appelant à l’avènement du Califat par la grâce de Dieu).

Cgloa5IW4AE-Jd1.jpg-large

Dans un collège de Konya en Turquie, la reprise de la partie basse du drapeau avec le sceau de Mohammed

(MàJ) La puissance symbolique du drapeau a aussi amené les ennemis de l’EI à tenter de l’utiliser dans les tracts lancés à Raqqa et dans d’autres endroits de Syrie. Mais le drapeau a été maladroitement représenté dans des tracts de la coalition, soit à l’envers, soit dessiné de manière stylisée avec des gribouillages pour figurer les mots et phrases arabes.

OMlvXDEy

Cette seconde image ci-dessous, a été particulièrement exploitée par la propagande locale de l’EI (dans les mosquées notamment), pour déconsidérer un ennemi en apparence incapable d’écrire correctement la Chahada.

pUzaxlQI

(MàJ) Le drapeau de l’EI a dès sa création été repris par toute la mouvance jihadiste, et particulièrement plusieurs branches d’Al Qaida. En fait, par sa charge symbolique, ce drapeau a séduit bien au-delà de l’Irak et de l’EI, et il s’est répandu au sein des jihadistes de groupes très divers, parfois ennemis.

Citons l’utilisation de ce drapeau par AQMI (voir photo plus haut), mais aussi AQPA, les Shebabs (qui l’utilisent en version fond noir, ou fond blanc), le MUJAO et Ansar Dine.

De fait, à partir de 2007-2008, ce drapeau s’est imposé comme l’emblème du jihad mondial et c’est ce qui explique qu’on puisse le retrouver dans de nombreux endroits (Palestine, Mali, Asie etc.).

Il faut donc insister sur le fait que dans des zones sunnites, le fait d’arborer ce drapeau ne signifie donc aucunement la preuve d’une allégeance avérée à l’EI.

Son utilisation par les branches d’Al Qaida interroge pourtant puisque, comme nous l’avons vu, ce drapeau a été conçu dès le départ comme un signe de rupture avec cette organisation.

Pourtant, AQPA comme AQMI vont reprendre à leur compte le drapeau et l’arborer à de multiples occasions.

Dans un nasheed antérieur à la rupture de 2013, Abu Hajar al-Hadrami, chanteur réputé d’AQPA appelle ce drapeau « Râyat at-tanzim » (soit la bannière de l’organisation, signe d’une appropriation de ce drapeau par l’organisation Al Qaida).

Il est vrai qu’outre ses qualités intrinsèques que nous avons étudiées, ce drapeau offre pour les jihadistes d’Al Qaida deux avantages :

  • d’une part une référence à l’Iraq alors zone privilégiée du jihad le plus prestigieux et le plus glorieux, car opposé directement aux Américains et concernant Bagdad, siège du Califat abbasside.
  • D’autre part ce drapeau est une rupture séduisante avec le drapeau d’Al Qaida, qui bien que noir, rappelle trop celui du régime saoudien honni des jihadistes.

Même après la rupture de 2013, les jihadistes d’Al Qaida vont continuer à brandir le drapeau de l’EI, car ce drapeau est devenu pour eux, non un signe d’allégeance à l’organisation concurrente, mais le symbole du jihad global. Pris au piège de l’extraordinaire charge symbolique de cette bannière, il est difficile pour AQPA ou les Shebab ou le MUJAO de changer ce drapeau et surtout pas dans le seul but de montrer leur désaccord avec l’EI. Ce drapeau dépasse aujourd’hui le simple fait d’être le drapeau de l’EI.

Son utilisation par le groupe Ansar al Dine interroge également. Il est le drapeau d’origine du groupe (de juillet à novembre 2012). Ce mouvement est considéré au sein des jihadistes comme illégitime car poursuivant des buts nationalistes et pas vraiment salafiste jihadiste.

Mais pour se démarquer du MUJAO et présenter un profil plus « modéré » lors des négociations avec le médiateur Blaise Compaoré au Burkina Faso, le groupe va changer de drapeau et prendre un emblème moins marqué par la symbolique salafiste jihadiste.

1024px-Drapeau_Ansar_Dine

Mais en 2014, le drapeau noir de l’EI est à nouveau adopté par le groupe Ansar Dine. La raison essentielle est la volonté du groupe de se rattacher à la mouvance jihadiste et d’en récupérer une partie de l’aura et du prestige (fin MàJ).

En réalité, la signification du fait d’arborer le drapeau de l’EI est différente selon l’endroit où il est brandi. Dans des pays sunnites, cela ne permet pas de tirer de conséquences quant à l’adhésion au projet idéologique et politique de l’EI. Cela peut valoir adhésion, ou non.

En dehors des pays sunnites, comme par exemple en Europe ou sur d’autres continents, le drapeau de l’EI est clairement lié, non aux symboles sacrés qu’il porte, mais à l’organisation qui l’a conçu.

23 Capture d’écran 2016-04-02 à 23.05.27

24 drapeau EI Balkan

Un exemple récent en Bosnie, analysé comme la preuve d’une implantation de l’EI dans les Balkans.

24bis copie-d-ecran-de-la-video-posthume-d-amedy-coulibaly_2390221_800x400

capture d’écran de la vidéo posthume d’Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque de l’Hypercasher au nom de l’EI (attentats de Paris – janvier 2015).

(MàJ) En France en 2013, ce drapeau est arboré lors de conférences d’une organisation musulmane (ANA MUSLIM), comme ici, lors d’une conférence de Thomas Barnouin (dont le thème est justement la première partie de la Chahada) :

Capture d’écran 2016-04-28 à 01.24.12

Pour terminer, il faut donc rappeler que si au Proche-orient et au Maghreb, arborer ce drapeau ne présume en rien d’une adhésion à l’idéologie de l’EI, il en est différemment en Europe, où ce drapeau est un marqueur clair de la volonté de soutenir le projet de l’EI.

La puissance symbolique de ce drapeau dépasse dans tous les cas la stricte obédience de l’EI, pour séduire toute la sphère jihadiste, et plus largement les sunnites pratiquants.

Conclusion :

Au-delà de l’analyse de ce drapeau, source d’informations sur la nature du projet de l’EI, il convient de constater que la richesse de la réflexion sur les symboles qu’il manipule a débouché sur un réel succès marketing.

25 drapeau EI

Affichette protestant contre l’indifférence de l’Occident au sort des populations syriennes de la Ghouta est, reprenant la forme du drapeau de l’EI pour attirer l’attention des médias.

Au-delà, c’est la question du « souchage » sur l’Islam d’une idéologie politique jihadiste portée à son paroxysme par l’EI qui doit interroger.

Car les éléments de différenciations vont aller en augmentant à mesure que les projets politiques jihadistes vont pouvoir être appliqués. Jusqu’à quand ce « souchage » va-t-il profiter aux jihadistes ? En d’autres termes jusqu’à quand seront-ils légitimes à manipuler aussi efficacement les symboles communs au sunnisme ?

————————————————————————–

[1] Des sources jihadistes font référence à un Hadith tiré du Sahîh d’Al-Bukhârî, recueil de Hadith considéré comme le plus sûr et auhtentique pour les Musulmans.

[2] Cette phrase est dite par le père à l’oreille du nouveau né, elle est aussi prononcée à la fin de chaque prière, et au moment de la mort. Pour appuyer cette notion d’unicité de Dieu, la profession de foi est parfois accompagnée du geste de pointer l’index vers le ciel (signe que l’on retrouve également chez les jihadistes de l’EI).

[3] Nicolle, David & McBride, Angus, Armies of the Muslim Conquest, Men-at-Arms séries Nr. 255, , Osprey Publishing,‎ 1993, pp. 22-23 ;

[4] C’est ce qui explique la querelle qui agite les Jihadistes sur l’allégeance ou non de l’EI à Al Qaida. Pour les partisans de l’EI, seule une des organisations composant le Conseil consultatif avait fait allégeance, et cette allégeance prend fin lors de la dissolution dudit Conseil (et de ses composantes). Pour les partisans d’Al Qaida, cet enchaînement qui n’est pas sans rappeler certains montages juridiques « corporate » complexes de sociétés imbriquées pour échapper à des obligations (impôts, etc.), n’est qu’un artifice pour masquer une réalité : une allégeance originelle trahie de l’EI à Al Qaida. Nous ne pouvons trancher à ce jour et faute d’informations précises sur les évènements entre janvier et octobre 2006 sur une controverse qui a dégénéré en une guerre faisant de plus en plus de morts au sein des jihadistes.

[i] Voir le lien ici : https://www.youtube.com/watch?v=lPV5aNmFfOs&oref=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3DlPV5aNmFfOs&has_verified=1 (merci à @BiladFransa )

[5] voir ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Green_Battalion?oldid=622118886

[6] Au-delà du fait que l’Iraq est le pays où il est né, l’EI se réfère clairement à la tradition du Califat abbasside de Bagdad (et particulièrement au Calife Haroun Rachid), pourtant plus tardive que celle du Califat Omeyyade, reliée directement à Mahomet mais située à Damas et en Turquie, et non en Iraq.

[7] Bagdad occupe une place symbolique importante dans l’univers jihadiste, et ce depuis l’invasion américaine de 2003, avant même la création de l’EI.

[8] choisi pour frapper de terreur et amener la victime à se rendre sans combattre. En cas de résistance, le pavillon rouge était hissé, signal d’un combat sans quartier.

[9] Qui découle des conceptions religieuses du wahhabisme qui sont à l’origine du jihadisme moderne. Voir mon billet : https://blogs.mediapart.fr/cedric-mas/blog/300815/lideologie-de-letat-islamique-1-sur-2

[10] à noter que le drapeau de l’Irak adopté en 2008 est aussi écrit en Coufique, mais moderne.

[11] Il ne nous appartient pas de définir dans quelle mesure une telle présentation (à l’envers donc de la Chahada) est encore compatible avec l’Islam tel qu’il est pratiqué majoritairement. C’est aux savants et exégètes musulmans de se pencher sur cette question importante.

[12] Ce succès a aussi été alimenté par la réaction de l’Occident, orpheline de la figure d’un « mal absolu » à combattre depuis la fin du nazisme puis du communisme, et que l’image du jihadiste habillé en noir, cagoulé, en sandale, et brandissant le drapeau de Daech, est en passe de réincarner.

[13] Voir cet article http://www.lorientlejour.com/article/948541/letat-islamique-a-cree-un-logo-dune-force-dingue-et-la-completement-banalise-.html




Terrorisme : Petit guide pour déjouer les pièges des mots

635947756952275413-74790915_newspaper-with-terrorism-headline

Les attentats terroristes du 22 mars 2016 à Bruxelles ont heurté une opinion publique d’ores et déjà traumatisée par les attentats de Paris en janvier et novembre 2015. En cette époque médiatique et connectée, les faits suscitent une avalanche de photos comme de vidéos qui contribue à l’information, mais exclusivement par la diffusion d’une charge émotionnelle qui n’aide pas le sens critique à jouer pleinement son rôle. Mais ce flux massif en masque un autre, tout aussi abondant et trompeur: celui des mots « pièges » qui simplifient à l’excès.

Ce phénomène est particulièrement flagrant pour les actes terroristes. Les actes terroristes inquiètent. Ils créent une demande d’information : le public veut savoir et si possible être rassuré, en tout cas il veut qu’on lui parle. C’est son besoin, sa demande.

Face à cette demande, l’offre s’organise. Les composantes du monde politique  y voient une occasion favorable pour activer leur machine à communiquer, plaçant leurs discours pré-construits et déconnectés de l’événement dans la plus grande cacophonie. Selon leurs agendas, certains veulent rassurer, soit en niant, soit en grossissant les faits – affectant une maîtrise qu’ils n’ont pas –, d’autres soufflent sur les braises. Les médias, outre leur vocation d’information, ont également une marmite à faire bouillir, et l’occasion s’y prête à merveille puisque le public est en demande. Il faut que le public sente que ça bouge, que c’est vivant. La figure paternaliste de l’expert – c’est le plus souvent un homme… – vient éclairer de ses certitudes l’obscurité de nos ignorances.

Or la contradiction est totale : même l’expert le plus affuté ne peut répondre à une demande du public sur un sujet dominé par l’instantanéité, l’urgence et l’émotion. Invité à gloser sans recul sur des évènements aussi graves que des attaques terroristes, il se retrouve dans un contexte peu propice à l’expression de ses compétences, si étendues soient-elles. L’emploi de mots choisis pour marquer les esprits va ainsi devenir une « planche de salut » pour ces experts, leur permettant de répondre à la demande des médias – eux-mêmes assujettis à celle du public – et d’habiller une incapacité intrinsèque à apporter quoi que ce soit de pertinent.

Ces « mots qui marquent » sont puisés dans un vocabulaire préexistant, et détournés de leur sens propre pour s’intégrer dans des formules de circonstance. Ils deviennent des « mots valises », auberges espagnoles où chacun trouve ce qu’il a apporté. « Guerre » et « terrorisme » figurent en bonne place au hit-parade des mots auxquels on a fini par faire parler le langage des fleurs. « Jihad » ramène le public à des concepts confus où des barbus sommaires conquièrent des territoires pour y couper des mains entre deux lapidations. Et pour faire bonne mesure, on a ressuscité pour le meilleur – et surtout pour le pire – la terminologie organisationnelle des réseaux clandestins communistes pour la décalquer sur Daesh en suivant les pointillés.

Du terrorisme

Tout d’abord, voyons le mot “terrorisme”, désormais omniprésent dans les médias. Le terme nous vient de la période sanglante de la Révolution française nommée “la Terreur”. Le dictionnaire Littré, consultable en ligne, définit le mot “terrorisme” comme suit : système de la terreur, pendant la Révolution française. Le terme “terroriste”, lui, est donc, par conséquent, ainsi défini : partisan, agent du système de la terreur. Le terrorisme puise donc ses sources dans cet épisode de l’histoire qui fut une rencontre systémique, à grande échelle et hors champ de bataille, de la politique et de la violence. Beaucoup plus près de nous, la politologue Louise Richardson voit dans le terrorisme une violence dirigée contre des non-combattants ou des cibles symboliques, afin de communiquer un message à une plus large audience. La caractéristique clé du terrorisme est le fait de viser délibérément des innocents pour transmettre un message à une tierce partie (1).

Selon Tamar Meisels, également politologue contemporaine, le terrorisme est l’assassinat au hasard de non-combattants sans défense dans l’intention d’inspirer la peur du danger de mort parmi une population civile, en tant que stratégie visant à faire progresser des fins politiques (2). En somme, l’on converge sur l’idée qu’il s’agit de frapper, en dehors de tout champ de bataille, des personnes dont le caractère de « non-combattants » est objectif même s’il est un enjeu de propagande. L’action vise à générer de l’effet politique en employant comme bras de levier la terreur découlant de la violence. Par exception à l’usage, le suffixe « isme » ne traduit plus ici une dimension idéologique. Il est hérité de la définition originelle du mot, qui a cessé d’être d’actualité en même temps que Maximilien Robespierre, Louis Saint-Just et Georges Couthon, le 10 thermidor an II. Le terrorisme contemporain n’est pas une finalité mais un moyen, un outil que, parmi d’autres modes d’action, l’on oriente vers un but de nature politique. A la lumière de ces enseignements, on conclura sans appel que le très gouvernemental message délivré via l’illustration ci-dessus relève d’un non-sens complet – synonyme consensuel de l’absurdité. Et l’ensemble des discours conçus autour de la même trame conceptuelle constituent, quand ils retentissent à l’antenne, autant d’opportunités d’éteindre son appareil multimédia pour s’adonner à des activités équilibrantes et préserver son esprit critique.

De la guerre

Concept général

Le mot « guerre » est, lui aussi, massivement employé par les personnalités politiques lorsqu’il est question d’attentats terroristes. Son sens, sa portée et ses déclinaisons doivent être clairement assimilés si l’on se prétend citoyen d’une démocratie. Le Littré, encore lui, nous propose la définition suivante du mot “guerre”: la voie des armes employée de peuple à peuple, de prince à prince, pour vider un différend. Quelle est la nature des différends opposant les peuples et/ou leurs dirigeants? Politique, sans nul doute. Qu’il s’agisse du tracé d’une frontière, de la captation d’une ressource, de la promotion d’une idéologie et/ou d’un système de gouvernement… c’est quand le différend politique bute sur l’intransigeance – contrainte ou délibérée – d’une des parties que la confrontation des volontés change de registre et devient violente. Ainsi Carl Von Clausewitz prêtait-il, dans son célèbre “De la Guerre”, deux principes fondamentaux au concept:

  • “La guerre n’est rien d’autre qu’un combat singulier à grande échelle”.
  • La guerre est “un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté”.

Synthèse: la guerre implique qu’au moins deux groupes sociaux recourent à la violence d’une manière consciente et organisée afin de plier la partie adverse aux exigences qu’elle rejette. C’est la confrontation violente de volontés politiques.

Déclinaisons

Nous tenons donc une définition générale du terme, mais le mot est aujourd’hui assorti de certains adjectifs qu’il s’avère indispensable d’éclairer, chacun exprimant une déclinaison spécifique de la guerre.

La guerre dite « asymétrique » : ce terme fut rendu célèbre par un article d’Andrew J.R. Mack en 1975 (3). C’est ce que l’on appelait auparavant la « petite guerre », guerilla en espagnol, en référence à la guerre d’Espagne (1808-1814). Par opposition à une guerre symétrique où s’affronteraient des belligérants capables d’infliger le même niveau de violence, selon les mêmes moyens et méthodes, il désigne les conflits où les parties opposées mettent en œuvre des moyens et des méthodes différents, présentant un rapport de forces déséquilibré, que ce déséquilibre soit apparent ou réel. C’est typiquement le cas de la lutte entre les armées régulières et les mouvements insurrectionnels, que ceux-ci recourent ou non à des actions terroristes. Les armées régulières  disposent normalement des moyens de concentrer leurs forces pour maximiser leur puissance de feu, et c’est là un élément majeur de leur efficacité. Mais pour se concentrer en un lieu donné, ces forces doivent en délaisser d’autres. Ce qui profitera à des éléments irréguliers, moins pourvus en puissance de feu et en capacités de regroupement, mais exerçant un peu partout leur pouvoir de nuisance, notamment dans les secteurs délaissés par des forces régulières incapables de concilier puissance et ubiquité. Dans ce rapport du faible au fort,  le faible voudra contraindre le fort à disperser ses éléments réguliers pour protéger ses arrières et ses lignes de communication, se privant ainsi de son principal atout : la concentration. C’est ainsi que dans les premiers temps de la guerre civile, les insurgés syriens firent main basse sur certaines zones rurales, profitant de ce que l’armée s’était concentrée sur la répression des protestations dans les centres urbains.

Relevons à ce stade que si la guerre asymétrique n’est pas indissociable d’actions terroristes, celles-ci constituent un mode opératoire à la fois facile et très fréquent au sein des mouvements insurrectionnels ou guérillas.

La guerre dite « hybride » : c’est une formule récente (4) qui fait débat parmi les penseurs de la chose militaire (5). Certains lui reprochent notamment de ne désigner qu’un aspect très classique de la guerre depuis l’Antiquité : sa propension à changer d’aspect selon les circonstances. Nous nous tiendrons à l’écart de ce débat, mais comme le terme est « à la mode », nous l’aborderons ici pour armer le lecteur non averti qui viendrait à le rencontrer dans les méandres d’un discours d’expert. La guerre hybride a pour principale caractéristique de concilier les modes symétrique et asymétrique. Dans ses manifestations récentes, on notera le Mali, où la France est intervenue pour interrompre une offensive jihadiste en direction du sud et de la capitale Bamako. Les mouvements jihadistes, qui avaient concentré leurs forces et affronté symétriquement celles du gouvernement malien, se sont trouvés contraints de les disperser suite à l’intervention française, revenant à des méthodes asymétriques reposant sur le harcèlement et l’attentat, dans un périmètre géographique qui va grandissant puisqu’il a atteint cette année la côte atlantique (6).

On pourrait également citer l’action russe en Ukraine, fondée sur une articulation redoutable de cohérence et d’efficacité entre des composantes asymétriques et les forces conventionnelles que la Russie maintient à portée. Et l’on soulignera bien évidemment la guerre que livre l’Etat islamique sur l’ensemble des théâtres où il est parvenu à s’établir : Irak, Syrie, Sinaï, Yémen, Libye…. Cette organisation couvre en effet une large part du spectre hybride. Elle s’est avérée capable de regrouper ses forces, y compris des chars, de l’artillerie et du génie, de les coordonner, de manœuvrer et de vaincre un ennemi régulier, en attaquant comme en défendant. Elle est également connue pour ses attentats, ses opérations de harcèlement et ses assassinats ciblés, conduits par le biais de groupes clandestins.

La guerre hybride est une notion, sinon classique, au moins simple d’appréhension, mais d’une grande complexité en ce qui concerne sa prise en compte sur le terrain et sa mise en œuvre. Derrière ce terme se cache le défi posé à toute armée structurée, à la manière occidentale, autour d’un noyau de moyens lourds : pouvoir répondre avec la plus grande flexibilité à ces dilatations/rétractations brutales, sans perdre pour autant ses qualités intrinsèques, qu’il s’agisse de la vitesse ou de la puissance de feu.

Du jihad

« Le summum de cette religion est le jihad » (interview d’Oussama Ben Laden à CNN diffusée le 10/05/1997)

Généralement, de façon un peu simpliste – mais efficace –, on décline le terme jihad en une double définition. Le « grand jihad » possède une dimension morale et spirituelle, personnelle et intime ; grossièrement, il s’agit d’une lutte intérieure pour suivre au mieux sa foi et ne pas sombrer dans le péché. Le « petit jihad », apparenté à la guerre sainte, est étroitement lié aux tout premiers temps de l’islam, la période de l’hégire, durant laquelle Mahomet, chassé de La Mecque avec ses compagnons, devait trouver de quoi subsister, puis aux débuts de la conquête, entamée sous le premier calife, Abu Bakr. Au fil des siècles, avec l’achèvement de cette conquête, qui a vu la « terre d’islam » (dar al-islam) s’étendre des confins de la Chine à l’Afrique du Nord en passant par l’Espagne, sous l’effet des différents schismes qu’a connu l’islam et de faits historiques majeurs (croisades, colonisation), et de sa théorisation par certains des plus grands philosophes musulmans, sa définition, son interprétation se sont enrichies, transformées.

La bataille du Guadalete, imaginée par le peintre Mariano Barbasan (1882) : victoire décisive des Omeyyades, menés par Tariq Ibn Ziyad, sur les Wisigoths, en 711, près de Cadix, en Andalousie. La katibat du célèbre et redouté émir jihadiste affilié à Aqmi, Abou Zeid, tué lors de l’opération Serval dans l’Adrar des Ifoghas, porte le nom de Tariq Ibn Ziyad.

C’est évidemment cette seconde acception – la lutte contre un ennemi extérieur – qui retient notre attention ici et qui agite les commentateurs, journalistes, analystes de tout poil… On ne parle d’ailleurs pas seulement de jihad, mais de jihadistes et de jihadisme, le suffixe « -isme » soulignant le penchant idéologique. Qu’est-ce alors que le jihad au XXIème siècle et à quoi les jihadistes aspirent-ils profondément ? Pourquoi jihad et terreur semblent faire si bon ménage ? Déjà il convient de mettre le bât où il blesse et de rappeler que la dimension religieuse du jihad ne se départ pas de sa dimension politique, territoriale, et inversement. Aucun jihadiste n’utilise le biais du terrorisme sans motif politique en arrière-plan et la référence à la (re)conquête de territoires est notable à toutes les échelles. Ainsi, par exemple, le magazine francophone de l’EI s’appelle Dar Al-Islam et Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) ne manque aucune occasion de faire une allusion rageuse à la perte du Nord-Mali suite à l’opération Serval de début 2013…

Selon la légende, en 1492, le dernier souverain de Grenade, Boabdil, partant en exil, se retourna pour jeter un ultime regard à sa magnifique Alhambra, ainsi qu’à sa terre perdue, et sanglota. La scène se passa sur un col de la Sierra Nevada qui s’appelle aujourd’hui « Le soupir du Maure ». Auteur inconnu. Merci à @halabinasser1 pour l’illustration.

Ensuite, pour comprendre la formation de l’idéologie jihadiste et sa dimension radicale, il faut remonter le cours des siècles au moins jusqu’au théologien Ibn Taymiyyah (7) (1263-1328), une des principales références du salafisme (8), qui prônait une interprétation littérale des textes sacrés, un retour à la foi telle que les grands anciens (Mahomet et ses compagnons) la pratiquaient. Puis il faut mentionner Mohammed Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792), à l’origine du wahhabisme, la doctrine ultra-rigoriste, inégalitaire, puritaine, qui régit aujourd’hui le royaume d’Arabie Saoudite, ainsi qu’Hassan Al-Banna (1906-1949), un instituteur égyptien qui, dans les années 1920, en grande partie en réaction à la colonisation, fonda le mouvement des Frères Musulmans. Si la doctrine de ces derniers est basée une nouvelle fois sur un retour à la religion, elle est également éminemment politique, comme le montre cette formulation d’Al-Banna (9): « Dieu est notre but, le messager de Dieu est notre guide, le Coran est notre constitution, le jihad est notre chemin, la mort sur le sentier de Dieu est notre souhait ultime ». C’est dans les rangs des Frères Musulmans, que l’on trouve, dans les années 50, un penseur égyptien de premier ordre, Sayyed Qutb, qui donne à l’islamisme sa dimension combattante, avant qu’un autre Frère, Abdallah Azzam, universitaire palestinien qui a tenu le « Bureau des Services » à Peshawar avec Oussama Ben Laden, organisant le recrutement de volontaires étrangers désireux de participer au jihad afghan, ne théorise l’obligation à vie pour chaque musulman de prendre part à la guerre sainte et de défendre les terres où l’islam a un jour régné (10).

Guerrier. Auteur inconnu. Merci à @halabinasser1 pour l’illustration.

Voici en somme l’état de l’idéologie jihadiste, qui puise ses revendications et sa radicalité autant dans l’histoire que dans la théologie : retour à une pureté dans la pratique religieuse, à la fois au niveau individuel et sociétal, rejet des mœurs occidentales et des dirigeants perçus comme des oppresseurs à la botte des pays colonisateurs occidentaux, abolition des frontières issues de la colonisation, défense et reconquête des terres musulmanes… Il s’agit bel et bien d’un projet global, politique, territorial, identitaire, religieux, à la fois élaboré, structuré, ambitieux et prompt à séduire, dans un monde qui aurait soi-disant connu la « fin de l’histoire », au moment de la chute du mur de Berlin, pour ne laisser place qu’au consumérisme capitaliste triomphant. Les moyens mis en œuvre pour parvenir à la réalisation de ce projet jihadiste embrassent tout le spectre de la guerre hybride car les organisations – Al-Qaïda et l’Etat islamique, pour citer les deux principales, avec leurs affidés respectifs – ont une grande capacité d’adaptation et profitent des faiblesses, voire des situations tragiques, des territoires où elles souhaitent mener leur combat et s’imposer, de même qu’elles ont observé et savent parfaitement profiter des failles des démocraties.

Nébuleuse, galaxie ou réseau?

Au-delà des biais journalistique, la manière de désigner les organisations mises en place par les jihadistes pour frapper en Europe pose de nombreux problèmes, par les biais qu’elle induit et les erreurs de perception qu’elle implique.

Rappelons qu’une nébuleuse est selon la définition du Larousse :

  • (astronomie) Nuage de gaz et de poussières interstellaires.
  • Figuré. Ensemble de choses dont les relations sont imprécises et confuses.

Déjà pouvait-on déplorer l’emploi de ce terme pour désigner l’ensemble des groupements se réclamant d’Al Qaida, parfois dans des zones très éloignées les unes des autres (11).

Le mot « nébuleux » implique plusieurs conséquences : une méconnaissance générale des relations entre les éléments de l’ensemble, mais aussi une notion d’astronomie qui renvoie à une immensité sur-représentant l’ampleur et la puissance du phénomène. Confusion générale sur les détails et dimensions sans limites sont deux caractéristiques trompeuses pour examiner les groupes réduits et clairement reliés à certains quartiers et réseaux amicaux ou familiaux, qui ont par exemple cherché à frapper avec régularité la France et la Belgique. L’emploi de ce terme est impropre car il renvoie à une image anxiogène et trompeuse du fonctionnement de ces groupes aussi bien que de leur taille : de volume réduit, ils ont la particularité d’être reliés toujours aux mêmes personnes.
Plus récemment, la multiplication des schémas diffusés autour des mêmes noms a pu amener certains à emprunter à l’astronomie le terme de galaxie (12).

Rappelons qu’une galaxie est, toujours selon le Larousse en ligne :

  • (astronomie) Vaste ensemble d’étoiles et de matière interstellaire dont la cohésion est assurée par la gravitation. (La Galaxie à laquelle appartient le système solaire est désignée par une majuscule.)
  • Figuré. Ensemble formé par tout ce qui, de près ou de loin, participe d’une même activité.

Là encore, ce terme renvoie une image d’immensité, induisant une survalorisation quantitative de la menace, qui aliment la peur générale et les réactions extrémistes et contreproductives.

Pire, considérer que l’EI a mis en place une « galaxie » lui permettant de frapper revient à amalgamer des phénomènes très différents, et pas forcément reliés : auteurs d’attaques terroristes (souvent suicidaires), amis ou famille fournissant le soutien logistique, groupes de soutien ou de financement, personnalités chargées du recrutement, sympathisants se limitant à la propagande et à l’apologie, etc.

De même, une galaxie suppose une fixité que ces groupes n’ont pas, puisque certains évoluent d’une position de sympathisant, puis de soutien logistique avant de finir par accepter de mener une action suicide (dans un  enchaînement qui n’est ni irréversible, ni inéluctable, ni prévisible).

Le registre des termes astronomiques (auquel il ne manque que le « trou noir ») suppose de se placer dans une dimension largement supérieure en termes quantitatifs (rappelons que quelques centaines de personnes sont susceptibles de réellement passer à l’acte terroriste dans des pays de dizaine de millions d’habitants). Ce registre sémantique est aussi trompeur dans les présupposés qu’il induit, à commencer par le fait que quels que soient les facteurs et les cheminements, aucun passage à l’acte terroriste n’est irrésistible (ce que l’on constate également dans d’autres phénomènes, comme la délinquance ou la récidive).

Ce serait faire une erreur grave que de prêter aux groupes de jihadistes projetés ou guidés à partir des sanctuaires de l’EI ou d’Al Qaida, de telles caractéristiques. Si le lexique astronomique flatte l’imagination, il induit dans la foulée des sous-entendus erronés.

Le mot le mieux adapté est donc « réseau », terme large qui recouvre de nombreuses réalités autour de la notion d’ensemble d’éléments qui communiquent ou s’entrecroisent, et qui peuvent se trouver, ou non, reliés à un centre. C’est typiquement le terme qui désigne les groupes d’action clandestins « ouverts » dont les membres travaillent en liaison les uns avec les autres dans un but commun (espionnage, terrorisme, délinquance…).

Ce terme est techniquement tout à fait adéquat avec des groupes d’action violente clandestins tels que ceux des attentats de Paris et de Bruxelles. Il n’induit aucune organisation particulière, ni aucune idée de surpuissance ou d’inconnu difficile à appréhender.

Contrairement à un groupe, un réseau est ouvert et recrute en permanence de nouveaux membres, même en l’absence de pertes.

Des cellules jihadistes ?

Enfin, le terme de « cellule » est employé, y compris dans les rangs des jihadistes, pour désigner le regroupement de quelques membres en vue d’une action au sein d’un réseau terroriste.

Le terme de « cellule » renvoie directement à la sémantique communiste, qui désignait ainsi l’unité de base d’action du parti (au départ 3-4 membres) : cellule de propagande ou d’action politique, ou encore cellule d’opérations clandestines.

Un article récent n’hésite pas à parler de « super-cellule », s’agissant d’un réseau franco-belge d’une cinquantaine de membres.

La particularité de l’organisation cellulaire d’un réseau est une résistance accrue à la répression.  Le propre de chaque cellule est d’être autonome, et strictement compartimentée. La capture d’un de ses membres ne met pas en danger tout le réseau mais seulement la cellule concernée.

Abondamment documenté dans la bibliographie des guérillas communistes (13) comme dans les manuels militaires pour le contre-terrorisme ou la guerre asymétrique, il s’agit d’un mode d’organisation garantissant efficacité et résistance.

Schéma tiré d’une publication de l’armée de Terre (14)

Les groupes jihadistes qui frappent l’Europe sont-ils organisés en cellules ?

Rien n’est moins sûr : le compartimentage en petits groupes autonomes « imperméables » qui ne se connaissent pas ne correspond à ce que les faits nous donnent à constater.

Il s’agit de réseaux larges, ouverts, constitués autour de fratries réelles (frères Clain, Kouachi, Abdeslam, el-Bakraoui…), ou symboliques (camarades du même quartier, de la même école, ayant vécu la délinquance ou la prison ensemble…) qui amalgament tous ceux qui sympathisent avec le projet idéologique jihadiste, souvent réduit au seul rejet de l’occident et de ses valeurs.

schéma provisoire – janvier 2016 – source @evil_SDOC

En réalité, il existe un groupe large de connaissances partageant les idées et soutenant les actions jihadistes. S’en détachent des éléments qui vont s’amalgamer autour d’un noyau dur, souvent constitué de jihadistes confirmés (revenus de Syrie), et qui vont s’auto-organiser en vue de mener à terme un projet d’attentat.

Il est ainsi possible de distinguer une typologie de 3 catégories d’acteurs d’un projet d’attentat :

•    Type Alpha : le noyau dur : formé d’experts disposant des compétences techniques clés (fabrication d’explosifs, techniques de combat, manipulation et préparation des armes, communication avec le centre de décision), ils sont formés en Syrie (ou dans d’autres sanctuaires jihadistes) avant d’être projetés vers la zone cible ; ils sont surtout capables de monter plusieurs opérations successives avant de se livrer eux-mêmes à une attaque suicide (Abaaoud, Laachraoui, Réda Kriket…)
•    Type Béta : Les opérationnels : souvent recrutés en Europe, ils ne sont pas allés dans une zone jihadiste, ils préparent et exécutent l’attaque, et peuvent avoir acquis certaines compétences grâce à la documentation dédiée disponible sur le net (Coulibaly, Kouachi, Abdeslam, Bakraoui…)
•    Type Gamma : les soutiens logistiques : ils sont sympathisants sans être eux-mêmes volontaires ou prêts pour une opération terroriste. Ils fournissent l’aide matérielle pour la réalisation des attaques, à des niveaux plus ou moins importants, et sans toujours avoir pleinement conscience de la gravité de leur complicité (cela va de la cousine d’Abaaoud à Jawad Bendaoud, en passant par Zerkani).

Voici par exemple le schéma des personnes impliquées (fin mars 2016) dans les attaques de Paris et de Bruxelles, avec les auteurs (Alpha et Béta mêlés) et les logistiques (type gamma) :

En cas de succès (et d’échec des mesures de surveillance et d’arrestation), le groupe va se reformer différemment pour un autre projet, le noyau étant souvent commun, mais les autres éléments agrégés en fonction des besoins, des disponibilités, et de la motivation.

Il existe des cas où l’implication évolue, souvent vers un passage à l’acte terroriste, comme pour les frères Bakraoui, soutenant d’abord logistiquement l’attaque de Paris avant de passer eux-même à l’attaque suicide.

Il s’agit donc moins d’une organisation en « cellules » rigides, spécialisées et bien séparées que de groupe d’action, formés en fonction d’un ou plusieurs projets. La direction d’ensemble reste en général fortement reliée au cœur de décision de l’organisation, mais l’organisation est modulaire, et très flexible.

Là encore, l’exemple des Groupes tactiques des armées modernes (calqués sur les Kampfgruppe de la Wehrmacht), est une analogie bien plus pertinente et moins trompeuse que celle de cellules.

Des éléments clés vont ainsi recruter autour d’eux, pour former un groupe en vue de commettre un attentat, sans qu’il n’existe ni de structure préétablie rigide, ni de compartimentage (tous se connaissent et se rencontrent). Ce recrutement se fait en fonction des besoins, des compétences et des disponibilités. Pour mener une telle opération, l’on privilégie un équilibre entre fiabilité – loyauté au groupe –, et absence de risques de surveillance policière spécifiques  – une personne déjà connue des services antiterroristes constitue un danger pour le projet –, étant entendu que les compétences techniques sont en général maîtrisées par le noyau de 1 à 3 éléments.

C’est ce qui explique qu’à un même noyau de jihadistes projetés en Europe, on puisse lier une série de projets d’attaques, selon le schéma suivant :

NB : ce schéma est provisoire et incomplet mais il permet de visualiser l’effet « d’opérations successives » menées par le même noyau – merci à @evil_SDOC

On le voit une telle organisation, modulaire et par projet, présente des avantages mais aussi des fragilités, mais n’a rien à voir avec une organisation « cellulaire », bien plus solide, mais aussi plus rigide et nécessitant en réalité un plus grand nombre d’activistes.

Une organisation cellulaire est un modèle vers lequel l’EI cherche à tendre, mais l’analyse des réseaux démantelés récemment montre qu’il en est loin.

Il est donc important de rappeler que, par exemple, et contrairement à ce que certains ont affirmé, les attaques de mars 2016 à Bruxelles ne sont pas l’œuvre d’une « cellule » ayant agi lorsqu’une autre « cellule », celle d’Abdeslam, a été démantelée avec la perquisition de Forest.  Cette lecture erronée sous-entend en effet un degré de préparation, et d’anticipation survalorisant les capacités effectives de l’EI en Belgique. En réalité, il s’agit d’un réseau plus large et plus souple, menacé par les arrestations et perquisitions, et qui a simplement précipité une opération menée par des personnes directement menacées d’arrestation, et qui ont préféré agir une dernière fois pour leur cause plutôt que d’être pris.

Conclusion temporaire

A l’instar de Nicolas Boileau, nous croyons, à kurultay.fr, que Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. L’emploi massif, en période de stress public, de termes détournés de leur sens – de manière intentionnelle ou non –, nous a décidés à unir les efforts des trois membres de la rédaction du blog pour offrir à qui voudra bien le lire ce modeste balisage sémantique et conceptuel. C’est notre manière de contribuer à ce que chacun dispose de clefs de lecture saines vis-à-vis d’une actualité à la fois complexe et traumatisante. Nous espérons donc avoir fourni au lecteur le petit marteau qui lui permettra de tapoter sur les discours, articles et autres communiqués afin de s’assurer qu’ils ne sonnent pas creux.

Emilie Freyssinet, Cédric Mas, Jean-Marc LAFON

  1. Louise Richardson, Terrorists as Transnational Actors, Terrorism and Political Violence
  2. Tamar Meisels, The trouble with terror: the apologetics of terrorism – a refutation
  3. Andrew J.R. Mack, Why big nations lose small wars: the politics of asymmetric conflict World Politics n°27, janvier 1975 http://web.stanford.edu/class/polisci211z/2.2/Mack%20WP%201975%20Asymm%20Conf.pdf
  4. James N. Mattis & Frank Hoffman, Future warfare: the rise of hybrid wars, Proceedings, novembre 2005
  5. Elie Tenenbaum, Le piège de la guerre hybride, IFRI, Focus stratégique n°63, octobre 2015 http://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs63tenenbaum.pdf
  6. Alexis Adelé, La cité balnéaire ivoirienne de Grand-Bassam découvre l’horreur terroriste, Le Monde.fr http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/13/cote-d-ivoire-la-cite-balneaire-grand-bassam-plongee-dans-l-horreur-terroriste_4882100_3212.html
  7. « La mort en martyr pour l’unification de tous les hommes dans la cause de Dieu et sa parole constitue la mort la plus heureuse, la plus facile, la plus vertueuse et la meilleure » Ibn Taymiyyah souvent cité par Oussama Ben Laden, d’après Bergen (P.) Guerre sainte, multinationale, Gallimard, Paris, 2002, p. 51.
  8. En arabe, le terme salaf signifie ancêtre. Sur l’idéologie salafiste et la façon dont jihadistes et quiétistes l’intègrent, voir la clarification publiée le 26/11/2015 par Romain Caillet sur le site du Figaro « Salafistes et djihadistes : quelles différences, quels points communs ? »
  9. Dans son Epître aux jeunes.
  10. « Ce devoir ne cessera pas avec la victoire en Afghanistan, et le jihad restera obligation individuelle jusqu’à ce que nous revienne toute autre terre qui était musulmane afin que l’islam y règne à nouveau : devant nous, il y a la Palestine, Boukhara, le Liban, le Tchad, l’Erythrée, la Somalie, les Philippines, la Birmanie, le Yémen du Sud et autres, Tachkent, l’Andalousie… » Abdallah Azzam, citation tirée de Kepel (G.) Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard, Paris, 2000, p. 220.
  11. Voir par exemple ici : http://www.europe1.fr/international/que-va-devenir-la-nebuleuse-al-qaida-523127
  12. Voir ici par exemple : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20141114.OBS5043/carte-la-galaxie-de-l-etat-islamique.html
    • Les « groupe de feu » (cellules)

    Les guérilleros urbains seront organisés en petits groupes. Chaque groupe, appelé « groupe de feu » (cellule), ne peut dépasser le nombre de 4 ou 5 personnes. Un minimum de 2 groupes (cellules), rigoureusement compartimentés et coordonnés par 1 ou 2 personnes, s’appelle une « équipe de feu » (réseau).«  Source : http://www.terrorisme.net/doc/gauche/003_marighella.htm

  13. Schéma tiré de LES FORCES TERRESTRES EN OPÉRATION : QUELS MODES D’ACTIONS ADOPTER FACE À DES ADVERSAIRES ASYMÉTRIQUES ? Cahier de la recherche doctrinale, CDEF, DREX édition 2004.