Alep: le choix du déshonneur

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Alep, le 24 septembre 2016.

Alep, le 24 septembre 2016. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs »?

Alep, 1,7 million d’habitants avant la guerre, chef-lieu du gouvernorat le plus peuplé de Syrie, est coupée en deux. La partie occidentale est sous le contrôle des forces de Damas, tandis que la partie orientale, assiégée, est tenue par des factions rebelles, parmi lesquelles des mouvements jihadistes comme Jabhat Fath al-Sham. Depuis la fin précipitée de la dernière « trêve » en date, le 19 septembre 2016, les forces aériennes syriennes, mais aussi et surtout russes, bombardent Alep Est jour et nuit, avec la dernière violence. Des bombes perforantes BeTab-500, conçues pour pénétrer profondément avant d’exploser, abattent des blocs d’immeubles entiers. Des armes incendiaires chargées de compositions aluminothermiques – plus efficaces encore que le phosphore quand il s’agit d’allumer des foyers – pleuvent sur des quartiers résidentiels. De façon récurrente, manifestement délibérée et de mieux en mieux documentée, marchés, hôpitaux et services de secours sont les cibles de frappes aériennes sélectives. Pays occidentaux et ONU dénoncent, déplorent, se lamentent, mais assistent à ce massacre organisé, empêtrés dans une coupable impuissance. Ceux qui ont l’âge de se souvenir de la bataille de Sarajevo et de l’infâme massacre de Srebrenica sont désormais familiers de la chose. Au sein des classes politiques et opinions publiques occidentales, ce type de drame est de plus en plus perçu comme une fatalité, d’autant que la fuite par la bonne excuse est de loin l’exercice le plus confortable quand on se trouve confronté à ses propres devoirs. Nous tenterons ici un panorama, non exhaustif mais critique, des poncifs, banalités, prétextes à bon marché et autres calembredaines que les horreurs d’Alep inspirent à une très vieille civilisation qui, de Sarajevo à Grozny et de Hanoï à Alep, n’apprend plus rien de ses propres errements et se déshonore face à des défis pourtant existentiels.

La situation actuelle à Alep, coupée en deux. Crédits: voir image

La situation actuelle à Alep, coupée en deux. Crédit: syria.liveuamap.com

L’éthique et l’honneur, c’est hors sujet. C’est la guerre, mon vieux!

Bien sûr, la phrase émane généralement de quelqu’un dont la rencontre la plus directe avec la guerre a été le visionnage de Black Hawk Down, une bière dans une main et une poignée de chips dans l’autre. L’éthique n’est pas une considération dégoulinante de bisounours. C’est le système immunitaire d’une civilisation, ni plus, ni moins. C’est le tissu de principes fondamentaux sur quoi se fondent les lois régissant la coexistence des personnes. C’est ce qui règle l’équilibre des droits et des devoirs. Excusez du peu. L’éthique, c’est justement le patrimoine pour lequel on fait la guerre quand il est mis en danger. Se prétendre une civilisation et n’être pas fichu de faire prévaloir ses principes fondamentaux quand on a la haute main sur les institutions internationales, voilà le pire des messages. Surtout quand il a pu advenir dans un passé récent que l’on déboule, toutes divisions blindées dehors, sans avoir été invité et sous de faux prétextes, sur le territoire d’Etats souverains que l’on a mis sens dessus dessous, et qui vont aujourd’hui fort mal. On passe finalement pour ce que l’on est: un ramassis de beaux parleurs capables des pires compromissions, toujours prompts à brandir de grands principes, mais prêts à les violer sous le moindre prétexte et enclins aux démissions les plus lâches dès le premier souffle de vent contraire. Se jouer commodément des valeurs morales dont on se réclame, c’est à la fois ce qui incline les autres à nous haïr et ce qui fonde certains de nos propres concitoyens, jeunes et moins jeunes, à se détourner de valeurs vertueuses que l’on a corrompues en les couvrant du masque de l’hypocrisie. Le discrédit moral ouvre la porte à tous les extrémismes, parmi lesquels le « jihadisme » est loin d’être le seul à engranger des partisans. A choisir le déshonneur pour éviter la guerre, on obtient les deux, ainsi que le professait Winston Churchill au lendemain des accords de Munich.

Les rebelles font pareil!

Intéressant argument, d’autant qu’un civil n’est pas plus ou moins mort selon qui l’a tué. Seulement, il se trouve que n’ayant pas d’aviation, les rebelles font nettement moins de dégâts. Il se trouve également, et si, ça compte, qu’aucun mouvement rebelle n’est membre permanent du conseil de sécurité des Nations-Unies. Par ailleurs, n’oublions pas que l’argumentaire de Moscou et de Damas dépeint les rebelles comme des terroristes sanguinaires face auxquels il faudrait défendre la civilisation. Il s’agit donc de nous expliquer que ces terroristes ayant, par sauvagerie, mis le pied dedans, ça justifie que l’on y mette aussi les mains au nom de la civilisation. Bravo et merci d’être passés.

La coalition dirigée par les Etats-Unis fait pareil!

Ici, deux principes doivent prévaloir. Le premier veut que la liberté d’expression n’implique pas le devoir sacré de dire n’importe quoi. En l’occurrence, il n’y a pas de politique de ciblage délibéré des infrastructures et populations civiles par la coalition. Il n’est pas prévu de destruction systématique d’hôpitaux et de marchés. Il n’y a pas de « deuxième couche » passée délibérément afin de trucider les primo-intervenants des services de secours. Le deuxième principe est que l’intention compte. Car oui, des civils sont tués par les bombardements occidentaux. Mais pour horrible que cela soit quand ça a le malheur d’arriver, soyons factuels: il faut être malhonnête, stupide ou bien les deux pour ne pas comprendre qu’à effort militaire égal, quand on fait tout pour tuer des innocents, on le fait beaucoup plus efficacement que si, au contraire, on essaie d’éviter les drames. Outre la dimension morale, l’intention ou non de tuer des innocents se traduit aussi à travers le nombre d’innocents que l’on tue.

Bombes à sous-munitions incendiaires RBK-500 ZAB 2.5SM sous un Sukhoï Su-34 russe sur la base aérienne de Hmeimim en Syrie. Crédit photo: RT (chaîne de télévision russe, ex-Russia Today).

Bombes à sous-munitions incendiaires RBK-500 ZAB 2.5SM sous un Sukhoï Su-34 russe sur la base aérienne de Hmeimim en Syrie. Ces armes, souvent prises pour des bombes au phosphore blanc, exploitent le procédé aluminothermique pour allumer des incendies. Crédit photo: RT (chaîne de télévision russe, ex-Russia Today).

C’est la guerre, mon vieux! On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs!

On ne fait pas non plus d’omelette en bombardant le poulailler, la ferme et tout le canton. Alors bien sûr, la bière à la main, Black Hawk Down en pause et des chips plein la bouche, on va vous délivrer un cour magistral sur les bombardements de Dresde, Hiroshima et Nagasaki, en joignant le geste à l’haleine. On oubliera, par exemple, que les bombardements nucléaires ont visé, de la part d’un vainqueur certain, à faire flancher une autorité politique unique et clairement identifiée avant d’avoir à débarquer de vive force sur le sol japonais. L’opposition syrienne, elle, est largement morcelée, et le puzzle de potentats qu’est devenu le régime de Bachar al-Assad n’est ni un vainqueur certain, ni, à lui seul, une entité de gouvernement crédible. On ne se rappellera pas qu’après que six-cent-mille Allemands furent tués par les bombes alliées, des millions d’autres mutilés ou déplacés, pas l’ombre d’un soulèvement n’a menacé les autorités hitlériennes.  On ignorera complètement qu’en Allemagne, deux types de bombardements ont été opérés. Premièrement, les tapis de bombes délibérément déroulés sur les populations civiles – stratégie privilégiée par la Grande Bretagne, à la quelle les forces US ont adhéré ponctuellement, et Dresde en fut un sinistre exemple. Deuxièmement, les attaques se voulant « de précision », qui visaient l’infrastructure militaro-industrielle, et que, d’une manière générale, privilégiaient les Etats-Unis. Dans les deux cas, les populations subissaient d’horribles conséquences. Dans le premier, c’était purement intentionnel. Dans le deuxième, c’était un effet des limites de la précision de bombardements conduits dans des conditions difficiles, à huit-mille mètres d’altitude, avec des dispositifs de conduite de tir encore sommaires. La capacité et la volonté allemandes de livrer bataille ne furent pas entamées par la tragédie sanglante des tapis de bombes. En revanche, la destruction systématique des forces aériennes allemandes, les campagnes de bombardements « de précision » visant la production de roulement à billes, d’hélices, de pneus, de moteurs, posèrent des problèmes majeurs. Albert Speer, ministre allemand de l’armement, le confirma d’ailleurs après guerre. Nous ne pouvons, à ce sujet, qu’encourager le lecteur à prendre connaissance, par exemple, du livre Foudre et Dévastation: les bombardements alliés sur l’Allemagne 1942 – 1945 de Randall Hansen. Attirons l’attention sur le fait qu’il n’y a pas de Luftwaffe à détruire à Alep, pas plus que d’industrie lourde. Par ailleurs, les bombardements alliés contraignirent l’Allemagne à détourner d’importantes ressources pour produire et employer une DCA pléthorique. Là encore, rien de tel à Alep. L’anéantissement de Dresde en trois jours n’a pas vaincu l’Allemagne nazie. Mais le martyre sans fin d’Alep, de ses civils, de ses marchés, de ses hôpitaux, de ses services de secours, sur fond d’atermoiements des pays occidentaux, incline un nombre croissant de victimes harassées depuis quatre ans à considérer que les jihadistes sont la seule carte valant qu’on la joue.

Mais vous en avez de bonnes! Que pourrait-on faire?

Commencer par régler le problème de la coalition dirigée par nos alliés saoudiens, dont l’aviation se livre, au Yémen, à des méfaits qui ne sont ni plus ni moins que l’équivalent des atrocités des forces aériennes russes en Syrie. Quand la Russie a joint sa puissance de feu à celle de l’aviation syrienne pour délivrer des frappes de terreur sur des hôpitaux, des marchés et des écoles, l’Arabie Saoudite en faisait autant depuis quelque temps déjà au Yémen. La communauté internationale s’est fichue des atrocités saoudiennes au Yémen comme d’une guigne – et ça dure. Les faits étaient pourtant largement documentés. La lâcheté a continué de prévaloir quand Moscou a adopté une stratégie similaire en Syrie, sans nul doute encouragé par la léthargie coupable qui avait accompagné les méfaits saoudiens. La question saoudienne prise en compte, fixer à Moscou et Damas des lignes rouges et sévir vraiment si elles sont franchies. Les petits démissionnaires de service prétendent que tout cela est impossible car nous avons besoin de l’argent de Riyad et des amabilités de Moscou. Mais les faits sont têtus. L’économie russe est à la peine, c’est d’ailleurs presque un euphémisme. L’Arabie Saoudite, elle, fait des coupes claires dans ses budgets, réduit le traitement de ses ministres et de ses fonctionnaires, et affiche un déficit record de 100 milliards de $. Il y a des points douloureux sur lesquels appuyer. Alors bien sûr, c’est risqué. Oui, ça peut faire mal économiquement, politiquement, et même plus. Oui, il y a de l’argent français en Russie et en Arabie Saoudite. Oui, certaines banques pourraient ne pas s’en remettre. Mais à en croire Mario Draghi, il y en a trop. Et après tout, il parait qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, n’est-ce pas? Evidemment, quand le ton monte, ça peut déraper militairement. Mais si l’on est prêt à donner son âme et les parties les plus intimes de son anatomie pour éviter à tout prix un échange de baffes, on se condamne à subir sans fin la volonté de ceux pour qui la prise de risque fait partie de la stratégie.

Mais au fait, que veulent Damas et Moscou à Alep?

Une issue semblable à celle de Daraya ou de Muadamiyat al-Sham où, après un siège interminable et un écrasement systématique, des accords de cessez-le-feu et d’évacuation des ruines par les rebelles et la population ont été négociés directement entre les groupes combattants et le régime, sans qu’aucune des deux parties ne s’embarrasse d’inviter les Nations Unies – ce qui donne une idée assez précise de l’utilité que les belligérants prêtent au « Machin » cher au général de Gaulle. Nul doute que le lecteur sera intéressé d’apprendre que les combattants, leurs proches et leurs sympathisants qui ont quitté Daraya et Mudamiyat se sont, aux termes des accords passés avec les forces pro-Assad, rendus dans le gouvernorat d’Idlib, dans les secteurs tenus par Jaysh al-Fath, la coalition rebelle animée par le mouvement jihadiste Jabhat Fath al-Sham. Mais ça, gageons que les tenants du « Assad, notre rempart contre le terrorisme » le savaient déjà…

Et maintenant? « Mais tremblez pas comme ça, ça fait de la mousse! »

Robert Lamoureux incarnant le colonel Blanchet dans « Mais où est donc passée la 7e compagnie? »

En Syrie, aujourd’hui, tandis que l’Etat islamique recule très progressivement, un grand groupe jihadiste nommé Jabhat al-Nusra a fait mine de se séparer d’al-Qaeda pour devenir « Jabhat Fath al-Sham » (JFS). Le but est d’initier un processus de fusion des mouvements rebelles autour des principes fondateurs de la salafiya jihadiya. L’ambition de JFS n’est pas de prendre le contrôle de la rébellion mais de la modeler. Même remarque à propos de la société syrienne. JFS entend la modeler pour la rendre encline à adopter de son plein gré le mode de vie professé par la salafiya jihadiya. C’est là le fameux – fumeux? – « jihad national » dont il y a fort à parier que le caractère purement local n’est qu’une étape transitoire. La guerre, l’horreur au quotidien et l’hypocrisie des grandes puissances face aux exactions de certains sont des leviers formidables pour attirer les populations vers une offre morale alternative. En ne faisant rien, nous créons les conditions pour que les enfants d’Alep qui survivront à l’horreur deviennent nos ennemis les plus déterminés, les plus farouches, formés par de vieux briscards du jihad. Et pour que, chez nous, de plus en plus de jeunes gens, peu enclins à adopter un système de valeurs piloté par des veules pour des lâches, embrassent la cause du jihad et nous en fassent pâtir pendant de longues années encore. Face à ces pressions dont nous encourageons les causes, la crispation de nos sociétés ira croissant, alimentant les peurs, les haines, et le cortège d’extrémismes qui, en se développant, porteront en terre un modèle existentiel mort de s’être cru invulnérable. Le courage a certes un prix. Mais il reste plus accessible que celui de la lâcheté.

JM LAFON

A propos Jean-Marc Lafon

Cofondateur du think-tank Action Résilience. Fondateur et webmaster de Kurultay.fr. Observateur des mouvements jihadistes, du terrorisme et des conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient et en Afrique. Veille et analyse. Audit et consulting en prévention des tensions politiques, religieuses et de la radicalisation. Spectateur engagé (clin d’œil à Raymond Aron) du cours des planètes en général, et de la nôtre en particulier. Twitter: @JM_Lafon
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16 réponses à Alep: le choix du déshonneur

  1. Jeff dit :

    Bonjour,

    Merci Monsieur Lafon et bonnes pistes de réflexion sur ces drames qui secouent le Proche Orient.

    Je me permet de soulever différents points d’ordre général:

    1)  » On ne se rappellera pas qu’après que six-cent-mille Allemands furent tués par les bombes alliées, des millions d’autres mutilés ou déplacés, pas l’ombre d’un soulèvement n’a menacé les autorités hitlériennes. » & « La guerre, l’horreur au quotidien et l’hypocrisie des grandes puissances face aux exactions de certains sont des leviers formidables pour attirer les populations vers une offre morale alternative. »
    -> Il n’y pas eu de soulèvement contre le régime nazi, mais il n’y en a pas eu non plus contre l’occupation des Alliés, le « Loup-Garou » ayant fait pchit !
    C’est en grande partie, la reconstruction immédiate des infrastructures qui a permis de contenir les velléités belliqueuse de la population allemande d’après guerre.
    Moralité, on peut beaucoup et aveuglément détruire et tuer, mais pour assurer la paix, il faut prévoir un budget de reconstruction des dizaines de fois plus important que celui alloué aux combats.

    2) « Et après tout, il parait qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, n’est-ce pas? Evidemment, quand le ton monte, ça peut déraper militairement. »
    -> jusqu’à quel niveau accepte-t-on que cela dérape ? Si on n’a pas répondu à cette question au préalable, il est inutile de se lancer dans de multiples bras de fer!

    En souhaitant d’avoir d’autres postes de cette qualité de votre part (et surtout que ces horreurs cessent, du moins temporairement).
    Meilleures salutations à vous.

    Jeff

    • Bonsoir et merci pour votre commentaire.

      J’aurais plutôt tendance à penser qu’avant de se demander jusqu’où on est prêt à ce que ça dérape, on devrait commencer par s’interroger sur le seuil à partir duquel on encourt une menace existentielle. Et si l’on s’accorde un peu de recul, j’ai peur que ce ne soit déjà le cas depuis quelques années.

      JML

  2. Carl dit :

    Bonjour,

    Je fais très certainement partie des personnes n’ayant d’autre expérience de la guerre que le visionnage de Black Hawk Down (très bon film cela dit !), ce qui ne m’empêche pas de vous lire avec intérêt.
    A mon sens, si vos propos sonnent justes sur de nombreux points : désintérêt complet pour le Yémen, lâcheté de nos dirigeants, bombardements des hôpitaux, il reste cependant quelques questions : vous parlez des pertes civiles mais, sachant la violence de Damas et Moscou, pourquoi ces civils restent-ils dans les quartiers rebelles où ils sont à peu près certains d’être bombardés ?
    Il y a quelques semaines, lors de l’assaut sur Fallouja, j’ai lu cette information passée inaperçue qui m’a donné à réfléchir : des milliers de civils quittaient la ville avant l’attaque ; pourquoi ces civils ne fuyaient-ils que maintenant, si ce n’est que jusque-là ils étaient tout à fait satisfait du gouvernement de l’Etat Islamique qui contrôlait Fallouja ?
    Je demande cela parce que la bataille de Mossoul approche, qui sera un véritable bain de sang, et les mêmes questions reviendront : doit-on rester les bras croisés si les civils sont utilisés comme boucliers humains ? Si Mossoul comme Raqqa comptent leur lot d’opposants – forcément clandestins – à l’Etat Islamique, les habitants ne sont-ils pas en grande partie d’ardents soutiens de l’E.I ? Et à partir de là, à chacun d’assumer ses choix…

    • Bonsoir et merci pour votre commentaire.

      Au sujet de ce qui fait que des gens restent, je vous suggère la lecture de cet article, qui date de mai dernier.
      « The question is – who has stayed in this city, which is quite possibly « the worst place in the world » right now, and why? »

      A propos de Fallouja, de Mossoul et de l’EI, quelques éclaircissements sont nécessaire. Il y a eu une longue rétention des civils à Fallouja. Et ils ont été laissés libres de sortir alors que de furieuses attaques aériennes étaient en cours. J’attire en outre votre attention sur le fait que ces populations qui ont fui Fallouja ont été prises en compte par les autorités irakiennes de manière presque aussi déficiente que la fois précédente, en 2004. C’était leur adresser un bien vilain message…

      Pour ce qui est du « soutien des populations civiles » à l’EI, il faut bien se rendre compte qu’elles en ont vu d’autres, et qu’avant de soutenir telle ou telle autorité, ce qu’elles demandent, c’est qu’on les laisse vivre et travailler, qu’on leur distribue l’électricité, l’eau courante et autres services fondamentaux dans des conditions acceptables et, autant que possible, qu’on s’abstienne de les persécuter et de s’engraisser minablement à leurs dépens. L’EI n’est pas forcément si soutenu que cela. On vit avec, et sur certains aspects, son administration vaut, voire surpasse, celle qu’il y avait avant. C’est en cela qu’il y a un vrai enjeu politique qui passera par le tissu tribal et la prise en compte des besoins fondamentaux des populations. Si l’on jette un œil à la manière dont la coalition occidentale a procuré un essor délirant à la corruption en Afghanistan, par exemple, j’espère qu’un retour d’expérience solide a été fait et qu’il en sera tenu compte en Irak.

      Quant à la question des boucliers humains, je crains qu’il n’y ait pas de réponse toute faite. Entre massacrer des civils sur fond de bonnes excuses et s’interdire toute action, il y a un curseur à positionner, c’est une lourde responsabilité, et si la critique est aisée, il est clair que l’art est difficile.

      JML

  3. ids dit :

    Seule la victoire est belle!
    et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu de photos « gore » après les attentats de Nice ou du Bataclan que vous ne pourriez pas réfléchir un peu à ce qui se passe chez nous.
    « il vaut mieux essayer d’humaniser la paix que d’essayer d’humaniser la guerre « Paul Bonnecarrère.

    • « Seule la victoire est belle ». Si votre idée de la victoire a l’apparence d’un émirat islamique à nos portes, je comprends votre optimisme à défaut de le partager.
      JML

      • Jeff dit :

        Bonjour,

        Je choisi ces instants où Alep vacille, pour vous réponde très en retard.
        Il existe une ironie majeur , que ni les partisans d’Assad chez nous, ni les partisans de l’intervention pour sauver les civils, ne souhaite énoncer:
        Quel que soit le résultat de la bataille/boucherie d’Alep, il y aura un Emirat Islamique en Syrie, que NOUS DEVRONS COMBATTRE !!!!

        En effet, à ce jour:
        1) la population sunnite est DEJA radicalisé, et nous (les occidentaux) en veux déjà!!
        De plus, vu la faiblesse des forces de Bachar sans l’appui extérieur, revenir à la situation d’avant 2011, où le pays était tenu d’une main de fer, est à mon avis illusoire. Il se passera en Syrie la même chose qu’en Iraq. C’est à dire, la transformation de la rébellion sunnite en un mouvement clandestin jihadiste, qui reprendra tout le terrain perdu au moindre signe de faiblesse! Nous ne seront pas à l’abri du retour de bâton terroriste chez nous!
        2) La rébellion étant déjà largement à composante « non démocratique », les courant djihadistes locaux, occuperont majoritairement le pouvoir s’ils gagnent contre le Régime. Cela engendrera des massacres de minorités et surtout autant d’insécurité chez nous que dans le cas numéro 1!

        C’est un point de vue extrême, mais pour moi, la situation au Proche-Orient est FOUTUE!
        Nous sommes condamné à la « Guerre des Civilisations » à coups d’attentats sur notre sol et d’interventions militaires, pendant 20 à 50 ans. Non pas que l’Oumma se range derrière les Jihadistes (ce ne sera pas le cas) mais que ceux-ci accroitrons leur influence Quelque Soit les actions que nous entreprendrons.

        J’ai déjà lu: le jihadisme est un symptôme des erreurs occidentales vis à vis des populations, pas une maladie.
        Ce qui est FAUX: la vitesse du développement du jihadisme est un symptôme des erreurs occidentales vis à vis des populations. Le jihadisme en lui-même est une maladie et s’il se renforce avec nos stupidités, comme vous le faite remarquer, il n’a aucunement besoin de l’impérialisme occidental pour exister!

        Sur ces considérations cyniques, permettez mois de vous souhaiter une bonne journée, ainsi qu’à tout vos lecteurs.

        Jeff

  4. JF Floch dit :

    Bonjour Jean-Marc,

    Je suis un habitué de tes interventions sur Twitter.
    J’ai une certaine connaissance des populations du Moyen Orient que j’aime beaucoup et suis à la fois lucide et déterminé à ne jamais accepter l’immobilisme très Occidental.
    J’ai passé ma vie à réaliser des choses que l’on m’avait déclarer impossibles et à retourner des situations improbables.
    Je crois donc fermement à l’action.
    Le plus gros problème de l’Occident est de loin sa lâcheté institutionnalisée… et très répandue dans la population.
    C’est pas possible étant la phrase la plus usité par nos concitoyens.

    Une fois cette vérité dite, qui aura la lucidité (je ne parle plus de courage, mais bien de lucidité) de mettre au pas l’Arabie Saudite, le Quatar et surtout la Turquie de notre bien aimé dictateur Erdogan ?
    Car si on veut combattre – arme à la main s’il le faut, la dictature de la famille (et du clan) Assad, il faut aussi détruire ces groupes djihadistes qui sont le vrai problème de demain (demain c’est par optimisme).
    Il est « facile » de détruire un Etat, car il est localisé, il est beaucoup plus complexe de détruire un mouvement, car il n’a pas de frontière.

    Putin est audacieux (opportuniste) mais aussi lucide, si on lui oppose une résistance ferme et une solution acceptable pour la place de la Russie dans le monde, il fera en sorte de trouver une solution rapide à la fin du reine des Assad.

    Il n’est pas si difficile de mettre l’Arabie Saoudite, le Quatar et la Turquie au pas… et de gérer la position de la Russie… il faut juste des hommes politiques et des peuples courageux et lucides… et être un exemple… l’Occident ne l’est plus depuis fort longtemps.

    Sur ton analyse, juste un petit passage qui ne colle pas avec ce que mon père a « vécu » durant la guerre 39/45. Pour lui, les Anglais prenaient des risques énormes pour « poser » leurs bombes sur la cible alors que les Américains « lâchaient » leurs tonnes de bombes aux hasard en essayant de ne pas se mettre en danger. Mais c’est vrai, c’est ce que les Anglais et les Américains ont fait en France et non ce qu’ils ont fait en Allemagne.

    Bonne continuation à toi,

    JF

    • Bonjour et merci pour ce commentaire.

      Le but de mon allusion aux bombardements britanniques ne visait ni à nier que la RAF ait souvent fait des efforts (et les ait payés cher) pour mettre ses coups au but en non pas partout autour. Pas plus d’ailleurs qu’à nier que les Américains aient effectué des bombardements visant les populations: épisodiquement en Allemagne et systématiquement au Japon. Mon propos ne vise en fait, très spécifiquement, que la campagne britannique de bombardement stratégique en Allemagne (et pas ailleurs), consécutive à la directive émise par l’Air Ministry le 14 février 1942:
      « Bombings are to be focused on the morale of the enemy civilian population and in particular of the industrial workers. »
      Le chef d’état-major de l’Air, Sir Charles Portal, clarifia la directive dès le lendemain par une communication complémentaire:
      « Ref the bombing directive: I suppose it is clear that the aiming points are to be built up areas, not, for instance, the dockyards, factories… This must be made quite clear if it’ is not already understood ».
      Il s’agissait de raids massifs de nuit sur les concentrations urbaines, combinant des bombes explosives et incendiaires. Par exemple l’opération Gomorrah, qui tua plus de 42.000 personnes à Hambourg, en blessa 37.000 et raya pratiquement la ville de la carte.

      JML

      • JF Floch dit :

        Merci pour ta réponse.
        En effet cette stratégie de « vengeance » (aussi « légitime » soit-elle si cette notion a un sens) n’a jamais fait basculer une guerre.

  5. JF Floch dit :

    il fallait lire « règne des Assad » et non reine !!!

  6. Florian dit :

    Personne n’a de vision à long terme dans ce dossier. De plus, l’opinion Syrienne est très éclatée…

  7. Francis Marliere dit :

    Bonjour M. Lafon,

    lecteur régulier de Kurultay, je saisis l’occasion pour vous remercier et vous féliciter pour la qualité de votre blog.

    Je comprends votre colère face au drame que vivent les habitants d’Alep, mais moins bien l’objet de cet article. Je ne vois pas bien contre qui votre colère est dirigée (les citoyens ? les gouvernants ?), et ne suis pas bien sur non plus de comprendre les solutions que vous proposez. Quelles pression la France pourrait-elle effectuer sur les belligérants (Arabie Saoudite, Qatar et Turquie d’un côté, Russie et clan(s) Assad de l’autre) ?

    N’étant pas un expert de la chose militaire (je n’ai même pas vu Black Hawk Down), je peux me tromper, mais ma perception des évènements actuels est que la France n’a plus aucune influence au Moyen-Orient. Sans politique ni stratégie claire autre que la prise de postures « humanitaro-droits-de-l’hommistes » (qui plus est à géométrie variable), sans outil militaire crédible, comment la France pourrait-elle peser sur le sort d’Alep ?

    Je ne saisis pas bien à quoi des pressions, si elles étaient possibles, sur l’Arabie Saoudite ou la Turquie pourraient-elles alléger le sort d’Alep. A ma connaissance, ces pays soutiennent les combattants (islamistes) assiégés, pas les assiégeants.

    Je conçois également mal quelles pressions la France pourrait exercer sur la Russie et la Syrie. La Russie s’est engagée fortement en Syrie pour défendre des intérêts qu’elle juge – à tort ou à raison – essentiels. Les Etats-Unis, pour qui l’abaissement de la Russie est une priorité stratégique, constatent leur impuissance à contrer les Russes sur ce théâtre. Qu’est-ce que la France pourrait faire de plus ?

    Sauf erreur de ma part, vous soulignez la perte de contrôle du clan Assad sur ses propres troupes (je cite vos propos sur le site du colonel Goya : « ce que l’on appelle de manière générique « le régime », « les loyalistes » ou « les pro-Assad » est devenu une mosaïque de petits potentats inféodés à des intérêts divers: locaux, étrangers, financiers etc. Ce n’est plus une force unifiée capable de gouverner la Syrie. »). Comment, sur qui, dans cette situation, faire pression pour lever le siège d’Alep ?

    Cordialement,

    Francis Marliere

    • Bonjour,

      L’objet n’est pas tant ici d’exprimer ma colère dont, soyons réalistes, personne n’a grand-chose à faire – et c’est bien normal. Non, il s’agit plutôt de contrer des vues de l’esprit trop souvent conçues comme des évidences, dans un contexte où la mollesse, la non-politique et la non-responsabilité laissent le champ libre aux trolls, entre deux éléments de langage officiels. L’ennui étant qu’à la longue, les faits sont perçus à travers un prisme fantaisiste quoique relativement confortable.

      Pour ce qui est de la cible de mes griefs, ce n’est bien sûr pas la France seule, mais plutôt le pseudo bloc occidental qui accompagne en louvoyant les atermoiements des Etats-Unis. Il y aurait beaucoup à dire du penchant démissionnaire de pays comme le nôtre, à un moment de l’Histoire où être les alliés des Etats-Unis ne devrait pas nous empêcher de mesurer le delta qui sépare nos intérêts des leurs. La construction européenne aurait peut-être un profil plus opérationnel si elle s’appuyait un peu plus sur ce besoin stratégique et un peu moins sur l’envie pathologique d’entretenir un biotope technocratique de bons copains.

      Sur qui faire pression? Sur ceux qui poussent l’enfer à nos portes tellement fort qu’il commence à les franchir vraiment. Je rejoins à ce titre la conclusion de cette tribune de Bruno Tertrais: http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2016/10/04/alep-syrie-tertrais-onu-16915.html

      Bien à vous,
      Jean-Marc Lafon

  8. Francis Marliere dit :

    Bonjour M. Lafon, et merci de votre réponse.
    J’ai relevé dans la tribune de M. Tertrais un point de vue surprenant : « contrairement à un discours souvent entendu en France, la rébellion non-djihadiste n’est pas morte ». Je dis surprenant car j’ai le sentiment que ceux qui pensent qu’il n’y a pas ou plus de rébellion non-djihadiste (je pense à des blogs comme la voie de l’épée ou aboudjafar) sont à la fois minoritaires et plutôt pertinents. Quelle est votre position sur la question ?

    Cordialement,

    Francis Marliere

    • La rébellion non-jihadiste n’est pas morte, mais elle ne pourra pas résister à tout cela bien longtemps encore. Notez au passage que « non jihadiste » ne signifie pas forcément « démocratique ». Il est important de le souligner. Ceci dit, la dynamique aujourd’hui bien lancée soumet cette opposition non-jihadiste à des pressions croissantes. Il y a déjà le problème du rapport de force: al-Nusra (aujourd’hui Fath al-Sham) a fait usage de la force contre le mouvement Hazm, le « front Sud » de l’ASL, la division 13 (de l’ASL également), Faylaq al-Rahman… Sans parler des menaces et contraintes en tous genres. Il y a en outre la question de l’attrait de cette opposition non jihadiste auprès des futurs combattants. Plus la guerre dure, et plus elle s’enfonce dans la cruauté, plus les extrémistes attirent les candidats au combat. Au détriment des formations moins extrêmes.
      JML

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