Capture d’écran de la page de Dar al-Islam appelant au meurtre de Rachid Abou Houdeyfa
Le 20 août 2016 a paru le numéro 10 de Dar al-Islam, publication en ligne officielle, en langue française, de l’Etat islamique – alias EI ou Daesh. En page 47 de cette édition figure l’appel à tuer l’imam brestois Rachid Abou Houdeyfa. Le 22 au matin, nous écrivons ces lignes sans qu’aucun personnage officiel de la République ni aucun média de premier plan ne se soit, à notre connaissance, manifesté à ce sujet (1).
L’appel au meurtre publié par Dar al-Islam est assorti d’une photo de Rachid Abou Houdeyfa, de l’adresse de sa mosquée, d’une vue satellite Google Maps et de la mention « imam de l’apostasie vendant sa mécréance avec éloquence ». Il est reproché à l’imam « son appel à voter aux élections françaises et à participer au système démocratique », « son invocation en faveur du taghut (2) du Maroc » pour avoir écrit sur sa page Facebook « le roi du Maroc (que Dieu le protège) », et le fait qu’il se réfère à la loi française, qu’il appelle à respecter. Suit une mention visant à motiver l’appel au meurtre, titrée « jugement légal », où sont cités le prophète Mohammed ainsi que les théologiens Ibn Qudamah al-Maqdisi et Ibn Taymiyya, à propos de l’apostasie et du fait d’être apostat « en terre de mécréance ». L’idéologie jihadiste considère tout autre fondement légal que la charia – démocratie, constitution, législation – comme de l’idolâtrie. Elle voit en tout musulman y adhérant un apostat.
Il n’est pas question ici d’entrer dans le débat sur la doctrine que professe l’imam Abou Houdeyfa. Il est évident que la critique de son discours relève du droit de chacun d’avoir une opinion et de l’exprimer. Il est tout à fait clair qu’il n’incarne pas la vision la plus communément admise par le gros de l’opinion publique en France de la religion – musulmane ou autre. En somme, libre à qui veut de rejeter son discours, sa doctrine, et même, s’il le souhaite, de le combattre sur le terrain argumentaire. Reste qu’un citoyen français fait l’objet d’un appel au meurtre par une organisation terroriste contre laquelle nous nous trouvons en guerre – un état de guerre incontestable car revendiqué par les deux parties. En guerre, au-delà des niaiseries manichéennes, il convient de faire le nécessaire pour… gagner, par exemple.
En gardant un silence confus, en ne condamnant pas cet appel au meurtre, en le mettant sous l’éteignoir, la France, son exécutif, sa classe politique et ses médias commettraient une erreur stratégique fondamentale. Daesh a explicitement condamné à mort un imam français parce qu’il a appelé à participer au système démocratique et à respecter la loi. S’il n’est pas soutenu par la voix et la force publiques au même titre que n’importe quel autre citoyen menacé de la sorte, nous adresserons un message à tout un auditoire musulman, et pas seulement parmi ceux qu’attirent les interprétations rigoristes de l’islam : qu’importe que vous appeliez à une pratique respectueuse des lois et des institutions de la République, la France ne vous soutiendra pas face aux terroristes car elle ne vous aime pas. Au-delà même de la dimension morale de la question, cela revient à livrer à l’ennemi une sérieuse base argumentaire illustrée par l’exemple. L’exemple d’une République dont les voix officielles martèlent qu’il faut combattre les jihadistes aux côtés des musulmans, mais dont les actes projetteraient une réalité quelque peu différente.
Il est urgent de cesser d’attendre, car il n’a pas encore été donné corps à l’appel au meurtre. Celui qui visait Charb a été publié par Al Qaeda en mars 2013. On n’avait d’ailleurs guère attendu pour en informer le public (3). Et s’il a fallu près de deux ans, à l’époque, pour que l’assassinat ait lieu, il y a fort à craindre que les délais de réaction des candidats à l’acte terroriste sur le sol national aient considérablement rétréci depuis. Il faudrait alors gérer à la fois le drame et ses conséquences. Ces dernières seraient lourdes. Gouverner, c’est faire des choix. Celui de l’unité devrait aller de soi, surtout « en temps de guerre ».
Taghût : le terme désigne, sur le plan politique, toutes les lois autres que celles d’Allah (la charia), par nature illégitimes, ainsi que ceux qui gouvernent selon ces lois.
Processus de paix pour la Syrie: chronique d’un échec annoncé
Alep sous le feu.
La crise qui a vu l’Arabie Saoudite rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran le 3 janvier 2016 ne devait pas, selon Riyad, « compromettre les efforts de paix » pour la Syrie, censés s’exprimer à travers le « processus de Vienne » à l’occasion, notamment, d’un sommet devant se tenir à Genève début 2016. On le croit sans peine aujourd’hui encore, car les chances d’une issue favorable à ce processus semblaient d’ores et déjà pratiquement nulles avant même le dernier coup de sang diplomatique en date entre les deux principales puissances rivales de la région. D’ailleurs, les diverses pressions de dernière minute, dont certains craignent qu’elles fassent capoter le processus, ne crèveront sans doute guère qu’un pneu d’ores et déjà bien à plat. Voyons quels maux affectent les « processus de paix » qui, jusqu’à aujourd’hui, ont, sans exception, failli à leur vocation de mettre un terme à la sanglante guerre civile syrienne.
Qu’est-ce que « l’opposition syrienne » ?
« L’opposition syrienne » – soit l’ensemble des groupes, armés ou non, petits et grands, opposés au régime de Bachar al-Assad – est en cela remarquable qu’elle intègre, peu ou prou, tout et son contraire. Il n’est pas question ici d’en livrer une étude par le menu: la tâche serait immense… Donc nous synthétiserons. On y trouve des groupes animés par une interprétation des plus rigoristes de l’islam sunnite, parmi lesquels des mouvements jihadistes, aussi bien que des formations laïques et nationalistes, et toutes les nuances imaginables entre ces deux extrêmes. Le seul point commun qui les unisse tous est la volonté d’en finir avec l’actuelle gouvernance. Mais en termes de finalités poursuivies, et même de moyens, tout diffère, voire… s’oppose. Les uns veulent un Etat de nature islamique – la démocratie est pour eux annulative de l’islam car elle confère au peuple un pouvoir qui n’appartient qu’à Allah – et un système judiciaire fondé sur la charia et les tribunaux islamiques, tandis que les autres souhaitent des élections libres ainsi qu’une gouvernance et un système judiciaire laïcs. Certains sont les « proxys » plus ou moins fidèles de puissances régionales ou mondiales. Il y a également, au sein de « l’opposition », des éléments massivement actifs sur le théâtre des opérations, et d’autres dépourvus de toute composante militaire. L’interprétation clausewitzienne de la guerre nous enseigne que l’essence de celle-ci est la poursuite de finalités politiques par l’opposition violente des volontés. On comprendra donc que ceux qui produisent – et subissent – des effets sur le terrain, qui y vivent, tuent et meurent les armes à la main, n’accordent pas une légitimité débordante aux groupes qui n’ont aucune activité militaire, a fortiori s’ils sont en sécurité hors de Syrie, sans aucun pouvoir de cesser le feu puisqu’ils ne l’ont pas ouvert. On imagine par ailleurs les frictions qui s’opposent à la constitution d’un socle politique d’opposition, unissant durablement autour d’un projet commun des groupes aussi différents, qui visent souvent des finalités antinomiques. Dure réalité mais réalité tout de même: aujourd’hui, aucune de ces entités ne peut se prétendre la représentante unique, synthétique et légitime de l’opposition. La cacophonie a donc de beaux jours devant elle. Par ailleurs, des groupes particulièrement puissants militairement ont la capacité de réduire à néant, sur le terrain, tout accord de paix éventuel. Certains de ceux-là, comme Jabhat al-Nusra et l’Etat islamique, condamnent purement et simplement les « processus de paix » successifs, dont ils considèrent qu’ils font le jeu de leurs ennemis.
L’indéracinable « communiqué de Genève »
Le 30 juin 2012, le Groupe d’Action pour la Syrie, composé de puissances mondiales et régionales, des Nations Unies, de l’Union Européenne et de la Ligue des Etats arabes, a produit un communiqué final de sa réunion à Genève (1). Ce document se donnait pour vocation de poser les bases d’un arrêt des combats afin de mettre en œuvre une transition politique fondée sur un processus démocratique. Il visait à l’application du « plan en six points » proposé par Kofi Annan à Bachar al-Assad le 10 mars 2012, et validé par le président syrien le 27 (2). La guerre durait depuis quinze mois et n’avait fait « que » 16 000 morts environ. Ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom d’Etat islamique (EI), alias Daesh, n’était alors « que » l’Etat islamique d’Irak. Il n’avait pas encore rompu avec al Qaïda. Jabhat al-Nusra était à l’époque son antenne syrienne, et n’était considéré comme organisation terroriste que par Damas et Téhéran. L’attaque sur Ghouta au gaz sarin, imputée au régime de Damas, n’avait pas encore eu lieu. Les puissances occidentales, Etats-Unis et France en tête, n’avaient pas encore laissé entendre qu’elles interviendraient militairement contre Bachar al-Assad, pour faire volteface au dernier moment. Si quelqu’un avait alors prédit la situation actuelle au Moyen-Orient et l’intervention directe de la Russie en Syrie, il aurait été mis au pilori sans ménagement et soupçonné de toxicomanie suraigüe. Il n’est pas exagéré, en janvier 2016, de considérer que nous parlons là d’une autre époque, bel et bien révolue. Trois ans et demi de guerre supplémentaires et plus de 200 000 morts ont aggravé le bilan syrien, sans parler des famines, des millions de personnes jetées sur les routes du monde, ni du niveau insensé de dévastation qui affecte le pays, et sans oublier les conséquences sécuritaires mondiales qu’engendre l’instabilité du Moyen-Orient.
Kofi Annan, artisan du « plan en six points » promu par le communiqué de Genève jusqu’à aujourd’hui
C’est pourtant bien le communiqué final de la réunion à Genève le 30 juin 2012 du Groupe d’Action pour la Syrie qui constitue la trame de négociation du processus de Vienne aujourd’hui en cours, entre factions d’opposition et régime de Bachar al-Assad. Or, ce document ne garantit pas le départ de Bachar al-Assad préalablement à la formation d’un gouvernement de transition. Et ceci se trouve être aujourd’hui une revendication fondamentale de la plupart des groupes armés d’opposition, qui considèrent que si cette condition n’est pas garantie, il n’y a pas de négociation possible. Revenons à la guerre vue selon le prisme clausewitzien: ces factions armées font la guerre pour chasser le régime de Bachar al-Assad et lui substituer une autre forme de gouvernance. Or, elles n’ont pas été vaincues sur le terrain après ces longues années d’un conflit meurtrier, et ne voient par conséquent aucune raison valable de tempérer leurs exigences. Donc elles n’entendent cesser le feu, a minima, qu’une fois Assad et son régime renversés, et il n’est pas question pour elles d’envisager qu’Assad participe à l’avenir de la Syrie, ne serait-ce qu’à travers la mise en place d’un gouvernement de transition. D’autant que la probabilité serait forte de voir Assad mettre à profit sa participation à la phase transitoire pour créer les conditions de sa propre pérennité: « Genève 2012 » prévoit que le gouvernement de transition organise des élections libres. Celles-ci nécessiteraient évidemment un cessez-le feu effectif sur l’ensemble du territoire, d’autant que le maintien de la Syrie dans ses frontières fait partie du paradigme. Le processus électoral serait rendu impossible par la persistance des groupes les plus belliqueux, ne seraient-ce que les puissants Etat islamique et Jabhat al-Nusra. Du coup, Assad resterait au pouvoir sous un prétexte conforme à un accord diplomatique de grande échelle, et sans avoir au préalable remporté la victoire sur le terrain… C’est sur cette base qu’échoua la conférence « Genève II », entre le 22 janvier et le 15 février 2014.
Le communiqué de Genève a été formellement endossé par le Conseil de sécurité de l’ONU le 27 septembre 2013 à travers la résolution 2118 (3). Initié par la diplomatie onusienne, approuvé par pratiquement tous les participants à la réunion du Groupe d’Action – y compris la Russie –, et confirmé par le Conseil de sécurité, le texte est, selon les modes de fonctionnement propres à l’ONU, pour ainsi dire gravé dans le marbre. Au point de constituer aujourd’hui la trame du processus de Vienne actuellement en cours, au titre de la résolution 2254 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 18 décembre 2015 (4), selon un scenario bien rodé à défaut d’avoir fait ses preuves en termes de résolution de conflits. Malgré tous les artifices oratoires déployés à l’occasion des prises de parole officielles s’y rapportant, le processus de Vienne campe donc sur le texte fondateur qui fut à l’origine des échecs passés (5). Pour détendre l’atmosphère, disons qu’à ce stade du présent billet, le lecteur devrait commencer à subodorer la présence inopportune d’un énorme clou de charpente solidement planté dans chaque pneumatique de la bicyclette diplomatique…
La conférence de Riyad
Les puissances régionales qui, depuis le début des hostilités, verraient d’un bon œil la chute de l’actuel régime de Damas, sont parfaitement au fait des dissensions propres à « l’opposition syrienne ». Aussi, dans le contexte actuel qui voit la Russie s’impliquer directement aux côtés d’Assad, et les discours occidentaux se détendre tant envers Moscou que Damas (6), leur a-t-il semblé urgent de contribuer à unifier un socle politique d’opposition cohérent. C’est dans ce but que l’Arabie Saoudite a organisé, à Riyad, entre les 8 et 10 décembre 2015, une conférence rassemblant une grosse centaine de représentants de « l’opposition syrienne ». Dix groupes armés ont participé à cette conférence. C’est peu. Parmi eux, trois (7) constituent, chacun, une force significative sur le terrain. Parmi ces trois-là, un – Ahrar al-Sham – a quitté la conférence pour cause d’incompatibilité politique fondamentale avec les autres, et de sur-représentation de groupes d’opposition qu’Ahrar al-Sham soupçonne de négocier trop volontiers en sous-main avec Damas. Pour se faire une idée des revendications politiques qu’il s’agissait de concilier et de leur positionnement vis-à-vis de la trame internationale de négociation, je renvoie le lecteur au tableau réalisé par Genevieve Casagrande sous l’égide du think-tank américain Institute for the Study of War, indiquant les principaux axes politiques développés par Genève 2012, Vienne 2015, la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, le Front Sud de l’Armée Syrienne Libre et Ahrar al-Sham (8). On notera la concession que fait Ahrar al-Sham à la démocratie: des élections libres pour choisir ceux qui seront chargés d’implémenter la charia, le principe de celle-ci ne pouvant, par nature, être soumis au vote…
Les participants à la conférence de Riyad, le 9 décembre 2015
La conférence de Riyad s’est conclue par un texte commun (9) – sans Ahrar al-Sham, donc. A sa lecture, on note des trésors de précautions pris pour maintenir le communiqué final de Genève dans son rôle structurant pour la trame de négociations. A un détail près: l’exigence du départ de Bachar al-Assad et de ses proches collaborateurs dès le début de la période transitoire… Par ailleurs, le texte fonde un « haut comité de négociation » constitué de 30 représentants chargés de désigner le pool qui négociera avec les autorités de Damas sous l’égide du processus de Vienne. C’est Riad Hijab, sunnite originaire de Deir ez-Zor, premier-ministre de Bachar al-Assad pendant un mois et demi avant de faire défection le 6 août 2011, qui a été désigné pour diriger ce haut-comité. La première charge est venue du secrétaire d’Etat américain John Kerry, qui s’est indigné de la non-conformité du communiqué de Riyad à celui de Genève. Riad Hijab a rétorqué que la non-participation d’Assad à la phase transitoire n’était pas négociable. La Russie s’est indignée de la participation de Jaish al-Islam, qu’elle tient pour une organisation terroriste, au haut-comité. D’ailleurs, le leader de Jaish al-Islam, Zahran Alloush, a été tué par un bombardement dont il était sans nul doute la cible prioritaire, le 25 décembre 2015 (10). Moscou cherche également à ce que le PYD kurde syrien et son aile militaire (YPG/YPJ), tenus pour terroristes par la Turquie, participent au haut-comité ou constituent, avec d’autres groupes, une deuxième délégation de négociation. Le haut-comité de Riad Hijab manifestant son exaspération et menaçant de boycotter purement et simplement la conférence de Genève, les Etats-Unis ont entamé un jeu de pression à son encontre qui pourrait bien, en fin de compte, sonner le glas de la conférence. (11).
Conférence ou pas, accord ou pas: est-ce important?
La moindre des choses, quand on participe à des pourparlers visant sincèrement à mettre un terme à une guerre, et a fortiori quand on les organise, est de veiller à ce que le résultat des négociations puisse être implémenté sur le terrain. Or, même si l’on fait abstraction des divisions profondes qui affectent les factions d’opposition, même si l’on jette un voile pudique sur le caractère inconciliable des revendications des uns et des autres, même si l’on part du principe ridiculement optimiste que Bachar al-Assad est prêt à cesser le feu et à se retirer humblement moyennant quelques aménagements de forme, bref même si l’on renonce à tout réalisme politique de base, il restera un hic. La mise en œuvre d’un cessez-le-feu est rendue impossible par la persistance, sur le terrain, de belligérants puissants, invaincus, toujours déterminés à remporter militairement cette guerre et considérant que le but des combats n’est pas la paix mais la victoire. Jabhat al-Nusra, franchise locale d’al-Qaïda, est imbriqué avec nombre d’autres groupes armés sur le terrain, jouant avec eux de coopération militaro-administrative tout autant que de pressions parfois considérables. Il est devenu, auprès d’eux, un vecteur de succès militaires, une source d’ingénierie, une aide à la gouvernance et… un suzerain – de fait – implacable. Or, Jabhat al-Nusra considère qu’il n’est pas temps de parler de paix mais de chasser Assad, ainsi que le rappelait son émir dans une interview télévisée en décembre 2015. Quant à l’Etat islamique alias Daesh, l’état actuel de son implantation syrienne et la nature de son projet politique n’en font pas le partenaire rêvé à l’heure d’envisager une transition pacifique au profit d’une Syrie pluraliste et séculière. Ces deux mouvements ne tiendraient aucun compte d’un accord de cessez-le feu, qu’ils verraient comme une trahison, et feraient tout pour qu’il capote sur le terrain. Ahrar al-Sham n’est sans doute guère mieux disposé qu’eux, et malgré toute la modération que veulent bien lui prêter les habitués des dîners mondains, malgré même sa participation au haut-comité issu de Riyad, Jaish al-Islam non plus. Que dire, d’ailleurs, des monarchies du Golfe, à qui la situation en Syrie (et en Irak) a paru suffisamment peu urgente pour qu’elles se consacrent à une guerre au Yémen? Quant à la souffrance des populations civiles, comme elle est de nature à ancrer les radicalités de part et d’autre, on voit mal en quoi le cynisme de belligérants endurcis par les longues années de violence extrême y trouverait une raison de s’adoucir.
La paix en Syrie n’est donc pas sur le point de survenir. La rigidité des organisations internationales, alimentée par le cynisme et / ou les défaillances politico-stratégiques des Etats qui les animent, donne même à redouter que le pire reste à venir. Si: pire, c’est toujours possible. Notamment en y mettant du sien. Et comme on a pu s’en rendre compte à Paris le 13 novembre 2015, ça a un prix. Celui du sang, ici comme là-bas. Mondialisation oblige… Et à propos de mondialisation, la question se pose avec acuité de savoir si le problème syrien n’est pas qu’une déclinaison d’un profond malaise global.
(6) Contexte notamment affecté par les conséquences des attentats perpétrés à Paris par l’EI le 13 novembre 2015.
(7) Armée Syrienne Libre, Jaish al-Islam et Ahrar al-Sham. Les puissants groupes jihadistes Etat islamique et Jabhat al-Nusra étaient naturellement absents, condamnant énergiquement le principe même de la conférence.
(10) (Re)lire à ce sujet le billet de Cédric Mas dans les colonnes de Kurultay.fr: 25 décembre : L’aviation russe tue Zahran Alloush le chef militaire de Jaish al-Islam http://kurultay.fr/blog/?p=515
Il s’agissait d’analyser la question des objectifs opérationnels et politiques poursuivis par les jihadistes lorsqu’ils cherchent à frapper la France par des attaques terroristes, qui constituent l’un des modes de leur action militaire. Ce billet rédigé à la suite des évènements de janvier 2015, dont nous commémorant aujourd’hui-même le premier triste anniversaire, me semble constituer une bonne base pour pousser la réflexion plus loin, même s’il mérite des corrections et des précisions, ainsi qu’une mise à jour pour 2016 qui feront l’objet d’un autre billet à suivre.
Si l’on part du principe avéré que l’action des jihadistes, qu’il s’agisse d’Al Qaida comme de Daesh, obéit à une logique et une rationalité, il est alors possible de concevoir un véritable modèle expliquant les attentats terroristes organisés ou projetés en France, et permettant même de les prévoir.
Cela suppose d’essayer de tenir compte de ce que font les jihadistes, de leur conception du monde, de leur méthode de pensée et d’action mais surtout en intégrant leurs objectifs. Une telle analyse ne vaut bien évidemment aucune adhésion, ni validation des crimes qu’ils commettent.
Les jihadistes défendent une conception particulière de l’islam, qui est réduite à la notion de jihad physique et matériel, avec ce que cela implique de violence. Il n’est pas dans notre propos de questionner la légitimité d’une telle vision au regard du Coran, mais en revanche de relever deux éléments clés de la pensée et de l’action jihadiste :
– le jihadiste s’estime « l’avant-garde éclairée » de la communauté des croyants (la « Umma »), qu’il doit guider et défendre vers la pureté d’une pratique de l’Islam (aujourd’hui essentiellement basée sur la Shari’a et les préceptes takfiristes ou salafistes) ;
– le jihadiste doit aussi propager la vraie foi sur toute la terre et donc convertir l’ensemble de l’humanité (il existe de nombreuses variantes sur la méthode plus ou moins coercitive de cette conquête).
Dans ce cadre de pensée, la société française de 2015 peut donc être séparée en 3 groupes distincts :
– la population non-musulmane : par définition ennemie, elle doit être combattue ;
– la population musulmane : par définition ignorante du danger qui la guette, on doit lui dévoiler qu’elle est menacée par un ennemi, puis la mobiliser pour sa défense et/ou la conquête du pays ;
– la sphère jihadiste (appelée aussi jihadosphère) : constituée des sympathisants directs du jihad, elle a un effectif très minoritaire. Il s’agit d’un milieu fait de rivalités mais aussi d’entraides entre de multiples groupes plus ou moins structurés. La jihadosphère française est travaillée en 2015 par la rivalité plus globale entre les deux grands réseaux : Al Qaida (réseau classique et puissant à l’international, mais affaibli et vieilli), et ISIS (Califat jeune, dynamique mais plus attaché à l’acquisition de sanctuaires territoriaux), chacun cherchant par ses actions à se valoriser au sein de la jihadosphère pour recruter et assurer sa suprématie.
Voici un schéma permettant de bien visualiser les trois groupes et leurs liens respectifs :
La situation est donc aisément compréhensible (…) : il ne s’agit pas de frapper les ennemis directs de l’islam mais de séparer la communauté musulmane du reste de la société.
Il faut donc frapper les zones les plus proches :
– cible non musulmane permettant de séparer les deux groupes ;
– cible musulmane intégrée (qualifiée d’apostat et méritant donc la mort), les membres des forces de l’ordre musulmans sont donc systématiquement visé sans pitié (que ce soit par les frères Kouachi comme par Coulibaly).
L’action peut survenir à partir de l’extérieur (situation privilégiée par AQ mais rendue compliquée par les systèmes de surveillance contre-terroristes européens) ou à partir d’éléments locaux radicalisés (donc exclus de la société française).
Voici le schéma d’une opération jihadiste « optimale » :
Par voie de conséquence, observons le résultat recherché par les attentats jihadistes en France en 2015 :
C’est à la lumière de ces éléments qu’il faut analyser les réactions politiques et sociales françaises aux attentats de janvier et constater que toute stigmatisation (par exemple celles d’un parti politique récemment rebaptisé « Les Républicains »), toute réaction violente amalgamant les musulmans aux jihadistes ou exigeant d’eux des réactions imposées, va en réalité répondre aux souhaits et aux objectifs des auteurs des attentats.
L’objectif à long terme des jihadistes en France peut être résumé de la manière suivante :
Nous sommes bien évidemment loin – et c’est heureux – de cette situation, mais il est évident que chacune des initiatives ou des actes de nos hommes politiques, comme de chacun de nous, devrait être pesé et apprécié à l’aune de ce que recherchent les jihadistes.
Ces schémas, forcément simplificateurs, n’apprendront pas grand-chose à tous ceux qui ont réfléchi, même intuitivement, à la situation. Ils éclairent d’un jour nouveau à la fois les critiques et accusations d’islamophobie injustement adressées à Charlie hebdo (et à tous les manifestants), et les réactions lâches et clientélistes de nos politique, plus prompts à exploiter politiquement les attentats jihadistes qu’à convertir en actes concrets et efficients la prise de conscience collective qui a suivi le choc émotionnel de janvier 2015.
On le voit, la solution est dans ce qui fera échec au but recherché par les jihadistes, et non dans un renforcement d’une surveillance, un abandon de nos valeurs et de nos principes. La solution est politique, économique, sociale, humaine, et non juridique ou policière.
Analysons donc les « ingrédients » privilégiés par les jihadistes pour leurs actions en France :
Les attentats sont aujourd’hui conçus et pensés de manière à générer des « effets multiples » sur les trois groupes concernés en même temps :
– brutalisation du groupe non-musulman ;
– mobilisation du groupe musulman ;
– prise de l’ascendance au sein de la jihadosphère.
Cela implique des opérations caractérisées par :
– le choix précis des cibles (on est loin des attentats aveugles à la bombe) ;
– la saturation médiatique ;
– l’ultra-violence des moyens ;
– le martyr des auteurs (j’avais déjà écrit à quel point l’arrestation des auteurs vivants est importante pour contrer les effets de ces actions).
J’ai essayé de synthétiser les effets des différents types d’actions jihadistes, ce qui permet d’en exclure certaines, et d’en craindre d’autres. Je précise que ce tableau se place du point de vue de la « logique jihadiste ». Il ne s’agit donc ni de soutenir, ni d’excuser les attaques terroristes, mais d’essayer d’en comprendre les sous-jacents du point de vue des leaders jihadistes :
On peut ainsi classer Charlie comme un « ennemi symbolique de la foi musulmane » (ce qu’il n’est pas mais qui reste son image au sein de la communauté musulmane). Mais c’était déjà le cas de la cathédrale de Strasbourg (visée par un projet d’AQ en 2000).
Il est à craindre désormais des opérations contre des cibles à plus forte valeur émotionnelle (hôpitaux, maternité, école, habitations privées…), et des attaques encore plus dynamiques (par exemple le débarquement sur la côte de commandos suicide armés).
En guise de conclusion provisoire, il est intéressant de signaler que les actions jihadistes s’inscrivent désormais dans une démarche différente de celles des attentats précédemment commis en France par des mouvements islamistes : le but des jihadistes n’est plus aujourd’hui de châtier la France, de lui faire peur, de l’amener à changer sa politique internationale, son soutien à tel ou tel régime, ou à telle opération jugée anti-islamique. Le but des jihadistes n’est plus de « terroriser » la France, mais d’exporter le conflit. Il s’agit donc désormais davantage d’actions militaires que d’actions terroristes, pensées mais aussi exécutées dans un cadre stratégique global, avec des moyens d’ailleurs de plus en plus militarisés.
De même, on notera la disparition des attaques des moyens de transport et de communication (cible privilégiée par AQ pendant longtemps : avions, trains, bus…), principalement du fait de l’adaptation des services de contre-terrorisme à ce type de ciblage.
Enfin, nous ne traiterons ici que de la France. Le but d’opérations terroristes dans d’autres pays (les États-Unis par exemple) n’obéissant pas aux mêmes analyses des jihadistes, ni aux mêmes objectifs.
Cette spécificité de la situation en France, et la fragilité qu’elle exprime aux yeux de fanatiques du jihad, explique pourquoi notre pays est actuellement au premier rang des cibles menacées, et va le rester longtemps encore.
(à suivre pour une mise à jour et un approfondissement des actions jihadistes en France en 2016)
Syrie: Frappe russe sur le viaduc de Siyasiyeh
Le média russe RT (1) a diffusé, ce 24/10/2015 au matin, des images censées représenter l’attaque, par les forces aériennes russes en Syrie, du pont sur l’Euphrate à Deir Ez-Zor. Aujourd’hui, kurultay.fr va s’adonner, modestement comme toujours, au petit jeu de l’analyse post-strike (2) sur la base d’éléments librement accessibles. Disons-le tout net: la tâche est à appréhender avec prudence et humilité sous peine de diffuser des balivernes. Tâchons donc d’en faire un cas d’école pour illustrer une certaine manière de vérifier l’information afin d’estimer la portée et les limites de sa validité. C’est par le tweet ci-dessous que votre serviteur a découvert la nouvelle, au moment même de sa publication.
Voyons les éléments contextuels. Et dans un premier temps, situons Deir Ez-Zor sur la carte. Comptant environ 130 000 habitants avant la guerre, cette ville agricole doit une certaine prospérité aux terres fertiles qui bordent l’Euphrate.
Voyons maintenant les caractéristiques du terrain, à travers une prise de vue satellite de Deir Ez-Zor.
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La majeure partie du cours de l’Euphrate en Syrie est sous le contrôle de l’Etat Islamique. Quant à la ville de Deir Ez-Zor, elle cumule les caractéristiques qui en font une position stratégique: main d’oeuvre, nœud routier, présence d’infrastructures militaires conséquentes, dont une base aérienne aujourd’hui encore aux mains des forces gouvernementales syriennes. C’est donc très logiquement que le secteur est le théâtre d’affrontements successifs depuis le début du conflit, souvent d’une extrême intensité (3). Ces derniers jours, de nouveaux accès de fièvre ont vu l’Etat Islamique conduire des opérations contre les positions gouvernementales. La base aérienne constitue un enjeu de taille, car sans elle, les forces gouvernementales se verraient non seulement privées d’appui aérien, mais aussi d’approvisionnements: en s’emparant de Palmyre et de ses environs, l’EI a en effet privé les gouvernementaux du cordon ombilical qu’était la route n°7 (axe Damas – Deir Ez-Zor). Pour se faire une idée de l’occupation du terrain, je vous propose la carte ci-dessous, établie par « Agathocle de Syracuse » (c’est évidemment un pseudonyme). Je vous suggère également de le suivre sur Twitter (@deSyracuse) et de mettre son site Internet en bonne place parmi vos favoris: agathocledesyracuse.com
Dans une telle localité, bordant un fleuve d’un côté et un désert de l’autre, la question du franchissement de l’Euphrate est absolument essentielle, non seulement militairement parlant, mais aussi et surtout pour permettre la circulation des personnes et des biens, et donc la vie économique, la subsistance des populations, et la continuité de l’entretien des surfaces cultivables. A ce titre, il y avait à Deir Ez-Zor, avant la guerre, deux ponts franchissant l’Euphrate. Un pont piéton suspendu datant du mandat français, abattu lors de combats le 2 mai 2013 (4), et un viaduc routier, objet du présent article, et qui connut également des péripéties puisque les forces spéciales syriennes parvinrent à en dynamiter l’extrémité nord lors des combats contre l’Etat Islamique le 15 septembre 2014, scène illustrée par la vidéo ci-dessous.
Voyons ci-dessous les dégradations successives infligées aux ouvrages d’art dédiés au franchissement de l’Euphrate à Deir Ez-Zor au fil du conflit.
Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor avant la guerre. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor après la destruction du pont suspendu le 2 mai 2013. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Configuration des ouvrages d’art franchissant l’Euphrate à Deir Ez-Zor après le dynamitage du viaduc de Siyasiyeh par les forces spéciales syriennes le 15 /09/2014. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Vue sur les dégâts occasionnés par le sabotage du viaduc de Siyasiyeh par les forces spéciales syriennes le 15/09/2014. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Comme on peut le constater ci-dessus, le viaduc a été durement affecté par l’action de l’armée syrienne le 15 septembre 2014. C’est une partie aérienne de l’ouvrage qui a été touchée, ce qui est de nature à en complexifier la réparation: certes il n’y a guère lieu de douter des capacités de l’EI en termes de travaux lourds de ce calibre. Mais une remise en état dans les règles de l’art après de tels dégâts nécessiterait un chantier conséquent, avec à la clef de nombreuses allées et venues d’engins et du stockage de matériels spécialisés et de matériaux. Autant d’éléments vulnérables aux attaques aériennes.
A l’heure où ces lignes sont écrites, l’auteur ne dispose d’aucune information concernant les éventuels travaux effectués sur le viaduc de Siyasiyeh. Il est toutefois possible, en attendant mieux, d’étudier les images du pont au moment de l’attaque, telles qu’on peut les voir à travers l’objectif du système de visualisation de la force aérienne russe.
Image extraite de la vidéo illustrant la frappe russe d’octobre 2015. On peut observer de substantielles évolutions au niveau du tronçon saboté par les forces syriennes le 15 septembre 2014. Cliquer pour agrandir l’image.
L’image ci-dessus ne permet pas d’être absolument affirmatif quant à la nature des changements survenus à hauteur du tronçon saboté en septembre 2014. Il est en tout cas évident que quelque chose s’est passé, et que c’est la main de l’homme qui a produit là des effets. Votre serviteur ose avancer l’hypothèse d’une passerelle visant à relier la route (au niveau du sol) à la partie encore viable du viaduc. Si quelqu’un a une meilleure idée, qu’il se signale sans hésiter! En tout cas nous saurons, tôt ou tard… Mais il reste quelques autres élément inexpliqués dans ces images. Nota a posteriori: cet aspect fait l’objet d’une mise à jour au bas de l’article, en date du 26 octobre 2015.
On note un tronçon sud du viaduc fort sombre… Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Le tronçon sud apparait très sombre à l’image. Rien, dans l’environnement, n’est aussi sombre. En se reportant aux images du viaduc plus haut dans ce même article, on constate que c’est nouveau. Peut-être un ou plusieurs véhicules chargés d’hydrocarbures ont-il brûlé ici? Là encore, impossible d’être affirmatif sur la base des éléments actuellement rassemblés.
Passons à la frappe elle-même. Elle a visé une partie aérienne de l’ouvrage, située au-dessus du fleuve (ce qui tend à rendre les réparations encore plus ardues), vers l’extrémité du tronçon assombri. La cible a-t-elle été touchée, et le pont a-t-il été effectivement coupé? On note tout d’abord que la vidéo publiée se termine alors que toutes sortes d’éléments restent en suspension et empêchent de voir ce qu’il est advenu du tablier du pont…
Là encore, nous resterons sur notre faim. L’effet terminal ne peut être évalué de visu. A l’heure où est rédigé ce billet, le ministère russe de la Défense n’a pas communiqué autrement qu’en transmettant la vidéo ci-dessus aux médias. Les cachoteries ne plaident pas forcément en faveur de ceux qui les font, mais d’autre part, il serait maladroit de communiquer sur une frappe ratée dont le public pourrait assez rapidement observer l’échec. Donc nous patienterons… Mais à défaut de connaitre l’effet terminal de l’impact, observons l’impact lui-même. Ou… les impacts? Le lecteur est invité à visionner la vidéo en boucle pour évaluer lui-même les effets abordés ci-dessous.
Un projectile russe vient tout juste de frapper à hauteur de la seconde pile en partant du sud. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Les effets pyrotechniques de l’impact s’amplifient. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Les effets cinétiques (projections et leurs effets) commencent à s’avérer visibles. D’importants remous dans l’eau se manifestent. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Les effets évoqués ci-dessus s’amplifient encore. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Une nouvelle explosion soulève des débris du côté droit du tablier. Noter la persistance du remous dans l’eau côté gauche. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
Le viaduc a bel et bien été atteint aux environs directs de la deuxième pile en partant de la rive sud (côté ville de Deir Ez-Zor). L’emploi d’armes guidées ne fait aucun doute. L’hypothèse de deux impacts distincts peut être sérieusement envisagée, et les effets de l’un et de l’autre présentent des différences d’apparence. Cela peut être dû au fait que les projectiles ne seraient pas identiques. Ou bien encore des points d’impact présentant des caractéristiques différentes ont pu susciter des effets distincts. Reste que la persistance d’effets dans l’eau laisse envisager que des objets lourds et volumineux, provenant du tablier et / ou de la pile, sont tombés dans l’Euphrate. Il n’est donc pas farfelu de considérer que le viaduc a subi des dommages conséquents. Mais seule une observation directe (photo sur place, imagerie satellite, produit reconnaissance aérienne) permettra de savoir si ces dommages vont jusqu’à la coupure effective de l’ouvrage d’art.
Le présent billet sera mis à jour au fil des éléments nouveaux à paraître. L’auteur ne peut en revanche mettre le point final à son propos sans préciser que l’atteinte aux ouvrages d’art a certes un effet militaire conséquent, mais qu’elle induit également des nuisances aux populations. Par ailleurs, l’extension de la guerre aux zones agricoles a des effets à long terme peut-être difficilement réversibles. Pour vous en convaincre, observez via Google Earth l’évolution de la végétation sur les terres cultivées aux alentours de Deir Ezzor entre l’avant-guerre et aujourd’hui. En ces zones où l’irrigation est un enjeu majeur, que la guerre empêche les populations agricoles de faire leur métier est loin d’être anodin.
Mise à jour 26/10/2015
Google Earth et les réseaux sociaux permettent d’affiner l’analyse ci-dessus, notamment en ce qui concerne la remise en service du viaduc par l’Etat Islamique après sa coupure par l’armée syrienne le 15 septembre 2014. Plus haut, nous envisagions, sur la base des images de la force aérienne russe, l’hypothèse d’une passerelle venue relier la partie encore debout de l’ouvrage d’art à la route en contrebas. Voyons les dégâts produits par l’armée syrienne le 15 septembre 2014 et les évolutions qui ont suivi.
Le tweet ci-dessous date du jour même de la démolition par les forces gouvernementales:
Il convient, dans un premier temps, d’authentifier les photo. Pour la première, c’est chose faite en constatant que trois repères flagrants coïncident.
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Pour ce qui est de la deuxième photo (à droite dans le tweet), deux des trois repères identifiés sur la première, en l’occurrence ceux encadrés de blanc et de jaune ci-dessus, sont très clairement visibles sur le cliché (cf ci-dessous).
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Nous sommes donc bien en présence de deux clichés du viaduc qui nous intéresse. La date à laquelle ils ont été postés valide le fait qu’ils illustrent bel et bien les dégâts occasionnés le jour même par les forces gouvernementales syriennes. Reste maintenant à savoir comment la scène du sabotage a été, par la suite, aménagée par l’Etat Islamique. De cela découlera une conclusion: les forces russes auront frappé un pont opérationnel ou… d’ores et déjà hors d’usage. Pour commencer, observons deux images satellite disponibles via Google Earth. L’une date du 29 septembre 2014, soit 14 jours après le sabotage des forces gouvernementales syriennes. L’autre date du 15 novembre 2014, soit 16 jours plus tard.
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De toute évidence, d’une image à l’autre, des travaux évoluent, qui visent à créer la base d’une liaison entre le sol et l’extrémité nord de la partie saine du tablier du viaduc. Un nouveau tweet, ci-dessous, nous ramène à notre viaduc. On y apprend qu’un char de l’Etat Islamique (visible à l’image) et un autre véhicule ont été détruits « près du viaduc de Siyasiyeh ». Interrogé sur ses sources, l’auteur observe un silence pesant, qui laisse à supposer qu’il a saisi une information à la volée et l’a rediffusée sans en maîtriser les tenants ni les aboutissants. La physionomie des dégâts est conforme à ce que l’on peut voir dans les images ci-dessus. Là encore, la prise de vue est effectuée depuis le côté sud.
Si le tweet a été émis le 20 septembre 2015, on ne connait pas la date des prises de vue. Reste que le viaduc est abattu. Les photos sont donc postérieures à l’action du 15 septembre 2014…
Dans le cercle rouge, le char de l’EI détruit par l’armée syrienne. Que fait-il au bout de la partie saine du tablier?
Le char détruit n’est pas « près du viaduc » mais dessus. Mieux encore, il est à l’extrémité de la partie intacte du tablier! On a du mal à concevoir une bonne raison pour qu’il soit venu là sans qu’il y ait un moyen de passer de la rive nord de l’Euphrate au viaduc et inversement. Les tankistes de l’EI ont sans nul doute mieux à faire que d’aller s’aventurer au bout du tablier d’un pont hors d’usage…
En jouant avec le contraste, les contours de l’accès chaussée / tablier se dessinent.
L’image ci-dessus, issue de la manipulation de la photo originale illustrant la destruction du char, laisse apparaitre la forme de la liaison pont-chaussée. A corréler avec la vue d’en haut qu’offre la vidéo de la frappe russe.
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Ainsi, autant l’on ne connait pas encore l’effet réel de la frappe russe sur le viaduc de Siyasiyeh, autant il semble acquis que la force aérienne russe a frappé un pont en partie restauré, et en usage.
A suivre…
Jean-Marc LAFON
(1) Ex Russia Today, propriété de RIA Novosty.
(2) « Post-strike », en jargon militaire, signifie « après la frappe ».
(3) La bataille de Deir Ez Zor, un exemple de la guerre moderne, par Grégoire Chambaz sur courrierdorient.net
Véhicules militaires abandonnés par les forces irakiennes à Ramâdi
La prise de Ramâdi, chef-lieu de la province d’al-Anbâr, par l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EI, EIIL, DAESH) (1) a fait l’objet du précédent billet de ce blog (2). On y évoquait les vieux démons de ce malheureux pays et leur influence sur le cours de la guerre. Aujourd’hui, des informations commencent à filtrer du terrain et à jeter une lumière crue sur un échec militaire, politique et administratif dont les répliques à terme n’ont sans doute pas fini de se faire sentir.
Ramâdi était la ville de garnison de la 7e non pas compagnie mais Division d’Infanterie irakienne – peu ou prou 10 000 militaires, intendance comprise, dont certains peut-être déployés plus au nord. De nombreux policiers membres d’unités paramilitaires régies par le ministère de l’Intérieur s’y trouvaient affectés de manière permanente. Des éléments des forces spéciales étaient présents, et une vidéo amplement diffusée sur Internet illustre leur fuite précipitée de Ramâdi (cf ci-dessous).
La question reste de savoir comment, alors qu’al-Anbâr n’a jamais cessé de faire l’objet d’attaques plus ou moins virulentes, le gouvernement de Bagdad a pu se faire surprendre au point d’en perdre le chef-lieu…
Des fantômes dans la tempête (de sable)
Très vite, on a trouvé une explication plausible à l’absence de soutien aérien : une tempête de sable. En effet, ce jour-là, le vent était de la partie et la densité de sable en suspension à certaines altitudes rendait, parait-il, la perception du terrain trop imparfaite pour procéder à de l’appui aérien rapproché, rendu a fortiori plus délicat encore en zone urbaine qu’ailleurs (3). Reste que l’aviation ne fait pas tout, que les jihadistes n’avaient pas non plus d’appui aérien, que le vent des sables soufflait tout autant pour eux que pour les forces de sécurité irakiennes, qu’en son temps Clausewitz rappelait avec raison les avantages multiples du défenseur sur l’assaillant, et qu’enfin les vicissitudes météorologiques n’ont pas entravé de manière rédhibitoire la fuite des combattants gouvernementaux.
Après la bataille, les réseaux sociaux se sont trouvés inondés de messages triomphaux des supporters de l’Etat Islamique, clamant que 150 moudjahidines ont mis 25 000 soldats irakiens en déroute. Sans vouloir vexer personne, l’affirmation sonne tellement faux qu’avec la meilleure volonté du monde, elle écorche trop le sens critique pour être admise par l’exégète amateur (4). D’une part, Daesh n’est pas assez stupide pour communiquer l’effectif réel engagé dans une opération. D’autre part, le passé a prouvé sans aucune ambiguïté que lorsqu’il s’agit de compter les combattants gouvernementaux irakiens, maîtriser l’arithmétique ne fait pas tout, et la consultation des tableaux d’effectifs des unités non plus. La vérité est ailleurs… Ce qui est crédible, c’est que les jihadistes n’avaient pas l’avantage du nombre. Ce qui éveille la curiosité, c’est la question de savoir à quel point et pour quelles raisons.
Le précédent billet de Kurultay.fr, dédié à l’affaire de Ramâdi, faisait allusion à la malheureuse affaire, soulevée fin 2014, des 50 000 soldats fantômes de l’armée irakienne, qui ne mettaient pas un pied à la caserne – et encore moins au combat, ça va de soi – moyennant le versement d’une part de leur solde à leurs officiers corrompus. Or, le Washington Post vient de publier un article (5) tendant à indiquer que lesdits fantômes auraient fait des petits, et qu’il ne s’agirait là que d’un défaut parmi tant d’autres à la cuirasse de l’Etat irakien.
L’EI parade à Mossoul le 25 juin 2014. Déjà en cette occasion, l’effectif combattant irakien différait nettement de l’effectif théorique.
Le Washington Post cite un analyste politique irakien, Ahmed al-Sharifi, qui estime l’effectif engagé à Ramadi par le gouvernement irakien à 25 000, répartis comme suit: 2000 combattants et 23 000 soldats fantômes. On lui laisse la responsabilité des comptes, que votre serviteur n’est pas en mesure de contrôler. Reste que si l’on a relevé, en novembre 2014, qu’un militaire sur six était un fantôme, on se demande bien comment la faillite morale qui a conduit là pourrait avoir été soldée en mai 2015. Mossoul à l’été 2014 et Ramâdi au printemps 2015, même combat ? A moins de croire l’Irak capable de se réformer de fond en comble en onze mois, comment pourrait-on répondre à cette question par un « non » catégorique ? Est-il farfelu d’envisager alors qu’en zone de fort danger, l’absentéisme payé puisse se révéler très supérieur à ce qu’il est pour des affectations plus « tranquilles »? A chacun d’en juger.
Policiers non payés et armés au marché noir
Cette plongée dans un océan de corruption que nous propose le Washington Post recèle toutefois d’autres attraits. Après l’armée, la police (6)… Ainsi le colonel Eissa al-Alwani, officier haut placé dans la hiérarchie policière de Ramâdi, signale que la police locale, manquant de tout, s’est trouvée réduite à quémander auprès de la population et d’hommes d’affaires des fonds destinés à acheter des armes et des munitions… au marché noir (7) ! Omar al-Alwani, lui, est un chef tribal sunnite. Il affirme que 3 000 hommes des tribus locales ont combattu ces derniers mois aux côtés des policiers, et témoigne que ces derniers accusaient un retard de six mois dans la perception de leur salaire, tandis que l’Etat Islamique perpétrait des attentats contre eux et leurs familles. Il précise que beaucoup ont pris la fuite. On le croit sans peine.
Réfugiés sunnites sur les routes de Ramâdi à Baghdad.
En somme, nous avons là : un Etat irakien corrompu jusqu’à la moelle; des combattants théoriques qui ne combattront jamais, bien qu’on leur verse une solde; des forces paramilitaires dont on ne paie pas les salaires et dont on n’assure même pas l’intendance; des tribus sunnites qui seraient disposées à combattre l’EI comme elles ont combattu AQI en son temps (8) mais que l’Etat irakien rechigne à armer, de peur qu’elles ne se retournent contre lui voire qu’elles rejoignent l’EI – une telle défiance est-elle de nature à fidéliser ces tribus ? –; des milices chiites largement soutenues et coordonnées par l’Iran (9), qu’apparemment on arme, paie et nourrit à peu près correctement et qui, entre deux batailles, se filment en train de pratiquer les pires exactions contre les populations sunnites et publient sur Internet des vidéos aussi abominables que celles de Daesh…
Le projet français en Irak
Triste spectacle que tout cela, mais il ne faudrait pas éluder un aspect du problème: nous sommes impliqués, nous, occidentaux en général et Français en particulier. Nos armées agissent là-bas, effectuant des raids aériens, des missions de reconnaissance, des opérations spéciales, et dispensant des formations aux forces gouvernementales. Ces dernières bénéficient d’un afflux massif d’armement étranger. Quel contrat – au minimum moral – nous lie à l’Etat irakien ? Les Etats-Unis et l’Iran se livrent, dans la région, une concurrence d’influence bien visible tandis que l’Irak, comme pour en tirer profit, se montre fort chatouilleux sur la question de sa souveraineté (10). Voici l’orgueil retrouvé depuis l’été dernier, mais pour quels résultats ? En somme, l’on aide un Etat incompétent et corrompu au sein et en marge duquel évolue une mafia notoire. Cet Etat, bien qu’incapable de remettre dans l’ordre le puzzle sociétal irakien, ne manque pas une occasion d’attiser les concurrences régionales pour étayer des caprices d’enfant gâté. Et voilà que pour solde de tout compte, il cristallise sur le champ de bataille le catalogue de ses turpitudes sous la forme d’un nouveau désastre militaire venu nous rappeler qu’en un an, dans le fond, il n’a pas changé. N’oublions pas qu’il s’agit bien là de l’administration irakienne née de la guerre américaine de 2003, où Jacques Chirac avait refusé d’impliquer la France.
L’OTAN, dont la France a rejoint le commandement intégré en 2009 après quarante-trois ans passés en dehors, est officiellement sortie du conflit afghan. Cela aurait pu être l’occasion de livrer au débat public l’établissement d’un bilan. Celui d’une manière de faire la guerre et celui d’un certain atlantisme. Après tout, et même si on connaissait déjà un peu le sujet, on y a acquis une expérience de première bourre en termes d’assistance mal ficelée et horriblement coûteuse – tant en vies humaines qu’en argent – à un Etat tout entier livré à une corruption galopante. On aimerait que sur la scène politique, quelqu’un lance le débat, pose les questions structurantes. Par exemple, lutter CONTRE le terrorisme certes, mais surtout lutter POUR quoi ? Aider un Etat tiers certes, mais sur la base de quel contrat gagnant / gagnant ? S’allier avec d’autres nations occidentales, pourquoi pas, mais pour l’intérêt de qui, au détriment de qui, pour faire quoi et à quel prix ? Faire la guerre, why not, mais avec quels buts, pour réaliser quoi ? On en a déjà parlé sur Kurultay.fr : pour gagner une guerre, il est indispensable de savoir à quoi ressemblerait la victoire. On nous dit vouloir « éradiquer la menace jihadiste ». Certes. On y croit… Quel est le projet ? Que veut-on construire ? En passant aux yeux du monde pour les wagons d’un jeune pays d’outre-Atlantique trop puissant pour sa propre maturité, votre serviteur craint que notre vieil hexagone n’aille nulle part. Jean-Yves le Drian a affirmé plusieurs fois que la France est leader au Sahel tandis que les Etats-Unis le sont en Irak. Admettons. Pourquoi, alors, ne pas se concentrer sur le Sahel? Les USA seraient donc incapables de s’en sortir en Irak sans les douze chasseurs, l’unique AWACS et le non moins unique Atlantique 2 de l’opération Chammal (11) ? Certes pas. Il faut croire, alors, que la France a un projet irakien. L’exégète amateur est impatient d’enfin savoir le quel. Il cède donc volontiers la parole aux inspirateurs professionnels des saintes écritures de la République.
Jean-Marc LAFON
(1) L’emploi de l’acronyme « Daesh » (équivalent en arabe d’EIIL) a été reproché à l’auteur comme « péjoratif ». Le but ici n’étant pas de faire plaisir à quiconque, j’utiliserai à la fois EI (ça ennuiera ses ennemis) et Daesh (ça ennuiera ses partisans), pour être certain d’irriter le plus grand nombre. 🙂
(4) Définition selon Jean-Jacques URVOAS de quelqu’un qui se permet d’argumenter publiquement un avis opposé au sien: Urvoas défend son projet contre les « amateurs » Christine TREGUIER, Politis.fr http://www.politis.fr/Urvoas-defend-son-projet-contre,30769.html
(6) Outre les services chargés des missions classiques de police, cette administration rassemble, sous l’égide du ministère irakien de l’Intérieur, d’importantes forces paramilitaires dont il est en particulier question ici.
(7) Est-il farfelu d’imagier que L’EI puisse figurer parmi ceux qui tirent quelque argent de ce marché noir?
(8) Al Qaïda en Irak, l’ancienne « raison sociale » de ce qui est devenu l’Etat Islamique en Irak et au Levant.
(9) Au point qu’à force de se faire photographier à leurs côtés, le jusque là discret général iranien Qasem Soleimani, du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, est devenu une célébrité des réseaux sociaux…
(10) Ainsi le fait que l’Irak n’ait pas demandé l’aide de la coalition dirigée par les Etats-Unis lors des combats pour Tikrit n’avais pas manqué de soulever des interrogations…
Chasseur Rafale de l’opération Chammal, emportant 4 bombes à guidage laser, une nacelle de désignation DAMOCLES et 3 réservoirs supplémentaires de carburant (état-major des armées/ministère de la Défense)
L’info délivrée par les instances officielles: un besoin de décryptage
Chaque jour ou presque, l’US Central Command publie une liste des frappes aériennes menées en Irak et en Syrie contre l’Etat Islamique (EI) dans le cadre de l’operation Inherent Resolve. Il s’agit de l’énumération des actions lors desquelles un ou plusieurs appareils de la coalition ont délivré (1) un ou plusieurs armements sur une ou plusieurs cibles, dans des périmètres géographiques donnés. Voici à titre d’exemple une copie du communiqué du 29 janvier 2015.
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Difficile pour le public, en partant d’un tel document, de se figurer les effets réels de ces opérations sur l’Etat Islamique, ses infrastructures, ses capacités économiques et militaires, son assise politique. Pour s’en faire une idée et tâcher de modestement déterminer quelques liens de cause à effet, votre serviteur a travaillé selon plusieurs axes qu’il a ensuite fallu faire converger. Tout d’abord, des sources militaires ont bien voulu faire preuve de pédagogie à son endroit, tout en restant dans les limites de leur devoir de réserve et de confidentialité. Ensuite, le suivi quotidien de l’actualité « du terrain » fut — et demeure — un morceau de bravoure car les sources pullulent, mais la plupart sont partisanes. Il s’agit donc plus souvent de propagande que d’information objective. Une fois l’information recueillie, vient le temps de son traitement. Il faut alors opérer de fastidieux recoupements pour séparer le bon grain de l’ivraie, éliminer ce qui est faux, dépouiller ce qui est enjolivé. Qu’il soit entendu que les sources occidentales ou pro-occidentales, officielles ou non, ne sont pas nécessairement d’une fiabilité plus considérable que les autres.
Les buts et contraintes des belligérants
L’Etat Islamique administre un territoire, exploite ses ressources, commerce avec le monde extérieur. Et comme il s’est donné une vocation expansionniste, il doit pouvoir conduire des opérations militaires offensives pour conquérir de nouveaux territoires, et défensives pour les conserver.
Il a besoin de voies de communication praticables afin de pouvoir importer les denrées qu’il lui faut, exporter les produits de contrebande qui lui assurent des revenus, permettre les activités normales des populations (2) — agriculture, industrie, services, consommation — et enfin faire manœuvrer ses forces et les approvisionner en renforts, relèves et denrées nécessaires à la conduite des opérations. Il a besoin d’énergie — carburant, électricité. Il a besoin des infrastructures permettant l’extraction du pétrole brut. Il a besoin d’ateliers dédiés à la maintenance de son matériel militaire. Il a besoin de chefs politiques, et de cadres chargés de convertir les directives de ces derniers en actions. Il a besoin que tous les échelons — du politique à l’opérationnel sur le terrain — puissent s’échanger ordres et informations, si possible en temps réel. La liste n’est pas exhaustive mais embrasse l’essentiel du spectre.
La coalition, elle, doit perturber autant que possible le fonctionnement de la machine EI. Empêcher l’extraction du pétrole pour asphyxier économiquement l’EI. Eliminer les chefs et les cadres pour perturber la continuité politique. Priver les combattants de leur liberté de manœuvrer et de communiquer pour épuiser le potentiel offensif de l’EI. Enrayer le train de bataille qui achemine vivres, munitions, pièces, carburant, matériels et combattants là où ils sont nécessaires pour éroder l’efficacité tactique de l’EI sur le terrain. Nuire à la transmission des ordres et informations pour interdire la coordination d’opérations de grande envergure. Appuyer les acteurs au sol de la proxy-war (3) dans leurs opérations offensives ou défensives face à l’EI pour reprendre le contrôle des territoires tenus par ce dernier. Mais cela ne va pas sans contraintes.
Image du passé: des blindés de l’EI circulant ouvertement, impunément, groupés, par grand beau temps. C’était avant la menace aérienne.
Pour les adversaires des jihadistes, un enjeu considérable est d’éviter que les populations sunnites finissent par se reconnaitre massivement dans les revendications et méthodes de mouvements tels que l’EI ou Al Qaeda (4). Cela implique que l’on empêche autant que possible les frappes de tuer ou blesser des civils. Mais cela nécessite aussi d’éviter qu’elles portent atteinte à leurs conditions de vie en endommageant des infrastructures et des biens indispensables aux populations. Pour satisfaire à ces exigences, les forces répondent à des règles opérationnelles d’engagement (ROE) indexées au plan d’opération. Elles se présentent sous la forme d’un catalogue indiquant les conditions à réunir pour pouvoir « traiter » (5) une cible. Elles sont naturellement confidentielles, mais l’ennemi apprend à les connaitre à la lumière de l’expérience que vous lui avez donnée de vous-même en le frappant… ou non, justement. L’observateur lointain fait de même avec, il faut l’assumer, un certain degré d’imprécision qui doit incliner à l’humilité.
Sur quoi tirer? Sur quoi ne pas tirer?
Les détails des ROE de la coalition sont confidentiels, mais les grandes lignes en sont connues. Les militaires qui ont bien voulu m’en toucher trois mots ont cité les opérations aériennes israéliennes dévastatrices à Gaza lors de l’été 2014 comme l’exemple de ce que l’on veut éviter. S’agissant des personnels, véhicules, marchandises et équipements, n’est une cible que ce qui est formellement identifié, visuellement, comme ennemi et qui ne soit pas directement environné par des dommages collatéraux en puissance. S’agissant d’infrastructures et de bâtiments stratégiques, il n’est pas interdit de supposer qu’on préfère frapper de nuit, afin de limiter la probabilité de toucher des civils évoluant à proximité. Un moyen courant de procéder est le recours à un dispositif de désignation de cible, qui associe une caméra thermique à haute résolution et un émetteur de rayon laser permettant de guider l’armement. Ces équipements sont embarqués sous forme de nacelle par les avions de combat, et de « boule optronique » par les drones. Le document ci-dessous vise à vulgariser le concept pour les non-initiés.
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Le théâtre des opérations en Syrie et Irak présente des difficultés particulières pour les aviations occidentales si on le compare, par exemple, à ce qu’elles connurent en Libye en 2011. En Libye, certains secteurs, notamment au début du conflit, permettaient l’application de ROE très souples dans la mesure où l’adversaire désigné y possédait le monopole de certains moyens aisés à identifier — blindés, artillerie lourde, etc. Les combattants jihadistes, eux, font par exemple largement usage de véhicules fort courants dans ces contrées. Ainsi l’inconscient collectif associe volontiers les pickups Toyota aux jihadistes. Or, ces véhicules sont omniprésents dans presque tous les endroits du globe où le terrain est difficile, y compris et surtout aux mains de personnes pacifiques qui les emploient comme bêtes de somme dans le cadre d’activités professionnelles ou privées. De même, un camion ou un autocar civil non armé mais chargé de combattants, vu depuis 6.000 m d’altitude, même avec une belle résolution d’image, ressemble au même véhicule chargé d’ouvriers. Des ROE conservatrices conduiront à ne pas ouvrir le feu contre un tel but. Cela répond en grande partie à la question de savoir comment l’EI a pu continuer à assurer des relèves et à envoyer des renforts et du matériel à Kobané alors qu’avions de combat et drones veillaient au grain. Gageons aussi, et c’est là un exemple qui donne toute sa pertinence à la comparaison avec les ROE israéliennes à Gaza lors de l’été 2014, qu’une position d’artillerie établie à proximité immédiate d’une zone peuplée — cernant de plus en plus précisément les ROE de l’ennemi, l’EI s’y adapte — ne sera a priori pas traitée par l’aviation. Il serait toutefois naïf de croire que ces opérations aériennes ne font pas de dommages collatéraux. Les ONG comme l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme et Raqqa is Dying Silently sont formelles: les bombardements de la coalition font des victimes non belligérantes. On ne sait pas l’éviter et c’est un problème. Il importe également de noter que la couverture nuageuse prive l’aviation de son acuité visuelle, et l’on remarque un très net ralentissement du rythme des frappes quand la météo est défavorable. C’est logique quand les ROE exigent qu’une cible soit formellement confirmée hostile. Et quand il fait beau, il est désormais courant de voir les combattants de l’EI allumer des feux d’hydrocarbures et/ou de pneus pour générer une épaisse fumée qui handicape l’aviation.
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Enfin, l’un des exercices les plus exigeants dans le domaine de l’attaque au sol depuis les airs est l’appui tactique au profit des troupes au sol. Il exige rigueur, méthode et précision tant des aviateurs que des combattants au sol eux-mêmes. Or, le théâtre mésopotamien cumule certains facteurs lourdement limitants dans ce domaine crucial. Le premier tient au niveau de compétence en la matière des acteurs de la proxy-war : tant parmi les forces irakiennes de sécurité qu’au sein des diverses milices opposées à l’EI, nul ne présente une maîtrise du contrôle aérien avancé comparable à celle des opérateurs occidentaux spécialisés qui ont amplement maturé cette discipline en Afghanistan — sans pour autant que ça les ait rendus infaillibles dans l’exercice de cet art difficile.
Le deuxième facteur limitant, et non des moindres, est une certaine similitude de matériels entre l’EI et ses opposants, notamment en Irak. Humvee, MRAP et autres véhicules occidentaux équipent massivement l’armée irakienne, mais aussi l’EI qui a fait main basse dessus lors de ses conquêtes fulgurantes de l’été 2014, et certaines milices qui se sont également servies au passage. Quand, en pleine bataille à Baiji, deux bombes alliées coup sur coup tombent sur les forces de sécurité irakiennes, les effets cumulés d’un guidage déficient et d’une identification visuelle compliquée ne sont sans doute pas loin (cf vidéo ci-dessous, vers 2 min 00).
Qu’est-ce qui a changé depuis le début des frappes?
La tendance nette qui se dégage depuis que les opérations aériennes suivent leur rythme de croisière, c’est que l’EI ne parvient plus guère à avancer de manière substantielle, comme il a pu le faire jusqu’à l’été 2014. La coordination d’imposantes offensives terrestres nécessite un trafic radio intense qui attire l’attention des moyens de surveillance électronique, et que les armées modernes savent localiser. La mise en mouvement de nombreux jihadistes accompagnés de véhicules de combat et d’un train de bataille abondant offrirait en outre une cible trop aisée aux aviateurs. Le suivi des opérations semble montrer que les manœuvres de grande ampleur sont désormais limitées en temps et en distance, et se tiennent dans le cadre de contre-attaques parfois extrêmement violentes et efficaces mais sans commune mesure avec les offensives éclair qui ont vu la débâcle des forces de sécurité irakiennes à l’été 2014. C’est une évidence: quand on n’était pas soumis à la menace aérienne et qu’on le devient, on s’adapte et on change de modes opératoires car le contraire serait stupide. Or, les coordinateurs militaires de l’EI ne sont pas stupides.
Si l’EI ne conquiert plus guère, ce qui est stratégiquement fort ennuyeux pour une organisation qui s’est donné une vocation expansionniste, il reste toutefois redoutable dans d’autres domaines. Ses coups de main limités mais violents contre des postes frontière jordaniens et saoudiens (6), impliquant de longues distances parcourues sur route à travers le désert sans être inquiété par l’aviation, démontrent que les aéronefs de la coalition ne peuvent être partout, que l’EI sait déplacer de petites forces de raid correctement camouflées — passant sans doute pour du trafic civil — et que la sécurisation des frontières saoudienne et jordanienne ne sera possible qu’après avoir dégagé les bords de l’Euphrate, où les jihadistes sont désormais solidement implantés et d’où il essaiment pour inquiéter les Etats voisins.
Autre domaine d’excellence de l’EI, son aptitude à défendre ses possessions peut poser de sérieux problèmes. Si l’aviation a pu contribuer à évincer les jihadistes de Kobané, d’autres secteurs urbains comme par exemple Baiji, en Irak, sont le théâtre de contre-attaques furieuses et souvent couronnées de succès chaque fois qu’une parcelle de territoire a pu être récupérée par les forces irakiennes de sécurité. A voir Kobané après la bataille, et étant entendu que tarir les flux logistiques de l’EI semble impossible via les ROE actuelles, il semble que pour chasser l’EI d’une grosse agglomération, il faille infliger à celle-ci des destructions monstrueuses. Sinistre perspective. A noter également qu’en recherchant le combat d’extrême proximité avec l’ennemi en milieu urbain, l’EI empêche l’action de l’aviation en soutien direct. La probabilité de tir fratricide est alors trop élevée, et la décision de délivrer l’armement ne peut être prise.
Février 1943: le drapeau soviétique flotte sur Stalingrad libérée mais… en ruines. Les combats acharnés de Kobané et l’état dans lequel ils ont laissé la ville ont incliné certains à faire le parallèle avec Stalingrad. Dans quel état seront les autres grandes villes tenues par l’EI après leur « libération »? Et dans quelles dispositions seront les populations?
La victoire est-elle possible?
Le général français Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, a plusieurs fois affirmé que la victoire contre l’EI ne faisait pas de doute, dans la mesure où sa liberté de manœuvrer et de communiquer se trouve sévèrement mise à mal par les forces de la coalition et leurs alliés au sol. Mais lui-même et tous les responsables crédibles qui se sont exprimés sur la question ont également dit et répété que ce serait long (7). A voir le califat de Raqqa désormais contraint à une posture globalement défensive — hormis les quelques raids dont nous parlions ci-dessus — alors que sa vocation affirmée est l’expansion, il est permis de croire qu’à force de patience et d’obstination, il sera possible de le vaincre, tout au moins en Syrie et en Irak. Mais pour quelle victoire, acquise à quel prix?
Les opérations sont financièrement onéreuses, et à voir la situation depuis le Yémen jusqu’au Mali, il faut se poser la question de la capacité occidentale d’ubiquité à long terme pour faire face à une multiplication des foyers jihadistes: cette capacité décroit d’année en année pour des raisons principalement économiques. De plus, la proxy-war met en scène des acteurs nombreux et différents, dont chacun poursuit des buts souvent en contradiction avec ceux des autres et avec les nôtres. Certains de ces partenaires horripilent les populations sunnites avec lesquelles, doux euphémisme, ils ne sont pas tendres. Il faudra de la patience et le sens du long terme pour venir à bout de l’EI. Mais si tout ce temps passé à souffrir pousse les populations sunnites dans les bras d’autres mouvances jihadistes, ce sera une victoire à la Pyrrhus. D’autant que gérer les mouvances chiites, kurdes, alaouites et autres qui auront « gagné » pour nous la guerre au sol risque de causer des migraines carabinées dans les chancelleries occidentales. Ce ne sont d’ailleurs pas des acteurs désormais décomplexés comme la Turquie, l’Egypte, l’Iran et les monarchies de la région qui rendront le syndrome moins douloureux.
Jean-Marc LAFON
(1) « Délivrer » un armement: terme militaire exprimant le fait d’envoyer, larguer, tirer un armement (bombe, missile…) sur une cible.
(2) Totalitaire ou pas, l’EI a besoin de la population de ses territoires. Il y trouve de la main d’œuvre, mais aussi l’assise territoriale de sa légitimité politique.
(3) Proxy war: guerre par procuration, définie par Oxford Dictionaries comme une guerre initiée par une grande puissance sans qu’elle s’y implique directement. En l’occurrence, ce sont les combats au sol contre l’EI qui sont parfois ainsi désignés, puisque les puissances de la coalition n’y participent pas.
(4) La déclinaison locale d’al Qaeda en Syrie est le front al Nusra, qui a récemment fait l’objet d’un billet dans le présent blog : http://kurultay.fr/blog/?p=68 Al Qaeda Irak est devenu Etat Islamique en Irak, puis l’Etat Islamique en Irak et en Syrie que nous connaissons aujourd’hui et qui s’est détourné d’al Qaeda.
(5) Traiter [une cible] : en langage militaire, mettre en œuvre les mesures directes nécessaires à la destruction d’une cible. Il s’agit le plus souvent d’appliquer des feux, de délivrer de l’armement. Cf (2).
(6) Le général saoudien Oudah al-Belawi a ainsi été tué lors d’une de ces attaques, début janvier 2015 à Suweif, poste frontière au nord de la ville saoudienne d’Arar: www.telegraph.co.uk
(7) Cité dans un Article de Michel Cabirol pour la Tribune, latribune.frilsarticle du 21/11/2014 : « La lutte sera longue et il faudra gérer au mieux la pression du temps court, dans nos sociétés actuelles qui exigeront des résultats rapides »
Guerre en Syrie et Irak: physionomie du terrain
Le web et la presse fourmillent de cartes illustrant les zones « contrôlées », « possédées », « tenues » par telle ou telle faction. Un exemple criant est le foisonnement de cartes montrant, telle une gangrène rongeant une jambe, la « progression » de l’Etat Islamique sur de vastes périmètres de territoire syrien et irakien. Si vous le voulez bien, nous allons aujourd’hui nous projeter un peu sur le terrain pour mieux appréhender cette notion de « contrôle » de zone.
Un périmètre que l’on « tient », qu’est-ce que ça signifie ? Disons qu’à minima, en situation de conflit, il s’agit, pour un belligérant, de se trouver établi quelque part — d’y être présent physiquement donc — et d’y maintenir certaines conditions :
que la probabilité d’atteinte à ses personnels et matériels par un ennemi y soit minime ;
que ses flux logistiques y soient sécurisés envers les initiatives adverses ;
que ses forces y bénéficient d’une large liberté de manœuvre et d’initiative ;
qu’il y rende la liberté de manœuvre d’un ennemi nulle ou très risquée.
Passons maintenant à l’observation de la carte. Voyons, par exemple, les périmètres du territoire syrien supposés être sous le contrôle de l’Etat Islamique en novembre 2014 selon la page Wikipédia dédiée à cette organisation : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_islamique_(organisation) . Pour éviter d’alourdir le présent billet, nous nous focaliserons sur la Syrie, étant entendu que le problème est le même en Irak. Superposons la carte présentée par Wikipédia — conforme à des dizaines d’autres mondialement diffusées — et une vue satellite de la Syrie (Google Earth).
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Maintenant, passons à la vue satellite dépouillée.
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Comme vous pouvez le constater, il y a du jaune, du vert, et du vert pâle. Le décryptage est aisé : les zones vertes sont fertiles et humides, et ce n’est pas un hasard si elles sont principalement situées le long des cours et étendues d’eau. Les zones jaunes, c’est le désert syrien, une vaste étendue aride parsemée de pierres tranchantes et grosses mangeuses de pneus. Le vert pâle, ce sont les périmètres intermédiaires, souvent menacés par la désertification. Vous voyez donc que la Syrie est une vaste étendue aride agrémentée de quelques maigres zones fertiles et hospitalières.
J’ai placé ci-dessus un repère rouge vers Deir Ezzor, sur les rives du fleuve Euphrate. Zoomons donc sur ce repère, via la vue ci-dessous.
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On voit là l’Euphrate, les zones cultivées, l’agglomération de Deir Ezzor et le réseau routier qui la dessert. Puis, à l’Est, sec, aride, le désert. Une image valant mieux qu’un discours, voici à quoi il ressemble.
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Austère, n’est-ce pas? Et tout à fait idéal pour se faire repérer par les aéronefs de la coalition, de jour comme de nuit, avec ou sans camouflage puisqu’ils disposent de senseurs thermiques et de radars air-sol. Rappelons que cet environnement est redoutable pour les véhicules et leurs pneumatiques, et qu’on y roule à un train de sénateur.
Continuons les investigations en étudiant une de ces grosses taches menaçantes sur la carte, réputées « zones EI ». Ci-dessous, le sud-ouest de Deir Ezzor, avec, toujours en rouge, le périmètre réputé aux mains de l’EI. Et 200 km de désert conforme à la photo ci-dessus…
En jaune, l’unique route du secteur, reliant Deir Ezzor à Palmyre
Interprétation de la carte: l’EI tiendrait le secteur sur une profondeur de 200 km en partant de l’Euphrate. Il tiendrait tout sauf la route et Palmyre. Mais dans le mot « tout », à part des cailloux et du sable, qu’y a-t-il? Des pipelines que la coalition s’est empressée de rendre inaptes à leur fonction quand ils profitaient à l’EI, et deux petits champs d’extraction au sort incertain, mais que le régime a probablement cessé d’exploiter faute de pouvoir les sécuriser. Voici à titre indicatif une carte sommaire des ressources fossiles, pipelines et gazoducs.
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Les seules choses intéressantes qu’il reste à contrôler dans le secteur sont donc la route et Palmyre, que l’EI ne tient pas puisqu’elles sont aux mains du régime. Vous pouvez conclure sans risque d’erreur que l’EI ne tient rien dans cette grosse tache rouge en plein désert… Le régime de Bachar al Assad non plus, ni aucune faction rebelle. De telles zones inhospitalières sont le plus souvent délaissées car inexploitables à quelque fin que ce soit. En novembre 2014, j’envisageais plutôt la carte de l’EI en Syrie comme suit:
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D’autres, plus portés sur un travail de cartographie de longue haleine, auront matière à critiquer sur tel ou tel détail et je les écouterai respectueusement. Mais la situation de novembre dernier n’est pas le problème de fond. Le propos est ici de rappeler que la carte doit traduire les contraintes du terrain. L’EI, comme tout belligérant compétent, cherche à contrôler aussi rigoureusement que possible les routes, les cours d’eau et les ressources. La zone grise décrite ci-dessus est a priori moins vertigineuse, en termes de surface « couverte » par l’EI, que l’énorme tache rouge dont Wikipédia et de nombreux médias ont repeint le désert syrien. Mais qu’on ne s’y trompe pas. L’EI contrôle le cours de l’Euphrate jusqu’aux environs directs de Bagdad, celui du Tigre jusqu’à Mossul, des ressources fossiles encore conséquentes, et on ne devrait pas avoir besoin de renverser un pot de peinture sur une carte pour expliquer ça à ses lecteurs. A propos, voici un lien vers un travail du New York Times, dont la documentation cartographique me semble tout à fait crédible à défaut d’être spectaculaire: http://www.nytimes.com/interactive/2014/06/12/world/middleeast/the-iraq-isis-conflict-in-maps-photos-and-video.html?_r=0
Ce billet n’a pas l’ambition de vous livrer sur le ton du scoop l’ensemble des positions de combats de l’EI. Son but est juste d’inviter le lecteur à valider les cartes qui lui sont proposées en allant jeter un œil curieux sur des outils tels Google Maps et Google Earth. Si vous vous piquez au jeu, vous apprendrez à aimer aussi Wikimapia, très utile quand l’actualité traite de zones urbaines comme c’est le cas à Kobané ou Mossul par exemple.
Jean-Marc LAFON
PS: ne le dites à personne mais ça marche aussi avec l’Ukraine… 😉
« Les Français jihadistes » de David Thomson
Le phénomène des Français partis faire le jihad a suscité un choc quand, fin 2014, l’opinion publique hexagonale a découvert qu’un Normand converti avait non seulement rejoint les rangs de l’Etat Islamique, mais qu’en plus il avait participé, en tant que bourreau, à une vidéo mettant en scène la décapitation d’un groupe de prisonniers syriens.
L’intéressé n’était pas issu de l’immigration, ne vivait pas dans une banlieue sordide, n’a pas été délaissé par des parents démissionnaires, n’était pas analphabète, ni délinquant, ni chômeur de longue durée… Les idées reçues étaient mises à mal. Et l’on découvrit qu’il n’était pas unique en son genre quand un combattant syrien de l’EI participant à la même vidéo fut confondu avec un autre Français, lui aussi combattant du califat de Raqqa. David Thomson, auteur du livre dont il est question ici, fut alors, si ma mémoire est bonne, le premier à remarquer qu’on se trompait de bonhomme. Le jihadiste de la vidéo avait les yeux bruns. Le Français pour qui on le prenait les avait clairs. Quand tout le monde vibrionnait, David Thomson a tout simplement regardé, puis dit ce qu’il avait vu.
C’est cette approche qui fait tout l’intérêt du livre. Hors du tumulte de l’actualité brûlante et des ses émotions désordonnées, l’auteur ne se pose ni en avocat, ni en procureur. Avec recul, il a observé, consigné puis raconté, sans manières mais avec pudeur, le parcours de ces Français, le plus souvent très jeunes, partis donner leur vie à Allah avec une ambition au-dessus de tout: le martyre. Des gens à peu près comme tout le monde. Leur petite histoire, pas spécialement exceptionnelle. Le concours de circonstances, le virage qui les a conduits dans cette voie. Tout simplement. Sans chercher à condamner ni à promouvoir leur démarche. Ce livre est un constat. Il est factuel.
« Les Français jihadistes » est un ouvrage très accessible, qui se lit d’une traite. Oserai-je dire « presque comme un roman »… Quand on referme ce livre, on n’a pas réponse à tout, et c’est aussi cela qui le rend crédible. Mais on a découvert beaucoup de choses, jeté aux orties pas mal d’idées reçues, et on se pose enfin les bonnes questions sur ce qu’il reste à apprendre.
Quelques exemplaires n’ont pas encore été vendus. Et une réédition est dans les tuyaux. Ca tombe bien car il serait dommage de s’en passer.
Jean-Marc LAFON
Etat Islamique et Stratégie
« De la guerre », par Carl von CLAUSEWITZ
En préambule, pour se mettre sur la même longueur d’ondes, entendons-nous sur une acception commune du terme « stratégie ». Voyons-y, pour une grande entité humaine, le fait de se donner des buts politiques essentiels puis, pour les atteindre malgré les obstacles, d’optimiser et coordonner l’ensemble de ses moyens. La stratégie est constituée des réponses à quelques questions clefs. Quel état final recherché ? Pour l’atteindre, quel cadre éthique ? Quels moyens et méthodes ? Quels sacrifices ? La stratégie, dans notre contexte mondialisé, est un art hautement politique où le domaine militaire est un outil parmi tous les autres disponibles dans l’atelier.
Lors d’échanges sur les réseaux sociaux, la question de la stratégie de l’Etat Islamique en Irak et au Levant est parfois abordée. Je choque souvent en affirmant que l’EI est pourvu d’une stratégie parfaitement nette qu’il ne perd jamais de vue, là où bien des Etats ont laissé leur vision stratégique se flouter à force de ne plus appréhender que le court terme politique. Un argument que l’on m’oppose avec récurrence est : « se mettre tout le monde à dos n’est pas une stratégie valide ». Et pourtant…
L’EI a ceci de nouveau que 1) il a fondé un Etat en s’emparant d’un territoire, de ses ressources, administrant l’un tout en exploitant les autres et 2) il s’est donné dès le départ une vocation expansionniste sans limite, ni dans l’espace, ni dans le temps. La conjonction du 1 et du 2 n’était pas arrivée de mémoire de chef d’Etat quinquagénaire. Les territoires et les ressources dont bénéficie l’EI ne pouvaient être pris que par la force à leurs précédents propriétaires. L’expansion est obtenue par la guerre. Elle est le fruit de la victoire militaire. Ou des allégeances nouvelles, mais on ne prête allégeance qu’aux forts. La guerre est un passage obligatoire pour l’EI. Le jihad en l’occurrence. Son but politique est le califat global sous le régime de la charia. Une vision de long terme, irréalisable pacifiquement.
Alors « se mettre tout le monde à dos », est-ce une stratégie valide ? A mon humble avis, la question ne se pose pas en ces termes. La vraie question serait plutôt de savoir si ce fameux « tout le monde » est en mesure de détruire le califat de Raqqa. De le priver de son sol, de ses ressources, et de militants assez nombreux, motivés et organisés pour remettre le couvert ailleurs. En Libye post-BHL par exemple. Qu’on me pardonne de remuer le couteau dans la plaie, mais les talibans afghans figurent moins que jamais dans la liste des espèces menacées, et je vois mal pourquoi l’EI y entrerait avant eux. Or, il est une contrainte à laquelle même les plus grands conquérants ont dû se plier : ce que tu ne peux détruire, tu devras un jour négocier avec. Demandez à l’oncle Sam et aux frères Castro…
Sur le terrain, qu’avons-nous pour détruire l’EI, et éviter de devoir négocier avec lui un jour ? Des Kurdes, des Alaouites, des Chiites, qui se battent pour atteindre leurs objectifs respectifs, pas les nôtres. Il y a également des soldats de divers horizons à qui il manque une excellente raison de mourir. Car pour faire un vrai soldat, il faut un consentement au sacrifice suprême — et on ne l’obtient pas sans bonnes raisons. Enfin, nous avons des « modérés » dont beaucoup refusent qu’on les qualifie de tels, et dont la « modération » se résume souvent à n’être estampillés ni EI, ni Al Qaeda. Certains ont d’ailleurs tendance à prêter allégeance à l’EI quand leurs intérêts le nécessitent. Sinon, nous avons des avions, mais déjà que d’en bas on ne voit pas tout, alors si l’on n’est présent qu’en haut…
Si l’occidental a les chronomètres, le jihadiste a le temps. Or, si les dynamiques actuelles ne sont pas inversées, le temps nous mène vers une Syrie à trois axes forts : Assad, et les deux structures jihadistes pourvues d’une stratégie digne de ce nom: Jabhat al Nosra (Al Qaeda) et l’Etat Islamique. Ailleurs, la meilleure défense de l’EI est l’attaque. Il attaque en Irak et se renforce dans ses bastions syriens tout en négociant régulièrement de nouvelles allégeances de groupes rivaux. Les territoires irakiens sont la variable territoriale, où le jeu de certaines tribus sunnites peut rendre très long le processus de neutralisation de l’EI. Nous verrons ce qu’il adviendra en Jordanie et Arabie Saoudite. Pendant ce temps, l’EI progresse en Libye via ceux qui lui ont prêté allégeance. Sans doute une future menace solide de la bande sahélienne et du Maghreb, sans parler du Sinaï, du Caucase et de maints foyers en Asie. Alors, la guerre, combien de temps, et pour quels résultats ? Pour donner l’échelle, « notre » guerre en Afghanistan a démarré dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001. Et les Etats-Unis négocient désormais avec les talibans, faute d’avoir pu monter une coalition assez cohérente pour ramener la guerre à ce qu’elle est dans le fond : un acte visant une finalité politique identique pour tous les « alliés ».
La guerre en Afghanistan n’est pas gagnée, pour bonne partie faute d’un but clairement défini et communément admis. Détruire les talibans ? Foutaise. Détruire la corruption ? Foutaise (bis). Quoi d’autre ? Pas tous en même temps SVP. Et les but de la guerre contre l’EI, quels sont-ils ? J’entends ici et là « détruire Daesh ». Ah OK… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, sauf à envoyer les politiciens occidentaux en exil sur la lune et à les remplacer par des techniciens sachant se passer des conseils de philosophes entartés ou d’anthropologues du fait religieux (à tes souhaits), je crains fort que sur le terrain de la stratégie d’Etat, la critique des USA et de leurs alliés, y compris la France, soit plus urgente que celle de l’EI. L’invincibilité n’existe pas. L’incompétence, si. N’étant spécialiste de rien, je ne poserai pas de diagnostic. Mais je me permets quelques questions et j’invite le lecteur à en faire autant.
Jean-Marc LAFON
Le jour d’après l’assassinat d’Hervé GOURDEL
Daesh, l’Etat islamique, le califat, appelez-le comme vous voudrez, est en guerre. Et sa manière de la livrer montre qu’il a compris les aspects fondamentaux du concept « guerre ». Et nous ?
Il est intéressant de noter que les médias français ont, pour nommer ce qui est arrivé au malheureux Hervé GOURDEL, majoritairement abandonné le terme « exécution », trop souvent usité pour parler des mises à mort d’otages étrangers, adoptant celui, certainement plus approprié, d’ « assassinat ». Ca ne nous ramènera pas la victime de cet acte odieux, mais il est sain qu’on appelle enfin un chat un chat. Ceci étant, parmi ces mots dont on cerne parfois mal la portée, il est un leitmotiv délivré, parfois avec emphase et comme en 14, par les éditorialistes en ce triste matin du 25 septembre 2014 : la « guerre ». Certes. Mais encore ?
C’est pour le passionné de stratégie presque un poncif : Clausewitz disait de la guerre qu’elle était une façon de faire de la politique par d’autres moyens. En somme, le principe est simple : dans un cadre politique, on a un objectif, et la volonté d’atteindre cet objectif. Mais quelqu’un voit cet objectif politique menacer ses propres intérêts, et donc il s’y oppose. Si cette opposition de volontés ne peut se résoudre par la négociation, elle changera de registre. Et c’est l’outil militaire qui devra permettre d’atteindre l’objectif politique en réduisant la partie adverse de sorte qu’elle ne puisse plus s’y opposer. L’opposition des volontés devient violente au sens littéral du terme. Voilà la théorie.
Voyons, dans la pratique, comment Daesh met en œuvre ces principes fondamentaux. L’état final recherché est éminemment politique : le califat islamique global dominant l’ensemble du monde selon les termes de la loi islamique. Mais cela n’est possible qu’en s’en donnant les moyens, en mettant un pied devant l’autre pour ainsi dire. Là sont les objectifs politiques actuels de Daesh : 1) contrôler un territoire pour en exploiter les ressources et y baser le noyau politique, économique et militaire du jihad ; 2) réussir une véritable OPA sur l’activisme fondamentaliste musulman sunnite à travers le monde en vue d’une démarche globale et unifiée. Le 1) a été en partie réalisé, par la voie des armes, sur de vastes portions de territoire syrien et iraquien d’où Daesh se livre à une lucrative contrebande de pétrole. Le 2) est en cours de réalisation, à travers un usage professionnel et stratégique de la communication comme un puissant outil de recrutement, y compris via la « ringardisation » d’entités préexistantes comme Al Qaïda.
Tâchons maintenant d’examiner la démarche que les occidentaux donnent à voir au monde à l’occasion de la crise actuelle, initiée par l’offensive audacieuse de Daesh en Irak. Dans un premier temps, l’arme de communication massive de Daesh a semé l’effroi à travers le monde en mettant en scène le sort peu enviable que cette entité réserve à ses ennemis. Dans un second temps, Barack OBAMA a ouvertement pris le parti de l’Irak et des Kurdes d’Irak — montrant là toute la souplesse de ses adducteurs — contre Daesh, en n’omettant pas de préciser qu’il n’avait pas de stratégie. Est-ce par mimétisme qu’aujourd’hui François HOLLANDE annonce, plusieurs jours après avoir débuté l’opération militaire française contre Daesh, qu’il réunit un conseil de défense pour en définir les objectifs — ce qui sous-tend qu’on a démarré une opération sans objectif ? Enfin, clou du spectacle : les occidentaux jurent leurs grands dieux qu’ils n’enverront pas de troupes au sol, annonçant ainsi à leur ennemi les limites de l’opération qu’ils ont lancée sans objectif ni stratégie.
Prenons garde car les faits sont têtus. Nous avons vu que l’un des fondements absolus de la guerre est qu’elle sert à poursuivre un objectif politique. Mais un autre aspect fondamental de la chose s’impose à toute volonté : quand on ne peut pas détruire un ennemi, il faut tôt ou tard négocier avec lui. C’est précisément ce qui est en train de se passer en coulisses avec les talibans afghans que les occidentaux n’ont pas pu détruire. A quoi ressemblerait, dans les têtes des dirigeants occidentaux, la victoire dans la guerre que l’on a d’ores et déjà commencé à mener contre Daesh ? Je les soupçonne fortement de n’en avoir aucune idée,. Si l’on ignore ce que serait la victoire, comment voudrait-on pouvoir gagner la guerre ? Les instituts de sondage interrogent le bon peuple, lui demandant s’il est d’accord avec la guerre contre Daesh, et le bon peuple leur répond oui. La guerre contre qui, on sait. Mais à celui qui demande « la guerre pour faire quoi ? », on ne répond que par des généralités à base de lutte contre la barbarie ou pour les grands principes. Reste qu’une guerre avec des cibles mais sans objectif, sans état final recherché, n’est pas une guerre. C’est une gesticulation militaire. Or, on ne gagne pas une gesticulation. Pas plus d’ailleurs qu’une crise. Mais on peut y perdre gros.
Aujourd’hui, on prétend armer des combattants kurdes et des groupes d’opposition syriens dits « modérés ». Exprimé en termes plus triviaux, on entend leur faire faire ce que les anglo-saxons appellent « commit the dying ». C’est-à-dire qu’on voudrait qu’ils aillent se faire tuer à la place de ceux de nos braves p’tits gars qui seraient tombés au champ d’honneur si nous les avions envoyés faire leur métier de guerriers face aux activistes de Daesh. C’est oublier un peu vite que ces combattants kurdes, chiites, sunnites, yazidis, baasistes ou encore chrétiens, que pas grand-chose n’unit et que parfois tout oppose, luttent les armes à la main pour leurs objectifs à eux, qu’ils n’ont pas oublié de définir avant de mettre leur peau à l’autre bout de leurs principes. Pas pour les nôtres, quand bien même n’en aurions-nous pas. C’est là que toute alliance trouve ses limites.
Des centaines de jeunes occidentaux, y compris des femmes, ont pris le parti de Daesh au point d’aller grossir ses rangs sur le théâtre de ses opérations. Peut-être que la perspective d’une grande aventure pour une cause aux contours bien nets y est pour quelque chose. Quand des jeunes gens s’ennuient à mourir dans un environnement débilitant, de telles perspectives les attirent parfois. Et je doute que la cacophonie politique et la gesticulation militaire soient de nature à rendre la civilisation occidentale plus « sexy » aux yeux de cette frange de notre population dont on devrait peut-être gagner la considération en même temps qu’on lui confisque son passeport. Ma foi, quitte à ce qu’ils restent, autant que ce soit dans un état d’esprit au moins pacifique. Car enfin, quid de l’évitement d’un front intérieur à notre guerre sans buts ? C’est là aussi un enjeu qui pourrait préoccuper ceux qui se chargent, du moins on l’espère, de définir enfin les objectifs de la confrontation violente de volontés que, parait-il, l’on a déjà commencé à conduire contre Daesh.
Alors ? La guerre pour faire quoi ? Comme les têtes n’ont pas fini de tomber, il serait élégant que ce ne soit pas pour rien. Car à errer sans but sur les sentiers de la guerre, on y devient vite le faire-valoir de ses ennemis.