25 décembre : L’aviation russe tue Zahran Alloush le chef militaire de Jaish al-Islam
Le 25 décembre 2015, l’aviation russe a frappé un regroupement de chefs rebelles et a tué Zahran Alloush, chef militaire du RCC (Revolutionary Comand Council), et surtout leader militaire de la zone rebelle de la Ghouta-est à proximité de Damas.
La biographie de ce chef rebelle jihadiste traverse toute la complexité de la guerre civile syrienne depuis 2011 à aujourd’hui.
Zahran Alloush est né en 1971. Il est le fils d’un Sheikh sunnite syrien connu, Abdullah Mohammed Alloush, qui a été exilé en Arabie Saoudite pour son opposition au régime d’Assad. Très tôt impliqué dans un activisme religieux, Zahran Alloush est arrêté à plusieurs reprises par les services de sécurité syriens.
La succession arrestation et de libération qui jalonne la vie de Zahran Alloush avant 2011 est un exemple de la politique ambiguë du régime d’Assad à l’égard des jihadistes.
Il est à nouveau arrêté en 2010 et détenu dans le quartier des islamistes de la prison de Sednaya, célèbre camp de détention du régime d’Assad. Il est relâché lors de l’amnistie décidée unilatéralement en mars 2011 par Bachar el-Assad, face à la contestation de sa dictature qui s’étend depuis février 2011 dans tout le pays.
Il sort en juin 2011, et immédiatement retrouve ses amis à Douma, dans la Ghouta-est, et fonde la brigade de l’Islam (Katiba al-islam), un groupe rebelle armé qui se montre très actif et efficace contre les forces de sécurité d’Assad lors des combats dans et autour de Damas.
A la fin de l’année 2012, le régime d’Assad a réussi à refouler les rebelles de Damas et de sa banlieue, par l’engagement de ses unités d’élite (la 4ème division mécanisée). Une fois la zone pacifiée, ces unités sont envoyées dans le nord, et les groupes rebelles en profitent pour lancer une offensive le 6 février 2013 (l’opération Armageddon). Bien que blessé en janvier 2013, Zahran Alloush commande alors la Katiba al-Islam, l’un des groupes le plus importants des rebelles qui conquièrent une zone importante dans le secteur de la Ghouta orientale, avec de nombreux centres urbains, dont celui de Douma.
Sa milice bénéficie, grâce à son père, du soutien des réseaux privés salafistes des pétromonarchies et étend son influence. Il bénéfice d’un armement lourd (des tanks T-54, T-62 et T-72 ainsi que des blindés BMP), et même de quelques missiles sol-air 9K33 Osa (SA-8 Geko) qui lui permettent d’abattre des aéronefs du régime qui bombardent quotidiennement l’enclave de la Goutha-est.
Après avoir échoué à progresser vers Damas, les rebelles doivent résister aux contre-attaques des forces loyalistes, puis s’installent dans une vaste enclave, qui est encerclée. Elle est administrée par un Conseil des Mujahidin de Douma (DMC) instauré en mars 2013 entre les différentes milices rebelles jihadistes présentes sur place, dont la Katiba al-Islam (devenue Liwa al-islam).
Cette milice est alors une affaire de famille pour les Alloush, puisque tandis que Zahran en est le chef militaire, Mohammed Alloush est le chef politique et Islam Alloush est le porte-parole.
Le voisinage de Damas et l’efficacité militaire des rebelles de Douma en font une cible privilégiée du régime qui multiplie les bombardements et les attaques. Les rebelles, dont Alloush, accumulent donc des succès défensifs jusqu’à la nuit du 21 août 2013, où les forces d’Assad bombardent au gaz les populations de Douma, dans la Ghouta-est, en soutien d’une nouvelle offensive au sol. Ce bombardement cause plusieurs centaines de victimes, mais l’attaque lancée au sol dans la foulée échoue à nouveau (voir https://blogs.mediapart.fr/cedric-mas/blog/210815/21-aout-2013-attaque-dassad-au-gaz-contre-la-ghouta-les-preuves).
Les USA avaient fixé comme « ligne rouge » l’utilisation des gaz de combat contre les populations civiles, et pourtant, en août 2013, Barak Obama renonce à agir.
L’effet immédiat est désastreux pour les rebelles de l’ASL (improprement appelés « modérés » alors qu’ils sont non-jihadistes), et renforce le discours des rebelles jihadistes, présentés comme les plus durs, dont le Liwa al-Islam, qui multiplie les démonstrations de force militaire et bénéfice toujours du soutien matériel et financier de l’Arabie Saoudite.
L’automne 2013 est une période importante pour la structuration des milices rebelles jihadistes, qui profitent de la relative perte de puissance de l’ASL, pour se rassembler en différents grands mouvements. Le 29 septembre 2013, Liwa al-Islam annonce au cours d’une grande cérémonie la création du Jaysh al-Islam, un mouvement regroupant officiellement une cinquantaine de groupes rebelles jihadistes, mais dont le cœur est formé par la milice de Zahran Alloush, qui devient donc le chef militaire de Jaysh al-Islam, dont la présence est à Douma, mais aussi à Idlib et Alep. Cet avènement engendre la fin du DMC, et la situation au sein de la zone Ghouta-est devient compliquée, avec une réelle lutte d’influence entre Zahran Alloush et les autres milices rebelles. (voir : http://carnegieendowment.org/syriaincrisis/?fa=53432)
Une fois les groupes rebelles jihadistes regroupés en grands ensembles, la phase suivante est celle d’un rassemblement plus grand encore : c’est la création du Front Islamique, qui associe différentes fédérations de groupes : Suqor al-Sham, Liwa al-Thawid, Ahrar al-Sham et bien sûr Jaish al-Islam.
On peut juger de la réputation militaire de Zahran Alloush au fait qu’il devient le chef militaire du Front Islamique.
Cette force militaire porte un projet politique jihadiste, visant l’instauration d’un état islamique en Syrie, une fois le régime d’Assad vaincu (ce qui n’est pas le cas des rebelles de l’ASL, non-jihadistes et portant un projet démocratique et pluraliste). D’ailleurs, en décembre Zahran Alloush annonce qu’il se retire du SMC, structure censée coordonner l’ensemble des opérations militaires des rebelles syriennes, toute orientation politique confondue.
Les discours de Alloush sont à l’époque sectaires contre les chiites, les kurdes et les alaouites, appelant à une « purification » confessionnelle de la Syrie autour de l’Islam wahhabite (voir : http://www.joshualandis.com/blog/zahran-alloush/)
Dans sa base de Douma, Zahran Alloush profite de l’ascendant qu’il prend pour instaurer un régime islamisé, avec application de la Shari’a. Les opposants, notamment activistes des droits de l’homme, sont arrêtés et pourchassés (voir : http://www.vdc-sy.info/index.php/en/reports/1390232185#.Vn7ayhH2mQt).
Mais ses discours extrémistes passent mal auprès des Occidentaux et ses puissances tutélaires réduisent leur soutien, voire soutiennent d’autres groupes concurrents.
2014 est une année difficile pour Zahran Alloush qui doit lutter au sein même de la zone de Douma pour conserver son ascendant. D’abord, il doit régulièrement anéantir avec une violence brutale toutes les tentatives de l’Etat islamique de prendre pied dans la zone de Douma. Puis il doit lutter avec d’autres groupes, plus modérés, créés parfois récemment pour réduire son influence. La confrontation avec un autre milice, Jaysh al-Ummah, créé seulement en septembre 2014 (autour d’une célébrité de la rebellion, Abu Ali Khabiya un héros de la guerre en 2011-12), dure longtemps. Les tensions augmentent à la fin de l’année 2014 pour exploser en janvier 2015, lors que Zahran Alloush après des affrontements sporadiques les 3 et 4 janvier, une opération appelée « nettoyage du pays de la saleté de la corruption » le 5 janvier 2015.
En 6 heures, le groupe Jaysh al-Ummah est anéanti, ses chefs tués et ses hommes ralliés. Ses derniers membres se rendront aux forces gouvernementales en mars.
L’année 2015 se présente sous de meilleurs auspices pour Zahran Alloush.
Il bénéficie à nouveau du soutien financier et matériel des pétromonarchies. Il a pour cela beaucoup « adouci » son langage, même si ses méthodes restent brutales (comme le montrent des exécutions régulières de membres de l’Etat Islamique). Son cousin, Mohammed Alloush est devenu le responsable politique du RCC (instance de coordination des fronts rebelles).
Le double discours qu’il tient, selon qu’il s’adresse à ses miliciens, ou à des médias occidentaux le rend d’autant plus présentable qu’il montre toujours des capacités militaires reconnues (voir pour un exemple de double discours l’interview donnée à un média occidental où un gouvernement de religieux devient un gouvernement « technocratique » : http://www.thedailybeast.com/articles/2015/12/15/the-rebel-commander-of-damascus.html )
En mai 2015, il quitte de Douma vers la Jordanie, puis se rend en Turquie pour y rencontrer les leaders des instances islamiques syriennes à Ankara, ainsi qu’un leader d’Ahrar al-Sham, l’autre puissant groupe de la rebellion jihadiste. Sous supervision turque, il s’agit d’éviter une rivalité néfaste entre Ahrar al-Sham et Jaysh al-Islam, deux des composantes majeures du front islamique (voir : https://now.mmedia.me/lb/en/NewsReports/565149-top-damascus-rebel-in-turkey-amid-regional-moves)
Après ces rencontres, Zahran Alloush retourne à Amman puis rentre en Syrie où il supervise l’offensive du front sud rebelle. Il assiste, avec un rôle de conseiller militaire « technique » (à la manière de l’iranien Qasseim Soleimani pour le camps d’Assad) les groupes de ce front, majoritairement de l’ASL, dans leur attaque des positions loyalistes dans le secteur de Deraa le 9 juin 2015. Après un succès initial (la prise de la base de la 52ème brigade en 6 heures) et une avance prometteuse, menaçant la base aérienne de al-Thaala, l’opération échoue devant l’assistance apportée par les Druzes aux forces d’Assad.
En effet, au même moment plus au nord, à Qalb Loze, près d’Idlib, des miliciens du front al-Nosra massacrent une vingtaine de Druzes qui protestaient contre leur expropriation.
L’incident est habilement exploité par la propagande d’Assad, et la panique se répand dans toute la communauté druze, malgré les interventions du leader druze libanais Walid Joumblatt. A l’appel du Sheikh druze Abu Khaled Shaaban, les milices druzes s’engagent aux côtés des groupes de la NDF d’Assad. Les assauts contre al-Thalaa sont un échec et l’offensive s’arrête le 13 juin.
Puis Zahran Alloush revient à Douma et lance en août sa propre offensive au nord de l’enclave. Les forces de Jaish al-Islam capturent une zone importante et coupent l’autoroute Damas-Homs (M5).
L’intervention de la Russie au secours du régime de Damas bloque tous les projets d’offensive de la rébellion, tandis que les initiatives internationales se multiplient pour trouver une solution au conflit.
Au moment de sa mort, Zahran Alloush est un leader aux compétences militaires reconnues, mais dont les projets politiques extrémistes et les méthodes violentes étaient très contestées, même s’il les avaient adoucies sous la pression internationale en tenant un double discours qui ne doit pas tromper sur ses intentions réelles. Ses méthodes brutales au sein de la zone de Douma, qu’il considère comme sa possession, en font un dictateur potentiel dénoncé aussi bien par les pro-Assad que par certains rebelles attachés à l’instauration d’une démocratie en Syrie.
Il était aussi le chef d’une des forces jihadistes les plus importantes, l’une des plus puissantes militairement, et qui était la seule parmi les groupes jihadistes à avoir signé le texte final de la conférence de Riyad dès lors que Ahrar al-Sham s’en est retiré (voir ici : http://carnegieendowment.org/syriaincrisis/?fa=62263).
Sa mort est donc un coup fort de la Russie, à priori aidée par des renseignements obtenus par les forces syriennes loyalistes. D’abord dirigé contre les rebelles jihadistes, il frappe aussi par ricochet les initiatives de l’Arabie Saoudite qui peine à imposer sa volonté de transition aux groupes jihadistes qu’elle a armé.
Et surtout, elle affaiblit la rébellion syrienne dans la zone de la Douma, au moment où les forces d’Assad progressent dans le sud de l’enclave (secteur des bases d’hélicoptères de Marj as-Sultan). Pire, l’évacuation de proches de la rébellion au sud de Damas va libérer des forces de Damas et de ses alliés pour relancer les attaques contre Douma (qui ne bénéficient pas du repli des défenseurs de ces poches, exfiltrés vers le Nord par un accord local sous supervision de l’ONU).
Il est donc fort probable que les opérations des forces loyalistes, soutenues par l’aviation russe, reprennent et s’étendent dans la zone de la Ghouta-est, enclave urbanisée et martyrisée depuis plus de 3 ans.
Mais paradoxalement, la mort d’un des grands leaders militaires jihadistes peut aussi renforcer les rebelles de l’ASL. Les unités de la rébellion non-jihadiste, que l’on croyait moribondes, ont, en effet, démontré leur puissance lors des victoires défensives d’octobre 2015 au nord de Homs, au nord de Hama et dans le secteur de Salma face aux offensives des forces pro-Assad soutenues par l’aviation russe.
Seul l’avenir nous dira à qui profitera durablement la frappe qui a tué le chef militaire du Front islamique ce 25 décembre 2015.
CM le 26/12/2015