Le jour d’après la tuerie de Charlie Hebdo
Les fidèles de ce blog l’auront tout de suite vu: c’est mon deuxième « le jour d’après » en à peine plus de trois mois. Le précédent était le jour d’après l’assassinat d’Hervé Gourdel…
Il est un temps pour l’émotion, déclinée selon les sensibilités de chacun. Le deuil en somme. Mais votre serviteur est convaincu qu’un devoir citoyen fondamental est d’ouvrir dès que possible le temps de la réflexion. Et si on pensait, un peu ? Dans le conflit qui s’est décliné hier sur notre territoire national, le citoyen est acteur. D’une part parce qu’on lui tire dessus en fonction de ce qu’il dit ou pense. D’autre part parce c’est le citoyen que l’adversaire veut influencer afin de s’imposer. L’adversaire porte des coups réfléchis. La réplique, pour être efficace, doit être tout autant réfléchie, voire plus. Il me semble donc urgent, pour pouvoir penser droit, de se débarrasser de quelques habitudes conditionnées, bien ancrées mais totalement contreproductives et qui obscurcissent le jugement.
Clamer que ces gens-là sont des fous. Il est certes confortable de le penser. Mais non, non, et non. Halte à la psychiatrisation des conflits. Il n’y a pas de folie djihadiste. Les victimes de pathologies mentales ne s’agglomèrent pas pour développer et exercer, ensemble, dans un cadre opérationnel structuré, leurs compétences de fantassins, artilleurs, transmetteurs, artificiers, bourreaux, communicants, interprètes, etc. Rejeter notre système de valeurs, en adopter un autre — en l’occurrence une certaine interprétation de l’Islam — et s’y conformer, ce n’est pas de la folie. C’est un choix. Et de vous à moi, Al Qaeda, par exemple, n’est plus un perdreau de l’année depuis belle lurette. Ces gens savent « être et durer », c’est un signe évident de bonne santé mentale. Ils veulent imposer leur vision de la charia, vous ne voulez pas, vous les bombardez, ils vous tuent, le décor est campé : c’est une opposition violente de volontés. La définition même de la guerre…
Psalmodier : mais que fait la police ? Quel laxisme ! Ca aussi, c’est une pensée prémâchée, confortable en cela qu’elle fait croire qu’il y a des solutions faciles aux problèmes. Peut-être un peu trop faciles pour être honnêtes, d’ailleurs. Scoop : il n’y a jamais d’attentats en Corée du Nord. Eh oui, les droits individuels induisent des risques collectifs. Or, la tentation est grande de « bricoler ». Si l’on jetait toutes les expressions numériques de nos vies privées en pâture à de savants algorithmes à l’usage des « services », la DGSI pourrait cueillir les djihadistes au saut du berceau et on les coffrerait à vie au terme d’un procès d’intention en référé. Ah, qu’il serait sécurisant de sentir le souffle chaud de Big Brother dans sa nuque H 24, J 365. Un peu de sérieux, que Diable ! Certes, s’ils ont attaqué Charlie Hebdo, c’est qu’on n’a pas su les en empêcher. Mais enfin, à la guerre, quand on prend un coup, c’est avant tout parce que l’ennemi est déterminé à l’asséner. Pourra-t-on éviter toutes les attaques ? On s’en épargnera certaines, c’est sûr. La plupart, peut-être. Mais toutes, non.
Adopter quelques bons réflexes permet à la pensée individuelle et collective de s’épanouir. Ainsi, on évitera de relayer des balivernes qui font de l’ignorance un mal plus contagieux qu’Ebola : on ne chope pas Ebola à travers un écran. Mais on y chope l’intox… Un exemple tout simple : merci de ne plus diffuser des citations du coran ou des hadiths si vous n’avez pas lu la mouture officielle au préalable. On trouve sur le net des locutions inventées de toutes pièces, des textes tronqués dont on a délibérément détourné le sens mais que de braves bougres de bonne foi ventilent à tour de bras, tout un tissu de sornettes employé aussi bien pour promouvoir maladroitement l’Islam que pour le condamner à bon compte.
Ceci étant posé, je ne vais pas me permettre de vous dire ce que vous devez penser. Je préfère vous livrer les axes de ma propre réflexion. Et le faire au fil du temps, car ceci est un blog, pas un bouquin monolithique en dix volumes. Vous en ferez ce que vous voudrez, car c’est aussi ça, la liberté : choisir ce qu’on lit, décider d’y adhérer ou non, et passer la vraie vie au tamis de son propre sens critique au lieu d’acheter les pensées toutes faites du voisin.
Je conclurai donc aujourd’hui sur la réflexion suivante, à moi rien qu’à moi. Les gens qui ont tué froidement, posément, méthodiquement leurs congénères dans les locaux de Charlie Hebdo l’ont fait pour générer de l’effet politique. C’est à ça que servent les guerres. Il ne s’agit pas, ici, d’être fairplay mais de vaincre. Cela s’applique aux deux camps. Si l’on estime être leur adversaire, la première chose à faire est de ne pas réagir comme ils le souhaitent, car les tripes produisent rarement de bonnes idées, si vous voyez ce que je veux dire. Ne pas se laisser conduire là où l’adversaire veut que l’on aille. Ne pas délaisser ces valeurs d’équité qui l’enragent et dont il cherche justement à nous éloigner. Et enfin mettre les pensées en ordre pour produire, individuellement puis collectivement, l’effet inverse à celui souhaité par l’ennemi. Ils veulent diviser pour régner. Les suivrons-nous ? Ceux qui font le jihad avec un clavier cherchent, via les réseaux sociaux, à alarmer les musulmans à propos d’hypothétiques actes massifs de violence à leur encontre qui, selon eux, seraient imminents. Si certains excités, au sein de la communauté nationale, offrent sur un plateau à l’ennemi les erreurs qu’il attend de nous, on pourra non seulement se poser des questions sur leur compte, mais aussi commencer à y répondre. My two cents, comme disait Richard III à Louis XVIII.
Jean-Marc LAFON