Fallait-il tuer Abu Faraj al-Masri?

image_pdfimage_print
Ahmed Salama Mabrouk, alias Abu Faraj al-Masri, membre du conseil de la Shura de Jabhat Fath al-Sham, tué par un drone américain le 3 octobre 2016

Ahmed Salama Mabrouk, alias Abu Faraj al-Masri, membre du conseil de la Shura de Jabhat Fath al-Sham, tué par un drone américain le 3 octobre 2016

Un vétéran du jihad mondial

Ahmed Salama Mabrouk, alias Abu Faraj al-Masri, était membre du conseil de la Shura de Jabhat Fath al-Sham, anciennement Jabhat al-Nusra. Cet Egyptien de 59 ans était un vieux briscard du jihad mondial. Proche d’un autre jihadiste égyptien illustre, le successeur d’Oussama Ben Laden Ayman al-Zawahiri, il fut, comme lui, inquiété suite à l’assassinat du président égyptien Sadate en 1979, ce qui lui valut une peine de sept ans de prison. Le 28 juillet 2016, quand l’émir de Jabhat al-Nusra, Abu Muhammad al-Joulani, annonça la mutation de l’organisation en Jabhat Fath al-Sham, rompant ainsi, soi-disant, ses liens avec Al-Qaeda, Abu Faraj al-Masri se tenait, face à la caméra, à la droite de son leader. Cet évènement avait été traité dans les colonnes de Kurultay.fr dans un précédent billet, publié en août 2016. Le 3 octobre 2016 en tout début de matinée, la voiture qui transportait le vétéran égyptien était atteinte par un missile tiré depuis un drone dans le secteur de Jisr al-Shughur, à l’ouest d’Idlib, chef-lieu du gouvernorat éponyme. Abu Faraj est décédé peu après. Dans la journée, le département d’Etat US confirmait à Reuters que la frappe avait bien été menée par les Etats-Unis. Abu Faraj al-Masri n’est pas le premier cadre historique d’Al-Qaeda tué par une « frappe ciblée » américaine. Il n’est pas non plus le premier membre du réseau ainsi visé en Syrie. Mais sa mort survient à un moment charnière. Et il est peut-être opportun de s’interroger sur les conséquences possibles, voire indésirables, de l’opération qui l’a tué.

Le 28 juillet 2016, Abu Muhammad al-Jolani, au centre, annonce la fondation de Jabhat Fath al-Sham, soi-disant hors du giron d'Al-Qaeda. Il est flanqué d'Abu Faraj al-Masri, ici cerclé de rouge, et d'Abu Abdullah al-Shami, juge de la charia.

Le 28 juillet 2016, Abu Muhammad al-Joulani, au centre, annonce la fondation de Jabhat Fath al-Sham, soi-disant hors du giron d’Al-Qaeda. Il est flanqué d’Abu Faraj al-Masri, ici cerclé de rouge, et d’Abu Abdullah al-Shami, juge de la charia.

Le contexte: Alep – entre autres – martyrisée

Ces derniers jours, la bataille d’Alep a vu s’intensifier les attaques aériennes massives conduites par la Russie et les forces syriennes fidèles à Bachar al-Assad sur la partie orientale de la ville, tenue par les rebelles et assiégée par la partie adverse. Cette campagne de bombardements, menée à grands renforts d’armes incendiaires, de barils d’explosifs et de bombes perforantes, vise délibérément les infrastructures civiles les plus importantes, comme les hôpitaux, et touche très durement la population, à laquelle elle inflige des pertes considérables et des conditions de vie au-delà de ce qui est descriptible. Outre les habitants d’Alep, ceux d’autres régions de Syrie, souvent soumis à des restrictions sévères, voire à des bombardements du même ordre, assistent à la destruction progressive des quartiers alépins qui tenaient encore debout. Ils observent en direct la souffrance de leurs compatriotes, la destruction de leur pays et la passivité de la communauté internationale. Inutile de préciser que parmi ceux-là, peu sont acquis à la cause de Bachar al-Assad, et que Vladimir Poutine ne compte pas parmi eux ses plus fervents soutiens. C’est de ces populations que sont issus les combattants des groupes armés de l’opposition syrienne.

«Gagner les cœurs et les esprits»

Jabhat Fath al-Sham, n’ayant pas les effectifs nécessaires pour y prétendre, ne cherche pas à prendre, à proprement parler, le contrôle de la Syrie ni de son insurrection. Il cherche à les modeler, de sorte que la population et les groupes armés se trouvent, tôt ou tard, naturellement enclins à souhaiter le mode de gouvernance que promeut l’organisation: un émirat islamique auquel la charia tiendrait lieu de constitution. Et ce dans le cadre de la salafiya jihadiya, dont Jabhat Fath al-Sham n’a pas plus divorcé que d’Al-Qaeda. Dans le cas contraire, d’ailleurs, le vétéran égyptien du jihad mondial Abu Faraj al-Masri, aurait sans nul doute trouvé d’autres combats pour lesquels mourir qu’un projet nationaliste syrien. Or, il comptait parmi les cadres les plus en vue de l’organisation. L’expérience nous enseigne avec assiduité que la guerre et le chaos sont un terreau fertile pour le développement de l’idéologie jihadiste. Une simple rétrospective de 1979 – début de la guerre soviétique en Afghanistan – à nos jours suffit à s’en assurer. La démarche est à la fois révolutionnaire et spirituelle. Aux turpitudes des régimes moyen-orientaux corrompus répond une approche puritaine de préceptes religieux transcendant la vertu. Au désespoir de la vie terrestre répond l’espoir d’une vie meilleure post-mortem. A l’acharnement de l’ennemi répond l’idéal du martyre. L’adhésion des populations n’est pratiquement jamais spontanée ni massive. Mais l’absence durable d’alternative sur fond d’horreurs de la guerre finit par rendre l’offre attrayante, voire évidente. Surtout quand les jihadistes parviennent à être perçus comme indispensables dans les domaines clefs que sont le combat et l’administration. Ce qui est le cas de Jabhat Fath al-Sham, qui se démène à cette fin depuis ses origines.

Discréditer les offres alternatives et leurs soutiens

L’objectif de Jabhat Fath al-Sham est d’unifier l’opposition armée syrienne autour d’un projet commun. Pour y parvenir, il lui faut apparaitre comme crédible aux yeux des populations et des groupes armés qui en sont issus. Et surtout, il faut que toute offre alternative soit décrédibilisée aussi largement que possible. Un enjeu majeur est que les groupes armés promoteurs d’un Etat pourvu d’une constitution et d’un parlement se ravisent et adhèrent au projet commun. Or, les principaux soutiens de tels groupes sont les pays occidentaux. Lors de son message du 28 juillet annonçant la fin des opérations de Jabhat al-Nusra et la fondation de Jabhat Fath al-Sham, Abu Muhammad al-Joulani disait vouloir par là répondre aux demandes du peuple du Sham d’exposer au grand jour les supercheries de la communauté internationale, dirigée par les Etats-Unis et la Russie, dans ses implacables bombardements et déplacements des masses musulmanes du Sham, sous le prétexte de viser Jabhat al-Nusra, une filiale d’al Qaeda. Traduction triviale: «Al-Qaeda est un prétexte. Même si nous nous en séparons, ils nous bombarderont car, Américains comme Russes, ils soutiennent Assad contre le peuple syrien». Or, le 3 octobre, la Russie bombardait des objectifs civils à Alep, où Jabhat Fath al-Sham coordonne la lutte armée. Incapable de faire infléchir son attitude à un interlocuteur sensible à la notion de rapport de force, Washington rompait le dialogue avec Moscou sur la question syrienne et le faisait savoir. Mais pratiquement au même moment, un drone américain tuait l’homme qui se tenait à droite d’al-Joulani quand celui-ci évoquait les «supercheries» américano-russes. L’idéologue jordanien du jihad Abu Qatada al-Filistini n’a pas tardé à réagir sur la plateforme Twitter, dont il est un utilisateur assidu.

Selon lui lui, les Etats-Unis démontrent qu’ils ne sont là que pour tuer les chefs du jihad en Syrie. Qui coopère avec eux est un porc infidèle – message affectueux à l’attention des groupes d’opposition tentés par la coopération avec Washington. Dans la foulée, le compère et voisin d’Abu Qatada, Abu Muhammad al-Maqdisi, relayait ses propos sur la même plateforme. Pour l’observateur attentif des péripéties syrienne d’Al-Qaeda et de ses affidés plus ou moins avoués, sur un terrain purement politique et argumentaire, la boucle est désormais bouclée. Et il ne fait aucun doute qu’une population durement matraquée percevra la frappe contre un cadre de Jabhat Fath al-Sham comme un complot russo-occidental visant à juguler «la révolution du peuple syrien contre son oppresseur».

Faire la guerre sans faire de politique, et se perdre

Les mouvements jihadistes, tout autant qu’ils sont religieux, sont également révolutionnaires. Or, avant de liquider des dirigeants révolutionnaires, il est toujours préférable de les marginaliser. Faute de quoi leur aura se trouve renforcée par la mort que leur a infligée l’ennemi. Ils deviennent des martyrs, des héros, des éléments motivateurs, des emblèmes fédérateurs. Et ce d’autant plus que la trame de la légende ainsi écrite est un tissu religieux déployé dans le cadre d’une guerre manichéenne. Car, et c’est un principe fondamental, à la guerre, on fait de la politique. Et il est tout à fait possible qu’une action militairement parfaite soit, sur le plan politique, une catastrophe. C’est alors l’aspect politique qui prévaut. Il est, à ce titre, fort probable que la frappe ciblée contre Abu Faraj al-Masri soit contreproductive. En donnant corps aux propos d’Abu Muhammad al-Jolani sur «les supercheries» de la communauté internationale sur fond d’amplification majeure de l’effort de guerre russe, elle leur confère l’aura d’une prophétie. Elle installe l’émir de Jabhat Fath al-Sham dans le rôle, toujours envié, de celui «qui l’avait bien dit». Elle place, au pire moment, les Etats-Unis dans le rôle de «l’ennemi du peuple syrien et de son jihad», dos à dos avec la Russie. Et ce non seulement aux yeux d’une part conséquente de la population, mais aussi de groupes armés puissants. Or, sans ceux-là, il n’y aura pas de paix possible car ce sont, au final, eux qui décideront s’ils cessent le feu ou non. Sans crédit auprès d’eux, les arguments occidentaux ne prévaudront pas car lorsqu’on fait de la politique en temps de guerre, c’est généralement celui qui tient l’arme qui a raison. Même si la rébellion venait à essuyer des revers militaires sérieux, cela ne résoudrait aucun problème car le camp dit «gouvernemental» n’est plus qu’une mosaïque de potentats locaux devenue bien incapable de gouverner le pays. A l’heure où l’antenne locale d’Al-Qaeda a tendu un piège grossier aux occidentaux à travers sa prétendue rupture de liens avec la maison-mère, il eût été de bon goût de ne pas y tomber, et de se remettre enfin à faire de la politique. Au lieu de cela, il a été choisi de liquider, au pire moment, un individu dont la dimension stratégique est hautement discutable, mais dont la mort, en discréditant les occidentaux, risque d’ancrer la Syrie dans un processus de «somalisation» de plus en plus inéluctable. Ceux qui auraient voulu voir se tarir le flux des réfugiés et les vocations terroristes n’ont qu’à bien se tenir. La question la plus obsédante étant peut-être bien de savoir si de telles erreurs sont le fait de choix délibérés que leurs auteurs croient judicieux, ou d’une coordination catastrophiques entre des services aux agendas contradictoires.

Jean-Marc LAFON

A propos Jean-Marc Lafon

Cofondateur du think-tank Action Résilience. Fondateur et webmaster de Kurultay.fr. Observateur des mouvements jihadistes, du terrorisme et des conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient et en Afrique. Veille et analyse. Audit et consulting en prévention des tensions politiques, religieuses et de la radicalisation. Spectateur engagé (clin d’œil à Raymond Aron) du cours des planètes en général, et de la nôtre en particulier. Twitter: @JM_Lafon
Ce contenu a été publié dans Conflits, Mouvements djihadistes, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

15 réponses à Fallait-il tuer Abu Faraj al-Masri?

  1. Onate dit :

    Pas certain que cette analyse, aussi pertinente soit-elle vu depuis l’Occident, le soit depuis l’Orient.
    Il me semble que le problème n’est pas l’élimination d’un cadre d’Al-Qaeda, mais comme tu le dis le fait qu’il n’y a aucune perspective pour le peuple et que les Occidentaux changent perpétuellement de partenaires sur le terrain. L’Occident est vu comme faible, lâche et traitre.
    Les populations détestent Al-Qaeda, les révoltes locales ne manquent pas.
    Le problème est de n’offrir aucun horizon.

    • Floflaubert dit :

      Vous ne lisez pas les éditos de certains leaders d’opinion ds le monde arabe ni regarder souvent la télé  »libre » et non les officines des ministéres de l’information dans ces pays. Car ce que vous dites c’est le point de vue d’un occidental en Occident. Les dérives extrémistes de Daesh ont eu le  »mérite » de déplacer le capital sympathie de la cause de la résistance islamique vers Al nousra/al Qaida. Bcp se sont rendue compte que sont  »radicalisme » était politiquement justifié sans avoir l’extrémisme religieux de daesh. Les thinks thans américains ne s’y trompe pas l’ennemi c’est bel et bien al qaida, car politiquement, idéologiquement, religieusement son positionnement est, dans le monde arabe sunnite, extrémement intelligent, mais aussi et surtout trés pertinent. Pour connaitre assez bien l’opinion de certains membres des classes bourgeoises éduquées et islamisées du monde musulman au Maroc en Tunisie, au Koweït ou en Malaisie. Cela surtout depuis l’échec patent des frères musulmans depuis les révolutions arabes. La position centrale d’Al nousra en Syrie reflète assez bien la position centrale d’une classe de musulmans non négligeable dans le monde qui n’ont pas abandonné l’idéal d’un projet politique islamique, entre les fréres musulmans coincés dans leurs contradiction et l’extrémisme sectaire de daesh.

      • Je suis globalement d’accord avec vous, comme le dénotent la plupart de mes écrits ces derniers temps (et au-delà…). C’est pourquoi je trouve quelque peu injustes les deux premières phrases de votre commentaire. D’ailleurs, pour être tout à fait honnête avec vous, j’ai tendance à plus surveiller les commentaires d’Abu Qatada et d’Abu Muhammad al-Maqdisi que les éditos et op-ed d’al-Arabiya. Mais que ça ne sorte pas d’Internet!
        JML

        • Onate dit :

          Jean-Marc, je ne sais plus à qui tu réponds ?
          tu parles de mes deux premières phrases ou de celles de Floflaubert ?

          Floflaubert, j’ai aussi une petite connaissance du monde Arabe… et un peu du sang Arabe (non, je ne suis pas un Occidental en Occident – désolé), et je côtoie aussi un peu le monde musulman un peu partout dans le monde, depuis ma plus tendre enfance.
          Si Al-Qaeda fait des émules c’est plus par le fait qu’ils ont l’argent, les armes et qu’ils ont une discipline qui leur permet de porter des coups sévères à Assad et à ses soutient.
          Les populations qui sont sous sa coupe en Syrie ne sont pas si enthousiastes que ça. Croire qu’Al-Qaeda est un Daesh « politiquement correcte » est une vision à très court terme. Le monde Arabe le sait bien.
          Le monde Sunnite est entré depuis déjà plusieurs dizaines d’années dans un cycle très dangereux de confrontation porté par l’idéologie Wahhabite. Beaucoup de peuples musulmans se sont laissés enfermer dans cette confrontation idéologique qui n’était nullement dans leur culture islamique. Mais Al-Qeada n’est pas pour autant si bien vu que cela dans le monde musulman… même s’il donnent de temps en temps un sentiment de revanche sur l’arrogance de l’Occident.
          Enfin, en homme averti, je puise mes infos, tous les jours, dans plus de 30 sources d’origines variées et contradictoires, plus quelque contacts directs.
          L’Orient est complexe, très complexe et cette guerre l’est tout particulièrement. Cette guerre à commencée pour moi dans les années 80 en Afghanistan… et on n’est pas encore au point culminant, mais on y approche et Al-Qeada sera au centre de cette guerre pour le malheur des peuples musulmans.

  2. Jeff dit :

    Bonsoir Monsieur Lafon

    Merci pour votre billet.

    Je suis morose et pessimiste: par une suite d’incuries de la part de tous les protagonistes, on glisse doucement, mais réellement, vers l’option « choc des civilisations », au MENA (et plus large)
    Pour revenir à la Syrie, au point où est le conflit, quel que soit le résultat de la Guerre, il n’y aura quasiment aucune influence à court ou moyen terme (20 ans) sur la question du terrorisme islamiste et des réfugiés dans nos pays occidentaux. Ceci quelque soit les dires des différents soutiens pro-Bachar ou pro-Rebelles.

    Pas le cœur a développer plus ce soir. Une autre fois si vous le souhaitez.

    Continuez avec vos postes.

    Meilleures Salutations
    Jeff

  3. lym dit :

    Ce détachement d’AQ n’aura leurré personne: Il s’agissait de faire profil bas en espérant qu’un de vos puissants ennemis vous lâche a un moment ou l’on peine à faire face.
    Perdu!
    Ne pas abattre ce genre de type comme un chien, à la première opportunité, aurait été LE véritable aveu de faiblesse (voire même de bêtise) qu’il convenait d’éviter.
    L’insulte bête et porcine illustre au final bien l’énervement résultant de l’échec d’une supercherie et les populations soumises (ainsi que ceux qui seraient tentés de se rallier) par ces types sont confortées dans le fait que leur mort brutale est certaine, seul le moment précis étant l’inconnue.
    Manière aussi d’illustrer à un moment opportun la différence de mode d’action entre des frappes ciblées US et la boucherie du couple Assad/Poutine.

  4. Mohammed dit :

    Quelle alternative à Assad? Ahrar Cham et autres groupes d’obédience FM se sont radicalisés et rêvent tous d’un État théocratique « ici et maintenant ». Pire, même en cas de renversement du régime, leurs haines réciproques les empêcheront de gouverner ensemble (Scénario à l’afghane, mais en plus destructeur, compte tenu de la géopolitique régionale).
    L’opposition démocratique est une chimère déconnectée et absente du terrain.
    Les groupes les plus influents sont Daech, Ennosra, ahrar Cham, Zenki, Jund Al Aqsa: Se haïssent à mort, tout en étant des extrémistes insupportables!

  5. Julien dit :

    Malgré tout le dégoût que m’inspire AQ, EI et plus largement toute l’idéologique salafiste-djihadiste, quelle différence fondamentale y a-t-il avec un régime comme l’arabie saoudite et compères ? Dans ce dernier cas, c’est l’extrémisme qui a gagné et s’est étatisé.
    Finalement n’est-il pas plus sûr (dans le sens moins d’attaques terroristes) pour nous de les laisser s’implanter ? Encore une fois je déteste leur idéologie mais cela reste un point de vue d’un Occidental.

    • J’aimerais bien avoir une réponse toute faite à votre question, qui est à mon humble avis excellente.
      JML

      • Jeff dit :

        Bonjour,

        Malheureusement la réponse ne peut être que:
        « il n’est pas plus sur pour nous de les laisser s’implanter »

        Les laisser s’implanter ne diminuera pas le nombre d’attentat.
        Dans la logique Jihadiste la conquête de MONDE par l’épée est une obligation.
        Relisez le blog de Jacques Raillane: il dit clairement :
        « On ne vainc pas le terrorisme avec des B-1B ? Oui, bien sûr, mais on ne vainc pas non plus une guérilla avec des mandats d’arrêt et des commissions rogatoires. Quant au dialogue politique, il est, manifestement, délicat à établir avec des groupes dont l’idéologie vise à notre destruction. »
        « S’obstiner à ne voir dans la menace jihadiste qu’une réponse mécanique à des actions identifiées, ici ou là, révèle une profonde incompréhension du phénomène. Le jihad contemporain mène une guerre qui dépasse, de loin, la réaction à des actions ponctuelles et manifeste une haine profonde de ce que nous sommes. L’attentat de Stockholm en 2010 punissait-il la Suède pour son aventurisme militaire bien connu ? »
        « Mais il s’agit ici de ne pas se leurrer : la phase de négociation est passée, le court moment pendant lequel il nous aurait été possible de sauver l’espoir dans les pays arabo-musulmans est passé, et bien passé. » 21 septembre 2010

        Un petit passage de Ould Hamama:
        https://www.youtube.com/watch?v=bO-PZ7KInCA

        Les laisser s’implanter, ne changera rien au fait que nous serons en guerre sur notre propre Territoire.
        Pire, cette option se base sur l’a-priori que les différents « Emirats » proche d’AQ ou les Wilaya de l’EI s’effondreront toutes seules ou avec un petit coup de pouce de notre part, victimes de leurs propres contradictions et des résistances internes qu’ils rencontreront.
        C’est mésestimer la capacité d’une dictature théocratique à survivre: l’Emirat des Talibans a chuté en 2001, par la force militaire et non pas par son incapacité à gérer le pays (même si cela a joué dans la déroute de l’Armée Talibane)

        S’engouffrer dans des guerres à tout bout de champs ne mène à rien, si ce n’est à disperser nos forces.
        Mais ne rien faire, ne ramènera ni la paix , ni même une certaine tranquilité.

        Meilleures salutations

        Jeff

        • Les mouvements dévolus à la salafiya jihadiya ne se détourneront pas du jihad mondial. La présence au conseil de la Shura de Jabhat Fath al-Sham d’un vétéran tel qu’Abu Faraj al-Masri en est, à mes yeux, un signe qui ne trompe pas. La question pourrait se poser à propos de groupes dévolus depuis les origines à un projet purement syrien, souvent à mille lieues de représenter une option idéale d’un point de vue occidental, mais bénéficiant d’un vrai crédit auprès des populations et représentant une force militaire avec laquelle il faut compter. L’ennui est qu’un conflit qui s’éternise et qui fait la part belle à l’horreur surmédiatisée renforce les extrêmes au détriment du reste.
          JML

          • Jeff dit :

            Bonsoir

            Merci Monsieur Lafon de votre réponse.

            La question des groupes Jihadistes avec un projet purement Syrien se pose.
            Monsieur Charles Lister (dans un article dont je n’ai plus le lien, avec mes excuses) prévoyait en cas de victoire rebelles, l’implosion de Ahrar Al Sham en deux.
            De même en 2001, il y avait des tiraillement au sein de l’Emirat Islamique en Afghanistan, s’il fallait ou non laisser lâcher du lest face aux Etats-Unis. Abdul Salam Zaeef l’a admis à demi-mot.

            Néanmoins en Afghanistan, ce sont les partisans de la non-négociation qui l’on emporté (les Américains n’étaient pas très bien disposés non plus) et Monsieur Lister pense que la ligne dur prévaudra chez Ahrar Al Sham en cas de victoire des rebelles.

            Partout dans le monde, les groupes à visées locales (ex. Ansar Dine) ne se lanceront pas dans le Jihad Global à l’extérieur de leurs territoires, mais une proximité idéologique très fortes avec les groupes dévolus à la « salafiya jihadiya  » feront qu’il ne les lâcheront pas.

            Un des exemples actuels étant la Libye : le gouvernement national s’accommode plus ou moins bien* des groupes Jihadistes Locaux, tel que le Conseil des Mujahidines de Derna, qui eux mêmes s’accommode bien d’Al Mourabitoun de Mokhtar Belmokhtar.

            Bref, la réponse à la question: « Finalement n’est-il pas plus sûr (dans le sens moins d’attaques terroristes) pour nous de les laisser s’implanter ? » est NON.
            Car laisser s’implanter les groupes à a agenda uniquement local, revient à laisser s’implanter les groupes à agenda mondial. Ces derniers ne nous laisseront jamais en paix, quoi que l’on fasse.
            Cependant se lancer dans plusieurs conflit à la fois, sans plans de sortie réalistes et durables, est une aberration à mon sens.

            Merci encore
            Meilleures salutations

            Jeff

            P.S. * relativement bien si ce sont des membres d’ex-« Aube de la Libye », mal si ce sont des membres de l’ex gouvernement de Tobrouk, pas du tout si c’est Haftar.

  6. Julien dit :

    Merci pour vos réponses.
    Si la réponse à ma question est Non :
    Est-il possible qu’un mouvement comme AQ « s’assagissent » s’ils venaient à se développer sur un vaste territoire ?
    Si la réponse est toujours non,
    Quels sont donc les différences fondamentales entre un mouvement comme AQ et le régime saoudien ? Hormis les moyens utilisés, le but n’est-il pas le même ?

    Plus globalement, qui, nous Occidentaux, soutenons-nous en Syrie précisément, à part les Kurdes et sans doutes les rebelles du Sud ?
    Pour prendre le théâtre en Lybie, qui est assez compliqué, j’ai l’impression que la France soutient le GAN officiellement et officieusement le Général Haftar (au vue des 3 membres du services action de la DGSE mort il y a peu). Mais ne sont-ils pas tous 2 des organisations qu’on pourrait qualifier d’islamiste ?
    Pour ainsi dire, quels sont les islamistes avec qui il est possible de parler ? La frontière semble est bien flou entre tous ces groupes… pour un observateur amateur et jeune tel que moi

    • Onate dit :

      L’Arabie Saoudite est née à une autre époque et, si elle est structurée sur des bases wahhabite, elle coure derrière les extrémistes pour ne pas perdre la course qu’elle à stupidement contribué à initier.
      Daesh ou Al-Qeada sont des enfants « perdus » de l’Arabie… et la mère patrie essaie de montrer à tous les autres qu’elle détient encore la vraie voie en respectant à la lettre son interprétation de l’islam.
      Mais les « combattants » eux ont un atout dans leur jeu, un atout qui à un effet dévastateur dans le monde musulman, les images de débauches » de la famille royale. Donc même si l’Arabie Saoudite veut montrer qu’elle est le porte drapeau de l’islam rigoriste, elle ne dupe plus personne. C’est un peu Sarko qui veut vendre l’idéologie du FN version « sans sucre »… l’original est toujours mieux que la copie édulcorée.
      Donner ou laisser prendre un espace stable à Al-Qeada c’est donner un temps et les moyens nécessaire à l’extension de la guerre.
      Le problème majeur est l’incompétence criante des dirigeants occidentaux à comprendre un monde complexe qui pense dans une échelle de temps long et tout particulièrement les bords américains qui ne sont pas des exemples mais qui pensent que tout le monde veut vivre comme eux !

    • Jeff dit :

      Bonsoir Monsieur,

      Je pense que Monsieur Lafon sera mieux à même de vous répondre, d’autant que c’est son blog!!

      Néanmoins pour faire court:
      Q) Est-il possible qu’un mouvement comme AQ “s’assagissent” s’ils venaient à se développer sur un vaste territoire ?
      R) rien n’est impossible, mais pour l’instant AQ est dans le même état d’esprit « révolutionnaire » que l’URSS à ses début: combattre jusqu’à la chute de tout les Tyrans. De plus la notion de « contrôle de territoire » pour Al Quaida est plutôt floue et varie en fonction de l’endroit: AQMI à vocation de diriger directement le Maghreb mais souhaite juste contrôler le Sahel en coopération avec les groupes sur place (type Ansar Dine)

      Q)Quels sont donc les différences fondamentales entre un mouvement comme AQ et le régime saoudien ? Hormis les moyens utilisés, le but n’est-il pas le même ?
      R) Le régime Saoudien (la famille régnante) a pour but principal de rester au pouvoir, la propagation de l’Islam venant loin derrière. Pour les questions théologique, il vaut mieux demander à un spécialiste comme Monsieur Romain Caillet.

      Q) Plus globalement, qui, nous Occidentaux, soutenons-nous en Syrie précisément, à part les Kurdes et sans doutes les rebelles du Sud ?
      R) Vous avez bien cerné les principaux alliés. Je pense que Monsieur Lafon sera mieux à même de vous renseigner précisément. Mais le soutient au PYD/PKK/FDS n’est que la partie visible de l’iceberg.

      Q)Pour prendre le théâtre en Lybie, qui est assez compliqué, j’ai l’impression que la France soutient le GAN officiellement et officieusement le Général Haftar (au vue des 3 membres du services action de la DGSE mort il y a peu). Mais ne sont-ils pas tous 2 des organisations qu’on pourrait qualifier d’islamiste ?
      R) Vrai pour le soutient au GAN et Haftar. Après Haftar est plutôt « Laïc » et les membres de ex-« Aube de la Libye » à l’intérieur du GAN sont « islamistes » à des degrés très divers.

      Q) Pour ainsi dire, quels sont les islamistes avec qui il est possible de parler ? La frontière semble est bien flou entre tous ces groupes… pour un observateur amateur et jeune tel que moi
      R) On peut parler avec tout le monde (même l’EI), mais tout dépends de quoi!
      Avec AQ et l’EI ont peut parler « prise d’otage » par exemple. Avec les Talibans « trêve voir éventuellement pourparlers de paix ». Entre tout les groupes /milices islamistes il y a des passerelles idéologiques, ce qui n’empêche pas qu’ils puissent se combattre farouchement, puis s’allier par la suite.
      Dans la catégorie alliance incongrue, je pense par exemple au Commandant Massoud allié de Abdul Rasul Sayyaf « salafo-jihadiste pur jux ».

      J’espère que ce petit début vous aura donné des pistes de réflexion. Je ne suis qu’un « amateur » et ne prétends pas avoir la connaissance des membres de Kurultay.

      Mes excuses à Monsieur Lafon, dont j’ai accaparé le temps de quelques postes le blog.*

      Meilleures salutations

      Jeff

Les commentaires sont fermés.